Abonnement “invisible” : dans le coût d’un logement, combien pèse son emplacement ?
C’est la rareté des logements disponibles dans des emplacements « de qualité » qui fait grimper le logement dans les dépenses des ménages.
L’intuition derrière l’accessibilité (à ne pas confondre avec l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite) est de mesurer le potentiel qui s’ouvre pour un résident lorsqu’il choisit de vivre à un endroit donné. La localisation des emplois, leur densité, le réseau de transport routier ou ferré que l’on pourra employer sont les éléments de la géographie qui vont déterminer ce potentiel. L’accessibilité consiste donc à mesurer à combien d’emploi j’ai accès en m’installant quelque part. Cette notion a été définie la première fois par un auteur américain, Walter Hansen, en 1959 (How Accessibility Shapes Land Use) et appliquée assez systématiquement par des ingénieurs des Ponts, comme Gérard Koenig (Théorie économique de l’accessibilité, 1973) ou Jean Poulit (Le Territoire Des Hommes, Éditions Les Pérégrines, 2005).
L’accessibilité de façon générale peut s’appliquer à toutes sortes d’opportunités, des emplois aux commerces, en passant par les écoles ou les parcs naturels. Elle n’est pas limité à l’analyse du potentiel pour un résident, qui évaluerait ce que le choix d’une localisation lui offre comme possibilités, mais aussi le point de vue d’un employeur qui veut mesurer son vivier de recrutement, d’un commerçant son potentiel commercial ou encore une crèche pour estimer le nombre de place. A chaque fois, on peut ne retenir que certains modes de transport. Ainsi, un vendeur de meuble regardera en priorité l’accessibilité en voiture, une crèche des déplacements à pied, voire en poussette prioritairement. Un employeur pourra aussi vouloir identifier des catégories d’emplois plutôt que d’autres. Si l’accessibilité pour un point de vue particulier paraît une évidence – et fait partie des pratiques habituelles lorsqu’on localise un commerce ou un hôpital – son utilisation à un niveau d’abstraction un peu plus élevé est très fructueuse. On est alors obligé de prendre quelques raccourcis et d’oublier bien des détails, mais on peut percevoir la géographie de l’espace urbaine de façon inhabituelle.
Depuis l’époque de Hansen ou de Koenig, grâce à des données de plus en plus massives traitées par des capacités de calcul inimaginable à l’époque, le calcul d’accessibilité peut être fait avec une ambition renouvelée. Dans les 6 cartes qui suivent, on a calculé l’accessibilité aux emplois pour les trois plus grandes métropoles française en utilisant les transports en commun. On commence par imputer à chaque carreau du territoire – il y en a plus de 38 000 pour l’aire urbaine de Paris – la population résidente et surtout l’emploi. On calcule alors le temps de parcours entre toutes les origines et toutes les destinations possibles. Pour Paris cela représente plusieurs milliards de paires de trajets possibles. Chacun des trajets est calculé en utilisant un moteur de routage, semblable à celui de Google, mais dans une version plus rapide et surtout mois coûteuse : le service API routes de Google facture 4$ pour 1 000 trajets. La carte en haut à gauche aurait un coût de l’ordre de plusieurs millions d’euros ! Grace à des logiciels en accès libre, il est possible de calculer plusieurs dizaine de milliers de paires origine destination par seconde, ce qui donne corps aux intuitions des précurseurs d’une façon très nouvelle. Une fois la localisations des emplois et la matrice de temps de trajets calculée, on définit l’accessibilité à l’emploi comme le temps qu’il faut pour atteindre au moins 50 000 emplois (colonne de gauche) ou 250 000 emplois (colonne de droite). Chaque point du territoire est coloré en fonction de ce temps. En deçà de 60 minutes, le point est en jaune ou en vert ; en dessous de 30 minutes, il est dans un vert franc.
Comme on peut le voir sur les cartes, les aires couvertes de vert sont bien plus vaste en Ile-de-France que partout ailleurs. Le seuil de 250 000 emplois est celui qui différencie le plus les aires urbaines. Rappelons que l’accessibilité est un potentiel : vivre dans l’aire urbaine de Paris donne un accès plus facile à un choix d’emplois très élevé. De plus, lorsqu’on utilise la densité de population de chaque carreau, l’agglomération de Paris apparaît encore plus efficace que Lyon ou Marseille. En moins de 45 minutes, plus de de 3,2 millions d’actifs ont accès à la possibilité de 250 000 emplois (évidemment, ce ne sont pas les mêmes pour chacun des 3,2 millions d’actifs !). A Lyon, c’est un peu moins d’un demi-million et à Marseille un peu plus de 100 000 actifs qui peuvent avoir accès à autant d’emplois en moins de 45 minutes. La différence d’échelle est considérable et, malgré la réputation d’un espace urbain encombré et congestionné, l’aire urbaine de Paris, par un système de transport à la densité exceptionnelle, une grande concentration d’un grand nombre d’emplois et une densité de population une des plus élevée au monde parvient à mettre en relation emploi et actif d’une façon bien plus forte que dans les autres métropoles françaises.
L’accessibilité est un concept riche qui permet de résumer de grandes quantités de données en une mesure assez simple. C’est un excellent prédicteur des prix de l’immobilier et cela permet par exemple de comprendre l’exception parisienne. A même accessibilité, sans préjuger des autres facteurs, les prix dans l’aire urbaine de Paris et la métropole de Bordeaux sont comparables. Elle peut être aussi reliée théoriquement aux mobilités effectives, comme nous l’avons montré avec Maxime Parodi avec MEAPS. En passant du potentiel au réalisé – nous l’avons fait pour la Rochelle avec Villes Vivantes –, on dispose d’une modélisation pour produire des analyses et construire des scénarios avec une finesse géographique pertinente pour les politiques publiques d’aménagement du territoire.
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