Quels que soient les dispositifs en faveur de l’amélioration de l’habitat actifs ou en préparation dans un territoire, il est fréquent que la collectivité, ses partenaires, ou un bureau d’études identifient la situation d’un immeuble dégradé comme à la fois stratégique et sans perspective d’évolution spontanée dans un délai raisonnable.
Pour les immeubles de ce type, peut-on obliger le propriétaire à faire des travaux ? Cette question en appelle d’autres :
- Quel est le problème à résoudre et que veut obtenir la collectivité : une action ponctuelle du propriétaire sur un élément de l’immeuble ou sur la façade, une réhabilitation, la fin d’une situation de mal-logement, une cession de l’immeuble à la collectivité, une cession de l’immeuble à un tiers porteur de projet, et en ce cas, pour quelle opération à l’issue ?
- Sur quelle base réglementaire s’appuyer : règlement sanitaire départemental, code de la santé publique, code de la construction et de l’habitation, code de l’urbanisme, code civil ?
- Que faire si le propriétaire n’exécute pas les demandes qui pourraient lui être imposées, et plus précisément, qu’entraine pour la collectivité le fait de mettre en œuvre une obligation (devra-t-elle réhabiliter à ses frais, devra-t-elle acheter l’immeuble, y-a-t-il un droit de délaissement, etc.)
- Quels sont les risques de contentieux si le propriétaire conteste l’obligation qui lui est faite, l’utilité publique de l’opération, le montant de l’indemnité d’expropriation le cas échéant, la régularité de la procédure ?
- Quel est le délai au terme duquel on peut espérer que les travaux soient réalisés (quelques semaines, quelques mois ou plusieurs années) ?
- Plus globalement, quel est le bilan avantages/inconvénients au regard du projet envisagé par la collectivité ou du projet dont la collectivité espère la réalisation de la part du propriétaire ?
Selon la nature des procédures utilisées, les obligations ne vont pas porter sur les mêmes parties des immeubles et sur la même nature de travaux. Ainsi, pour un immeuble patrimonial stratégique en cœur de ville, une mise en décence des logements n’aura pas forcément d’impact sur la façade, ou encore, un arrêté de péril n’entraînera pas forcément la mise en conformité de parties d’immeuble qui posent problème mais qui n’entrent pas dans le champ du péril.
En fonction des intentions de la collectivité et des situations, les outils de contrainte sont les suivants, dans l’ordre du moins contraignant au plus contraignant, mais pour des usages différents :
- Oblige un propriétaire à mettre son logement en conformité s’il ne l’est pas avant de le louer
- Dans un périmètre réduit, qui fait l’objet d’une décision motivée de l’assemblée délibérante de la collectivité, tout propriétaire qui met en location un logement doit compléter un formulaire remis en mairie. Il peut mettre en location le logement sans attendre, mais la collectivité a la capacité à déclencher une visite technique de contrôle qui peut le cas échéant déceler des non-conformités. Ces non-conformités font alors l’objet de procédures en fonction de leur nature (procédures RSD, procédures code de la santé, signalements aux organismes servant les prestations logement).
- Oblige un propriétaire à mettre son logement en conformité s’il ne l’est pas avant de le louer
- Dans un périmètre réduit, qui fait l’objet d’une décision motivée de l’assemblée délibérante de la collectivité, tout propriétaire qui met en location un logement doit compléter un formulaire remis en mairie. Il ne peut effectivement mettre en location que si la visite technique de contrôle effectuée par la collectivité ne décèle pas de non-conformité ou si le délai de visite est expiré sans réponse de la collectivité.
- Oblige le propriétaire à faire des travaux pour pouvoir continuer à percevoir la part des loyers couverte par les prestations logement de son locataire
- Lorsqu’un constat permet d’établir qu’un logement occupé ne répond pas aux critères du décret décence, du règlement sanitaire départemental (RSD), du code de la construction et de l’habitation, et/ou du code de la santé publique, les organismes (CAF, MSA) servant au locataire les prestations logement (ALS, ALF) ont la faculté soit de consigner ces dernières, c’est-à-dire de les verser sur un compte bloqué, soit d’interrompre le tiers-payant, c’est-à-dire de les verser au locataire et non plus au propriétaire. Il ne s’agit pas d’une obligation directe, mais d’une façon de « frapper au portefeuille » pour que le propriétaire effectue des travaux. En revanche, le fait de s’acquitter des mises en conformité demandées n’implique pas nécessairement un programme global de réhabilitation.
- Empêche le cas échéant un porteur de projet de diviser un ou plusieurs logements existants
- Dans un périmètre réduit, qui fait l’objet d’une décision motivée de l’assemblée délibérante de la collectivité, tout propriétaire qui souhaite diviser un logement doit compléter un formulaire remis en mairie. Il ne peut diviser qu’après autorisation suivant une visite technique de contrôle.
- Oblige dans l’espace de 2 ans un propriétaire à ravaler la façade de son immeuble
- Après que la commune ait obtenu du préfet son inscription sur la liste des collectivités du département habilitées à appliquer l’obligation de ravalement, le conseil municipal délibère pour adopter un périmètre de ravalement obligatoire. Dans ce périmètre, les propriétaires disposent de 2 ans pour ravaler leur façade et a minima la « mettre en état de propreté » selon les dispositions du CCH. S’ils ne s’exécutent pas, la commune a la possibilité d’effectuer les travaux d’office et de recouvrir les sommes engagées par voie de contribution directe avec inscription hypothécaire. Ces dispositifs sont en général associés à un système d’aide financière. La commune n’a pas obligation de se substituer si les travaux ne sont pas effectués. Si le périmètre est trop large, il y a un risque d’échec (trop de façades non ravalées et trop d’efforts pour se substituer). Si le périmètre est trop petit, voire si l’obligation ne s’exerce qu’en direction de quelques immeubles, il y a un risque de contentieux pour abus de pouvoir.
- Oblige le propriétaire à remédier à la non-conformité de points particuliers relevant du règlement sanitaire départemental (déchets, encombrement, assainissement, etc.)
- Après constat des non-conformités par un agent assermenté qui peut être dans certains cas un inspecteur de l’agence régionale de santé, dans d’autres cas un agent du service communal ou intercommunal d’hygiène et de santé, ou encore dans des petites communes un policier municipal ou un garde champêtre, la collectivité dresse un procès-verbal et fait injonction au propriétaire de se mettre en conformité en dressant précisément la liste des points litigieux. En cas de non-exécution, des amendes peuvent être relevées à son encontre.
- Oblige le propriétaire à réaliser des travaux complets de mise en conformité.
- Après constat des non-conformités par un inspecteur de salubrité de l’agence régionale de santé, le préfet rend un arrêté d’insalubrité qui peut frapper un logement, plusieurs logements et/ou un immeuble. En fonction de la situation, ces locaux peuvent être interdits à l’habitation voire interdits à l’accès. L’arrêté d’insalubrité ne peut être levé que par une procédure formelle de constat après travaux. En cas de non-exécution, la collectivité peut réaliser les travaux d’office et recouvrir les sommes engagées par voie de contribution directe avec inscription hypothécaire. En ce cas, le propriétaire reste détenteur de l’immeuble. La collectivité peut également diligenter une procédure de résorption d’habitat insalubre (DUP, expropriation, et réalisation d’un projet qui doit aboutir à l’application de l’arrêté).
- Oblige le propriétaire à réaliser des travaux complets de mise en conformité et permettre le déclenchement d’une procédure d’expropriation.
- Après constat des non-conformités par un inspecteur de salubrité de l’agence régionale de santé et dans le cas où le montant estimé des travaux de remédiation excède la valeur vénale estimée de l’immeuble, le préfet rend un arrêté d’insalubrité qui peut frapper un logement, plusieurs logements et/ou un immeuble. Ces locaux sont interdits à l’habitation. L’arrêté d’insalubrité ne peut être levé que par une procédure formelle de constat après travaux. En cas de non-exécution, la collectivité peut réaliser les travaux d’office et recouvrir les sommes engagées par voie de contribution directe avec inscription hypothécaire. En ce cas, le propriétaire reste détenteur de l’immeuble. La collectivité peut également diligenter une procédure de résorption d’habitat insalubre (relogement des occupants aux frais du propriétaire, DUP, expropriation, et réalisation d’un projet qui doit aboutir à l’application de l’arrêté et qui peut consister en une démolition avec ou sans reconstruction).
- Oblige le propriétaire à réaliser un programme de travaux
- Contrairement aux arrêtés d’insalubrité ou aux procédures RSD, l’obligation ne porte pas simplement sur la remédiation à des non-conformités. Dans un dossier argumenté, la commune établit les motifs permettant de reconnaître le caractère stratégique d’un immeuble, la nécessité d’y réaliser des travaux, et l’absence de perspective de résolution spontanée de la situation. Cette procédure est principalement destinée à des immeubles occupés pour mettre fin à des situations de mal logement, pour autant, à titre dérogatoire, elle peut être engagée dans des immeubles vacants au motif que les occupants viennent d’être relogés et/ou pour mettre fin à un risque de réoccupation. À l’issue d’une phase de négociation autour d’un projet de déclaration d’utilité publique travaux, si le propriétaire n’engage pas les travaux souhaités par la collectivité, cette dernière obtient du préfet l’ouverture d’une enquête publique suivie d’une enquête parcellaire suivie d’une DUP travaux, elle-même suivie d’une expropriation si elle n’est pas exécutée par le propriétaire. Lorsque la collectivité entre en possession de l’immeuble, l’obligation de travaux s’applique alors à elle ou à l’opérateur éventuel à qui elle aura rétrocédé le bien. Dans ce cas de figure, la collectivité et ses partenaires doivent assumer, en-dehors des coûts de réhabilitation : des coûts d’étude pré-opérationnelle, des coûts d’étude technique, une sécurisation juridique (mission d’avocat), des coûts éventuels de portage (emprunt), des coûts de commercialisation éventuels, et bien sûr des coûts d’acquisition ou une indemnité d’expropriation.
- Oblige le propriétaire à céder son immeuble.
- Contrairement à l’ensemble des procédures qui précèdent, cette contrainte n’est pas liée à la nature de l’immeuble ou de sa situation, mais à un projet public (création d’équipement, aménagement d’espace public, aménagement d’infrastructure…). La résultante d’une DUP aménagement n’est pas la réalisation de travaux par le propriétaire mais tout simplement l’entrée en possession du bien par la collectivité aux fins de réalisation de son projet.
- Permet à la collectivité d’acquérir un ou des immeubles dans le cadre d’un projet précis.
- La collectivité crée au document d’urbanisme un emplacement réservé recouvrant pour tout ou partie un ou plusieurs immeubles. La mise en vente de ces immeubles déclenche une préemption immédiate par la collectivité. Les propriétaires disposent d’un droit de délaissement, c’est-à-dire qu’ils peuvent obliger la collectivité à acheter leur immeuble. Ce dernier point n’exclut pas une négociation financière avec la collectivité, et celle-ci peut renoncer à acquérir : en ce cas, l’emplacement réservé va « tomber », c’est-à-dire devenir caduc. Des motifs classiques d’emplacements réservés sont par exemple la création d’une voirie en cœur d’ilot mais ils peuvent aussi concerner la réalisation de logements sociaux. Lorsque la collectivité entre en possession de l’immeuble, elle doit en faire un usage correspondant à ce qui est prévu dans l’emplacement réservé.
- Oblige le propriétaire à céder le bien concerné.
- Par une procédure, la collectivité fait reconnaître par un juge qu’un bien est en état d’abandon, c’est-à-dire qu’un propriétaire ne s’acquitte plus d’aucune de ses obligations. Le non-paiement durant plusieurs années de la taxe foncière et/ou de la taxe d’habitation locaux vacants est un argument de choix, mais aussi l’état du bien lui-même et la non-réponse du propriétaire aux sollicitations de la collectivité. La procédure nécessite une bonne organisation administrative de la collectivité et permet en l’espace de 2 ans d’exproprier le bien avec paiement d’une indemnité. En revanche, si l’état de déréliction du bien a motivé l’action de la collectivité, se retrouvant propriétaire, c’est elle qui doit agir et financer l’opération.
- Permet à la collectivité de se rendre propriétaire du bien concerné.
- Par une procédure, la collectivité fait reconnaître par un juge qu’un bien est vacant sans maître, c’est-à-dire que, suite à la carence d’un propriétaire ou à l’absence durable de résolution d’une succession, il n’existe plus d’interlocuteur ni de détenteur. La procédure nécessite une bonne organisation administrative de la collectivité et permet en l’espace de 2 ans une récupération du bien sans indemnité puisqu’il n’y a personne à qui la verser. En revanche, si l’état de déréliction du bien a motivé l’action de la collectivité, se retrouvant propriétaire, c’est elle qui doit agir et financer l’opération.