NIMBY outre-Manche

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5 min de lecture.  |  Publié le 25/10/24

@brunus | Unsplash.com

En Angleterre, la densification douce créé des logements mais le NIMBY freine le mouvement dans les banlieues aisées.

L’Angleterre traverse une crise du logement qui, à bien des égards, est encore plus sévère que la nôtre. En 2019, notre situation était difficile avec un peu plus de 590 logements pour 1’000 habitants ; les Anglais n’en comptaient qu’un peu moins de 434. Pire encore : depuis 2011, ce chiffre a progressé de 14.5% en France mais il est resté stable — et même en très léger repli — en Angleterre1. Comme de notre côté de la Manche, c’est dans les grandes métropoles que se concentre la pénurie de logements : selon les estimations du conseil municipal de Londres, plus de 175’000 Londoniens vivent dans des logements temporaires — un habitant sur 50 — ce qui signifie qu’il y aurait en moyenne au moins un enfant sans abri dans chaque classe de Londres2.

Une densification douce à 2 vitesses

Avec la politique de la ville compacte menée depuis les années 19903 pour tenter de faire face à cette crise, les quartiers denses des villes anglaises se densifient pourtant. Jusqu’à récemment, les chercheurs s’étaient principalement intéressés aux opérations de densification fortes, dans les centres-villes, mais tendaient à négliger les processus de densification douce, pourtant à l’œuvre dans la périphérie des agglomérations britanniques.

C’est chose faite, avec la publication, en 2018, d’une étude4 financée par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) qui s’appuie sur une analyse statistique sur l’ensemble de l’Angleterre entre 2001 et 2011 ce qui amène un premier constat : entre 2001 et 2011, notent les auteurs, la densification douce représente 15% de la croissance du nombre de logements en Angleterre et 32% dans les quartiers de maisons, dont 1/3 en construction neuve et 2/3 par division de logements.

Plus en détail, le constat statistique de l’étude est que la densification douce a bien eu lieu mais se concentre principalement dans des quartiers périphériques paupérisés. C’est le cas, notamment, des quartiers classés dans les catégories Multicultural et City living, dans lesquels la croissance du nombre de logements due à la densification douce — principalement par division de l’existant — a atteint 4.4% et 3.4% respectivement (sur 10 ans, données non-annualisées). Fait frappant, en revanche, les quartiers les plus favorisés (Prosperous suburbs) semblent opposer une résistance avec une croissance d’à peine 1.1%.

C’est ce constat qui a amené les auteurs à compléter leur étude statistique par des enquêtes qualitatives auprès d’acteurs locaux dans le quartier d’Ealing, à Londres, et la ville de Bristol. Manifestement, les habitants des quartiers riches ont une forte propension à se mobiliser pour préserver leur confort spatial :

Ce sont les caractéristiques socio‑économiques des populations qui expliquent pourquoi la catégorie Banlieues aisées est peu touchée par la densification douce (1.1 % de croissance en valeur relative). Comme il a déjà été dit, celle‑ci est faible dans les périphéries peu denses, où elle serait pourtant morphologiquement la plus facile à mettre en œuvre. Les riverains se mobilisent au contraire parfois pour bloquer les développements (attitude Nimby) et la division des logements y est marginale, car la population très aisée de ces quartiers habite de grands logements.

NIMBY vs YIMBY

Le NIMBY est donc à l’œuvre outre-Manche et, comme chez nous, il constitue un frein à la densification douce des quartiers et communes les plus recherchées. Jusqu’à il y a une dizaine d’années, nous observions le même phénomène en France : le gel artificiel des constructions neuves se concentrait principalement dans les quartiers huppés de nos grandes métropoles. Mais depuis, il tend à se généraliser à l’ensemble des zones tendues en s’appuyant, notamment, sur des arguments écologiques pour le moins approximatifs. Il est possible que le même phénomène soit à l’œuvre en Angleterre mais, l’étude susmentionnée s’arrêtant en 2011, il est trop tôt pour le dire.


Millie Dodd | justbuildhomes.co.uk

Contrairement à chez nous, le mouvement YIMBY, pour Yes, In My BackYard (Oui, dans mon jardin) est très actif outre-Manche. Contrairement au NIMBY, qui n’est pas un mouvement politique formel, le YIMBY prend la forme d’organisations — comme Just Build Homes (ci-dessus) — qui cherchent à faire pression sur les pouvoirs politiques nationaux et locaux en faveur de logements abordables et situés dans les cœurs des grandes villes anglaises. London YIMBY, fondée en 2016, a par exemple fait des Better Streets sa politique phare : cette proposition permettrait aux résidents de chaque rue de voter à la majorité des deux tiers pour choisir un code de conception et autoriser des extensions ou des remplacements de bâtiments allant jusqu’à 5 ou 6 étages, permettant ainsi aux maisons de banlieue d’être progressivement remplacées par des immeubles de standing.

Le concept des Better Streets, à l’heure où nous devons densifier nos espaces urbains et donc construire des logements neufs dans des quartiers déjà habités, souligne à quel point il est important de soigner l’esthétique du bâti pour convaincre les résidents actuels — notamment dans les quartiers aisés — de ne pas s’y opposer. L’idée qui consiste à faire adopter, par les habitants eux-mêmes, des normes de construction qui leur conviennent permet en outre de s’adapter au cas par cas, sans imposer une vision uniforme de la beauté. Cette recherche de l’esthétique en ville est d’ailleurs devenu un thème majeur de la politique urbaine en Angleterre, comme en témoigne le titre d’un rapport indépendant5 publié en 2020 sur commande ministérielle : Living with beauty: report of the Building Better, Building Beautiful Commission.


Notes :

  1. Données de l’OCDE relayées par le Economics Observatory
  2. London Councils, London’s housing crisis ‘threatens to break borough budgets’ amid £700m funding shortfall
  3. Notamment la https://www.housinglin.org.uk/_assets/resources/housing/policy_documents/pps3.pdf (ppg3) de 1992
  4. Peter Bibby, Jean-Marie Halleux, Richard Dunning et al., Densification douce : les leçons de l’Angleterre et de l’application du paradigme de la ville compacte, 2018, In Jean-Michel Léger, Béatrice Mariolle (Eds.) Densifier/Dédensifier. Les campagnes urbaines.
  5. Building Better, Building Beautiful Commission, Living with Beauty, janvier 2020

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