Réinventer et généraliser le village
… afin de produire l’offre massive de logements abordables et sur-mesure dont nous avons besoin, là où nous en avons besoin.
Les logements vacants
, vides
ou inoccupés
de Paris font l’objet de bien des convoitises. Beaucoup de chiffres circulent à ce propos et les règles médiatiques, renforcées par les réseaux sociaux, font que nombre d’entre eux — bien qu’en général justes — sont souvent mal interprétés. Il n’est manifestement pas inutile, ne serait-ce que dans l’intérêt du débat public, de clarifier quelques concepts et les statistiques qui en découlent.
Récapitulons : en 2021, dernières données disponibles, l’Insee a identifié 1’396’753 logements dans la capitale parmi lesquels 80.78% sont des résidences principales occupées à l’année ; le solde se répartissant en 9.74% de résidences secondaires
ou logements occasionnels
et 9.48% de logements présumés vacants
— c’est-à-dire non-habités lorsque l’agent recenseur s’est présenté.
Une résidence secondaire, au sens de l’Insee, n’est pas vacante. Au minimum, elle est ponctuellement occupée par ses propriétaires — lesquels peuvent être, par exemple, des retraités parisiens qui, pour des raisons qui les concernent, ont souhaité rester propriétaires de leur ancienne résidence principale à Paris. Mais ces résidences secondaires sont surtout les logements qui constituent l’essentiel de l’offre de meublés touristiques parisienne, notamment au travers de plateformes comme Airbnb. Il se trouve que Paris est, de loin, la ville la plus touristique de France — et ce, sans même qu’il soit nécessaire d’y organiser des jeux olympiques.
Par ailleurs, les logements occasionnels — qu’il est souvent, de l’aveu même de l’Insee, difficile de distinguer des précédents — sont, pour utiliser un langage plus commun, des pied-à-terre professionnels. Paris étant aussi la capitale politique et économique du pays, il n’est pas du tout étonnant qu’elle soit aussi la commune qui en comporte le plus en proportion du parc global (environ 3%). C’est, par exemple, dans ce type de petits logements que certains de nos députés logent lorsque leurs activités parlementaires le leur imposent mais c’est surtout le cas de bon nombre de salariés qui, n’ayant pas les moyens de loger leur famille plus près de leur lieu travail, passent la semaine seuls dans un studio.
Reste la vacance au sens strict de ce terme, laquelle, en 2021, était évaluée par l’Insee à 9.48% du parc parisien — soit 1.39% de plus que la moyenne nationale (8.09%). On peut, au premier abord, s’en étonner mais c’est méconnaître la véritable nature des logements de la capitale. Il se trouve qu’ils cumulent deux des principaux facteurs qui, partout ailleurs, tendent à générer de la vacance.
Pour commencer, le parc résidentiel parisien est massivement composé de petits logements. Selon l’Insee et en 2021, 54% des résidences principales identifiées à Paris ne sont composées que d’une ou deux pièces alors que cette proportion n’atteint pas 18.5% sur l’ensemble du territoire (hors Mayotte). Or, les logements de petite taille affichent structurellement des taux de vacance significativement plus élevés que la moyenne : sur la base des dernières données publiées par l’Insee à l’échelle nationale, par exemple, les T1 et les T2 étaient vacants à 15.6% et 11.6% contre une moyenne, toutes tailles de logements confondues, de 8%.
Pour la plupart de nos lecteurs, c’est une évidence mais une brève analyse statistiques des résidences principales françaises n’est peut-être pas inutile. Pour commencer, les T1 et les T2 sont massivement (à près de 79%) des locations occupées par des personnes seules ou des couples (à presque 95%) et forment l’essentiel des logements occupés par les étudiants ou les très jeunes actifs (plus de 65% des ménages dont la personne de référence a moins de 25 ans habitent dans ce type de logements). C’est-à-dire que ce sont des logements qui affichent un taux de rotation très supérieur à la moyenne : près de 40% des ménages parisiens recensés en 2021 avaient emménagé depuis moins de 5 ans contre 33.4% pour la France entière.
Et, comme il se trouve qu’il se passe toujours au moins quelques jours entre le moment où un logement est libéré par ses occupants précédents et l’emménagement de leurs successeurs, ces petites surfaces tendent à afficher un taux de vacance frictionnelle — c’est-à-dire simplement liée au fonctionnement normal du marché immobilier — très nettement supérieur à celui des logements plus grands. Toutes choses égales par ailleurs, cette simple spécificité du parc de la capitale justifierait sans doute un taux de vacance moyen nettement supérieur à celui des autres grandes villes du pays.
Par ailleurs, toujours selon l’Insee et en 2021, plus de la moitié des logements parisiens (51.9%) ont été construits avant 1946 contre seulement 22.4% ailleurs en France (hors Mayotte). Nous avons donc affaire à un parc très ancien qui, comme tout parc ancien, demande à être rénové pour l’adapter aux goûts et besoins du jour mais aussi, crucialement, aux nouvelles normes. Or, ces travaux sont susceptibles de rendre les logements concernés ponctuellement inhabitables — ce qui, à l’évidence, génère de la vacance.
L’exemple le plus criant, ces derniers temps, c’est évidemment la rénovation énergétique. L’Insee estimait encore récemment que plus de la moitié (54%) des résidences parisiennes appartenaient aux catégories E, F et G du Diagnostic de performance énergétique (DPE) — les fameuses passoires énergétiques
qui, en l’état et même si les pouvoir publics semblent commencer à adoucir leur position, devraient en principe être interdites à la location dans les années qui viennent. Rénover plus de la moitié du parc, notamment en tenant compte du fait que nombre de ces bâtiments ne peuvent sans doute pas être isolés par l’extérieur (les immeubles haussmanniens, typiquement), va évidemment coûter extrêmement cher mais aussi, pourrait contribuer à accroître fortement la vacance si la réglementation est appliquée, avec un intérêt objectif de certains bailleurs et de beaucoup de postulants au logement à ce que cela ne soit pas le cas.
Ce n’est bien sûr pas propre à Paris : tous nos centres-villes historiques sont concernés parce que c’est tout simplement là que se concentrent nos logements les plus anciens. À ceci près que Paris, pour des raisons historiques sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici, est à l’évidence la commune la plus exposée du pays. Là encore, on pourrait à bon droit s’étonner que le taux de vacance constaté par l’Insee dans la capitale ne soit pas plus élevé.
Le marché parisien est extraordinairement attractif — notamment parce que vivre dans la capitale permet d’accéder à énormément d’emplois par ailleurs bien très bien payés — et, l’offre de logement y étant largement saturée, le moindre mètre carré habitable est aussi précieux qu’il est possible de l’être. Concrètement : la petite taille des logements parisiens est en grande partie compensée par des durées de relocation ou de revente très courtes et les propriétaires des logements parisiens ont toutes les meilleures incitations du monde à investir afin de rendre leurs logements aussi disponibles que possible.
Quant aux fameux riches étrangers
qui, dit-on parfois, possèderaient de nombreuses résidences secondaires dans la capitale sans prendre la peine de les louer, c’est aussi une vision des choses à nuancer. D’après l’Insee, environ 20% des propriétaires de résidences secondaires à Paris résident à l’étranger (soit 1.3% du parc total) mais il va de soi que bon nombre d’entre eux sont des Français, sans doute des Parisiens, qui travaillent ponctuellement en dehors de nos frontières. Autant dire que, même si ces fameux envahisseurs étrangers existent sans doute, ils ne sauraient posséder qu’une part tout à fait anecdotique des logements parisiens.
Fin 2023, l’Apur s’est livré à l’exercice1 qui consiste à estimer — avec toute la prudence qui s’impose — le potentiel de logements vacants qui pourraient hypothétiquement être mobilisés. L’estimation de ces fins connaisseurs de la capitale était de l’ordre de la dizaine de milliers
— soit 1.3% de logements vacants depuis plus de 2 ans dont environ 0.7% qui, en l’état, peuvent raisonnablement être considérés comme habitables. Au regard de la saturation du parc, ça n’est pas négligeable mais il ne faut sans doute pas en attendre une modification significative des conditions de logement à Paris.
Notes :
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