Comment mettre fin à une servitude de droit privé ?

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9 min de lecture  |  Publié le 07/12/23

Plan de l'article

Une servitude de droit privé représente à la fois une contrainte pour le fonds servant et un bénéfice pour le fonds dominant. Elle peut avoir différentes origines (acquise de plein droit ou par convention) et peut s’appliquer à diverses thématiques (le passage, la vue, les plantations…). Une même propriété peut être grevée de plusieurs servitudes et ce avec différentes propriétés immobilières.

Il faut garder à l’esprit qu’une servitude publiée par un notaire au service de la publicité foncière porte sur une propriété et non sur un propriétaire (elle ne s’éteint pas au décès du propriétaire) : le propriétaire d’un fonds devra faire en sorte de respecter la servitude relative à son terrain. Par ailleurs, elle est opposable aux tiers, c’est-à-dire qu’elle s’applique aux propriétaires signataires mais aussi aux futurs acquéreurs et héritiers des propriétés concernées.

Selon l’évolution de la situation et les projets envisagés sur chacun des terrains, un propriétaire peut vouloir défaire une servitude. La plupart d’entre elles sont créées pour être perpétuelles et il n’est donc pas toujours aisé d’y mettre fin. Par ailleurs, étant donné qu’une servitude représente des droits et des charges appliqués à une propriété, elle influence la valeur économique des fonds qu’elle concerne, mais aussi la qualité du cadre vie qu’ils offrent. De cette manière, mettre fin à une servitude n’est pas sans conséquence et doit être mûrement réfléchi.

Dès lors, dans quels cas et par quels moyens est il possible de mettre fin à une servitude ?

1. Renonciation du fonds dominant

Le fonds dominant peut choisir de renoncer à la servitude dont il bénéficie.
Pour être opposable aux tiers, la renonciation doit être publiée par un notaire.

La renonciation peut être expresse ou tacite :

  • La renonciation expresse consiste à résilier le contrat de création de la servitude, par un acte notarié.
  • La renonciation est tacite dans le cas où le propriétaire du fonds dominant consent sans équivoque à l’édification de constructions ou autres éléments qui font obstacle à l’exercice de la servitude. Pour être opposable aux tiers, elle devra être publiée.

Attention, la renonciation ne se présume pas (V. en ce sens Cass. civ. 3 déc. 1929). L’abstention du propriétaire du terrain qui profite de la servitude (fonds dominant) ne vaut pas renonciation : si le propriétaire du fonds dominant fait preuve de passivité en n’établissant aucun acte contraire à l’exercice de la servitude, la jurisprudence ne considère pas ce cas comme une renonciation mais plutôt comme un non-usage.

Attention, le caractère tacite de la renonciation relève uniquement de l’interprétation souveraine du juge.
Dans le cas d’une servitude réciproque – c’est-à-dire lorsque les fonds sont alternativement servants et dominants – la renonciation doit provenir des deux propriétaires, elle ne peut être unilatérale.

Aussi, on ne peut renoncer à une servitude légale, c’est-à-dire obtenue de droit par application du Code civil, car elle relève du régime ordinaire de la propriété (exemple : une servitude de passage consentie pour raison d’enclave). Une servitude légale est perpétuelle.

2. Le non-usage trentenaire

Une servitude qui n’est pas utilisée pendant au moins 30 ans s’éteint (Art. 706 du Code civil).

Le non-usage trentenaire concerne toutes les servitudes du fait de l’homme (quel que soit leur mode d’acquisition, qu’elles soient apparentes, non apparentes, continues ou discontinues). Les servitudes légales – définies par le Code civil – et naturelles – obtenues de droit de par la configuration des lieux – ne sont pas concernées.

En outre, le point de départ de la prescription n’est pas le même selon si la servitude est continue ou discontinue (Art. 707 du Code civil) :

  • La durée de prescription d’une servitude discontinue, comme le passage, se compte à partir du moment où l’on a cessé d’en jouir. Dans le cas du passage il s’agit de la dernière fois que l’on a utilisé le passage. La disparition du signe apparent – le chemin qui matérialise la servitude dans le cas du passage – ne peut être considéré comme point de départ (Cass. civ., 11 janvier 2006, n° 04 16-400).
  • La durée de prescription d’une servitude continue, comme le non aedificandi, se compte à partir de la réalisation d’un acte contraire à la servitude. Dans le cas de la servitude de non aedificandi il s’agit de la date d’édification de la construction en violation de la servitude.

Si le fonds dominant est indivis, la jouissance de l’un des indivisaires empêche la prescription également à l’égard des autres.

La prescription n’est pas un acte inéluctable, le délai trentenaire peut faire l’objet d’une suspension ou d’une interruption qui l’amènerait dans les faits au-delà du délais des 30 ans.

3. La confusion des fonds

Lorsque les fonds sont réunis aux mains d’un seul et même plein propriétaire, la servitude prend fin.

Attention, si le propriétaire du fonds servant devient seul nu-propriétaire du fonds dominant, la servitude ne s’éteint pas.

4. L’extinction pour impossibilité d’usage

Une servitude s’éteint dès lors que celle-ci devient impossible à utiliser. Cette extinction peut être temporaire.

L’extinction de la servitude ne peut résulter de son inutilité (servitude de passage : Cass. 1ère civ., 7 déc. 1966). Toutefois la jurisprudence contemporaine laisse place à un débat doctrinal à ce sujet.

L’extinction n’est pas envisageable dans les cas suivants :

  • Le propriétaire du fonds servant ne peut pas faire valoir l’extinction de la servitude sur le principe qu’une contrepartie exigée en échange de la création de la servitude n’a finalement pas été exécutée (le droit réel – la servitude – n’étant pas subordonné à l’exercice du droit personnel -la contrepartie ).
  • Le propriétaire du fonds servant ne peut pas faire valoir l’extinction de la servitude sur le principe que les conditions d’exercice de la servitude ne sont pas respectées. Le non-respect des conditions d’exercice peut, par exemple, être le fait de ne pas respecter l’assiette d’une servitude de passage.

5. Perte de fonds

Si l’un des fonds disparaît, la servitude qui lui était grevée s’éteint. Par exemple, un fonds peut disparaître suite à son annexion au domaine public ou par destruction naturelle qui empêcherait sa remise en état (un terrain sous les eaux de manière définitive…).

En effet, dans un cas d’annexion au domaine public, le fonds fait l’objet d’une expropriation pour utilité publique. Et selon l’article L12-2 du Code de l’expropriation, les droits réels (tels que les servitudes) s’éteignent avec l’expropriation.

6. Cas particuliers

6.1. Expiration du contrat de servitude

Certaines servitudes sont mises en place pour une durée déterminée. Dans ce cas, le contrat de création de la servitude fait mention de la durée. Au terme de date, la servitude prend fin d’elle-même, sans qu’un accord soit passé.

L’acte de création d’une servitude peut également prévoir une condition résolutoire. La réalisation de cette condition entraîne alors la cessation de la servitude.

6.2. La servitude de cour commune

La servitude de cour commune ne peut ni s’éteindre, ni se prescrire. En effet, elle est conclue pour l’utilité publique et pas seulement dans l’intérêt de la propriété qui en bénéficie. Elle a une incidence sur l’application des règles d’urbanisme, permet la délivrance d’une autorisation d’urbanisme et a alors une portée administrative.

La modification des règles d’urbanisme n’est pas une raison pour mettre fin à la servitude de cour commune. Ce sont les règles en vigueur au moment de l’établissement de la servitude qui sont prises en compte.

6.3. Division des fonds

Les servitudes répondent au principe d’indivisibilité.

Si un fonds servant, grevé d’une servitude de non aedificandi conventionnelle, a été divisé en plusieurs lots et qu’une construction a été édifiée il y a plus de trente ans sur l’un des terrains d’assiette de la servitude, la prescription dont bénéficie le terrain construit ne vaut pas pour les autres terrains grevés issus de la division (JCPN, 7 décembre 2001, p. 1778, note Denis Lochouarn).