La vue, le jour et les ouvertures : ce que dit le Code civil

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11 min de lecture  |  Publié le 13/12/23

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J’ai un projet de construction sur un petit terrain, les documents d’urbanisme ne me permettent pas d’envisager beaucoup de possibilités d’implantation au regard de la surface que je souhaite développer. Ma construction serait alors proche de celle de mes voisins. Mes voisins pourraient-ils se retourner contre moi malgré la conformité aux documents d’urbanisme de ma maison ? Ai-je oublié de prendre en compte certaines règles ? Quels sont les risques encourus ? Puis-je demander l’accord de mes voisins afin de sécuriser mon projet ?

Dans le but de protéger la vie privée et l’intimité de chacun, le Code civil régit les vues sur la propriété de son voisin (Art. 675 à 680). Plus précisément, ces articles définissent les distances à respecter entre l’ouverture envisagée et la limite séparative avec la propriété voisine.

Il est utile de connaître ces règles lors de la création d’une ouverture dans une construction existante ou destinée à être édifiée ; notamment lorsque le projet envisagé est particulièrement contraint : lot à construire issu d’une division foncière, reconversion de surface, division d’un ensemble immobilier…

Les règles édictées par le Code civil constituent des servitudes établies par la loi, dites « servitudes légales ».

Le Code civil distingue la vue droite de la vue oblique et du jour.

1. De quoi parle-t-on ?

Il convient de faire la distinction entre une vue droite, une vue oblique et un jour car les distances règlementaires imposées par le Code civil ne sont pas les mêmes dans ces trois cas de figure. Une ouverture peut être une vue ou un jour.

1.1. Qu’est-ce qui génère une vue ?

La vue peut être générée de plusieurs manières. Un élément extérieur construit avec un plancher accessible tel qu’une fenêtre, un balcon, une terrasse, une loggia, un escalier… peut générer une vue. Mais les ouvertures en toitures sont aussi considérées comme étant vectrices de vues (lucarne, fenêtre de toit, puit de lumière…), excepté si elles ne permettent de voir que le ciel.

La Cour de cassation a arrêté qu’une fenêtre de toit permettant une vue droite sur la propriété voisine par le moyen d’une échelle était soumise aux règles imposées par le Code civil, de la même manière que n’importe quelle autre vue (C.Cass., Civ. 3rd, 19/01/2005, n°03-19.179).

1.2. Le jour ou jour de souffrance

Attention, les briques de verre ne sont pas considérées comme une ouverture par la jurisprudence, mais bien comme faisant partie de l’ouvrage lui-même (Cass. Civ 3, 11.4.2012, N° 427 et Pôle 4, Ch. 1, R.G. N° 11/01209). Elles sont assimilables à une paroi de mur qui échappe à la règlementation des vues et jours du Code civil. On distingue les couleurs du paysage mais pas les formes des objets. Elles permettent exclusivement le passage de la lumière. Cependant, elles ne peuvent pas être ouvertes, elles sont démunies de châssis. Ainsi, on ne peut les qualifier de verre dormant. Elles ne sont donc pas un jour au sens de l’article 676 du Code civil.

En savoir plus : 📰 Ai-je le droit d’installer des briques de verre en limite de propriété pour éclairer ma maison ?

2. Le cas de la vue droite

La vue droite est mentionnée à l’article 678 du Code civil. Il s’agit d’une vue qui permet de voir directement chez le voisin sans avoir à tourner la tête, ni à se pencher.

Dans le cas d’une vue droite, le Code civil exige une distance minimum de 1,9m entre l’ouverture et la limite séparative.

Cependant, une servitude de droit privé peut permettre de diminuer la distance imposée par le Code civil.

3. Le cas de la vue oblique

La vue oblique est mentionnée à l’article 679 du Code civil. Il s’agit d’une vue qui implique d’avoir à tourner la tête pour voir chez le voisin.

Dans le cas d’une vue oblique, dont le mur d’ouverture est exactement perpendiculaire à la limite séparative, le Code civil exige une distance minimum de 60cm à partir de l’angle de l’ouverture la plus proche de la propriété voisine.

Cependant, une servitude de droit privé peut permettre de diminuer la distance imposée par le Code civil.

Dans certains cas, les documents d’urbanisme locaux définissent la vue oblique différemment, leur définition fait foi.

En savoir plus : 📰 Voir et être vu : tout comprendre aux servitudes de vue et de jour

4. Le jour

Le jour est mentionné aux articles 675, 676 et 677 du Code civil. Les règles qui le régissent dépendent de son emplacement.

Sur un mur non mitoyen, implanté en limite séparative, il est possible de créer des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant. En revanche, les hauteurs de ces ouvertures sont règlementées :

  • Au rez-de-chaussée, le jour doit être situé à 2,6m minimum du niveau du sol.
  • A l’étage, le jour doit être situé à 1,9m minimum du niveau du plancher.

L’étendue en largeur des jours de souffrance n’est pas règlementée, seulement l’est leur hauteur.

Les fenêtres ­— obligatoirement à verre dormant — doivent être accompagnées d’une grille en fer dont les mailles sont espacées de 10cm maximum.

Cependant, une servitude de droit privé peut permettre de diminuer les distances imposées par le Code civil.

Attention, dans un mur mitoyen, il n’est pas possible de créer une fenêtre ou une ouverture, même à verre dormant, sans le consentement du voisin.

5. Cas particuliers

5.1. Mur aveugle ou toit fermé

Si l’ouverture donne sur un mur aveugle ou un toit fermé, les Tribunaux considèrent qu’il s’agit de vues non gênantes. Dans ce cas, ils font généralement preuve de clémence (ce qui signifie qu’il n’est pas obligatoire de respecter les distances édictées par le Code civil). Mais il faut garder à l’esprit que seule l’appréciation souveraine des juges du fond peut définir la gêne occasionnée.

5.2. Servitude de passage

Lorsque le fonds est grevé d’une servitude de passage, une servitude de vue s’applique également en dépit de ce qu’impose le Code civil (Cass. 3e civ. 14 mars 1973, n°72-10676).

En savoir plus : 📰 Desservir un lot à bâtir : la servitude de passage et la servitude de tréfonds

5.3. Présence d’une voie publique entre les deux propriétés voisines

Les articles du Code civil au sujet des servitudes de vue ne s’appliquent pas dès lors que la vue donne sur la voie publique (Cass. 3e civ. 28 sept. 2005, n°04-13942).

5.4. Présence d’une voie privée qui n’appartient à aucun des deux fonds entre les deux propriétés voisines

Lorsqu’une voie privée ou sans maître passe entre les deux propriétés, la Cour de cassation a arrêté qu’il en était de même que pour une voie publique ; c’est-à-dire que les dispositions du Code civil ne sont pas applicables « attendu que les distances prévues par ce texte ne s’appliquent que lorsque les fonds sont contigus » (Cass. 3e civ., 23 nov. 2017, n° 15-26240).

Exemple : Les deux propriétés sont séparées par une voie privée ou sans maître. Dans ce cas il est possible pour les deux fonds de créer des vues en sur la voies, y compris en limite de propriété et ce même si la voie privée est d’une largeur inférieure à 1,90 mètre (distance considérée par le Code Civil comme minimale pour créer une vue droite sur une propriété voisine)

Ainsi, le propriétaire du fonds jouxtant immédiatement cette voie ou bande de terrain ne pourra se retourner contre le propriétaire de la vue créée sur le fondement des articles 678 et 679 du Code civil.

Afin de se prévaloir de tout litige, le propriétaire qui souhaite créer la vue peut conclure une servitude de vue avec le propriétaire de la bande de terrain (s’il existe), ce qui lui permettra de créer une vue proche de la limite.

5.5. Copropriété

Les articles du Code civil portant sur les vues et les jours ne sont pas applicables entre copropriétaires d’un ensemble immobilier — notamment en cas de copropriété horizontale. La Cour de cassation écarte les articles 678 et 679. En effet, ces derniers ne s’appliquent qu’entre deux propriétés privatives uniquement.

6. Ce que disent les documents d’urbanisme

Les documents d’urbanisme déterminent les distances à respecter entre les constructions et les limites séparatives, en fonction de leur degré d’ouverture (mur aveugle, baies principales, baies secondaires). Ils peuvent également prendre le parti de ne pas règlementer cette question.

Les règlements d’urbanisme règlementent l’implantation des constructions sur le terrain. Ainsi, il est tout à fait possible que les distances qu’il impose soient supérieures à celles définies par le Code civil. Dans ce cas, la distance minimum à retenir est celle imposée par les documents d’urbanisme.

A titre d’exemple, le règlement d’urbanisme d’une zone peut imposer une marge de retrait des constructions par rapport aux limites séparatives, pour les façades avec baies principales, au moins égale à la moitié de la hauteur de la construction avec un minimum de 3m ; et pour les façades avec baies secondaires, au moins égale à la moitié de la hauteur de la construction avec un minimum de 2m.

Par ailleurs, les documents d’urbanisme peuvent règlementer la taille des fenêtres et des balcons : il convient de se renseigner sur la règlementation d’urbanisme avant de créer une ouverture.

6.1. Ouvrir une façade existante

Si la construction est conforme aux documents d’urbanisme en vigueur, le percement d’une baie doit permettre de garantir cette conformité. Concrètement, cela signifie que l’ouverture envisagée est possible si elle respecte les distances édictées par les documents d’urbanisme.

Dans le cas où la construction existante n’est pas conforme aux documents d’urbanisme en vigueur, aucun travaux ne pourront être engagé s’ils aggravent la non-conformité (CE 27 mai 1988 Mme Sekler, req. n° 79530).

Attention, la création d’une ouverture requiert l’obtention d’une autorisation d’urbanisme. L’instruction de cette autorisation ne prend pas en compte le Code civil, les autorisations d’urbanisme étant délivrées sous réserve du droit des tiers (Art. A424-8 du Code de l’urbanisme). Le porteur de projet doit donc s’assurer de la conformité de son projet au Code civil ainsi qu’aux éventuelles servitudes de droit privé.

7. Quelle sanction pour une ouverture illégale ?

Il est possible de contester une ouverture illégale en saisissant le tribunal.

En cas de conflit, le juge prend notamment en compte l’effort que demande la possibilité de voir chez le voisin ainsi que la possibilité de regarder de manière constante et normale.

Une ouverture illégale risque d’être obstruée ou démolie (dans le cas d’une terrasse ou d’un balcon par exemple).

Le cas de sanction encouru le plus lourd correspond à l’obstruction ou la démolition de l’ouverture illégale (dans le cas d’une terrasse ou d’un balcon par exemple).

8. Comment se mesure la distance entre l’ouverture et la limite ?

Selon l’article 680 du Code civil, la distance se compte « depuis le parement extérieur du mur où l’ouverture se fait, et, s’il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu’à la ligne de séparation des deux propriétés ».

Concernant le côté voisin, c’est la limite séparative qui constitue le point de départ du mesurage.