L’image ci-dessous représente la zone de butinage d’une ruche dans le cœur de Tokyo
Vivre en maison à quelques minutes à pied du métro
: Les abeilles y font 3 à 4 kilomètres pour trouver leurs ressources : nectar (ronds) et pollens (triangles). Les abeilles-chercheuses (il y en aurait quelques centaines par ruche) localisent les spots de ressources dans la ville et vont mobiliser la troupe des butineuses en communiquant les coordonnées et la qualité des spots par une
danse
adaptée.
C’est d’ailleurs en lisant ce langage des abeilles (découvert par Karl von Frish1, prix Nobel 1973) que les chercheurs japonais ont établi cette carte.

Cette carte localise, par l’analyse de la danse des abeilles, les ressources florales d’un rucher positionné dans le quartier de Shinanomachi (arrondissement de Shinjuku) en plein cœur de la plus grande métropole du monde.
Ce travail de recherche réalisée en 19952 nous apprend par exemple que les abeilles vont rarement vers les grands parcs (comme le parc du palais d’Akasaka à l’Est ou le jardin impérial de Shinjuku à l’ouest) : elles fréquentent davantage les tissus urbains alentours, ce qui démontre leur richesse en ressources florales. Au beau milieu des tissus des maisons de Shinjuku, elles parcourent ainsi une distance de 3 à 4 km.
Ce langage3 couplé à de grandes capacités de navigation permet la vie de colonies dans des paysages nutritifs en apparence très contraints.
A Tokyo comme dans d’autres grandes villes, on voit que l’apiculture urbaine est une carte à jouer pour renouer avec la Nature et apprendre sur la biodiversité4.
Cette réussite s’appuie évidemment sur une très riche palette végétale urbaine, diversifiée (mondialisée !) et à floraisons quasi continues
Arbres et nutri-score urbain
. Ce sont par exemple plus de 70 espèces d’arbres qui sont plantées dans les rues tokyoïtes5.
C’est bien entendu une confirmation : nos butineuses couvrent usuellement ces distances, quitte à pousser plus loin si les ressources sont massives. Ainsi de grandes étendues fleuries peuvent justifier des butinages à 5 ou 6 km des ruches, de même la recherche de ressources vitales, comme certains pollens, se font jusqu’à 10 km…
Pour les autres mangeurs de fleurs, les données sont parcellaires : on estime que les bourdons font leurs emplettes dans un rayon d’1 km autour de leur nid, et que les petites abeilles sauvages restent à quelques centaines de mètres seulement de leurs nids6. Ces rayons ne correspondent pas à leur potentiel de dispersion qui, lui, est bien plus grand.
Retenons de Tokyo que l’ archipellisation7 de nos paysages simplifiés et appauvris, à manques de fleurs criants, pourrait faciliter la vie de nombreux mangeurs de pollens, et de toute une biodiversité, en y infusant des ressources.
Imaginons et plantons des îlots d’arbres et arbustes à phénologies8 complémentaires à nos flores : un tous les 3 ou 4 kilomètres.
Mobilisons tous les espaces qui peuvent être jardinés
Densifier et jardiner
dans nos villes et nos campagnes : côté privé dans nos jardins, mais aussi côté collectifs comme les ronds-points routiers (il y en aurait plus de 55’000 !), les cimetières, les bosquets et lisières perdues dans les terroirs céréaliers et viticoles, les délaissés routiers et bas côtés vidés à l’excès…
L’ archipel comme solution pour éviter les mers vides de fleurs
Le “trou” floral : un effet rebond du changement climatique
que nous avons créées.
Notes :
- Karl von Frisch (1886-1982), zoologiste et éthologiste autrichien, est une figure majeure de l’étude du comportement animal. Spécialisé dans la communication des abeilles domestiques (Apis mellifera), il a reçu le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1973 pour ses découvertes révolutionnaires qui ont jeté les bases de l’éthologie moderne. Dans les années 1920-1940, il a décodé le
langage des abeilles
, révélant comment elles communiquent la localisation des ressources via des danses. La danse en rond signale une ressource proche (moins de 100 m), tandis que la danse en huit précise la direction (par rapport au soleil) et la distance (via la vitesse du frétillement) pour des sources plus éloignées. Ces danses reflètent la qualité de la ressource et optimisent la coopération dans la colonie.
Ses travaux, publiés notamment dans les années 1940, restent largement valides aujourd’hui, bien que complétés par des études modernes sur les variations entre espèces et les mécanismes sensoriels. - in. Sasaki, Masami. Le monde des fleurs vu par les abeilles : Les plantes nectarifères des quatre saisons et les dons des abeilles (蜂からみた花の世界 : 四季の蜜源植物とミツバチからの贈り物). Kyoto : Kyoto University Press, 2010.
- Des travaux récents, fondés sur les découvertes de Karl von Frish et mobilisant l’IA (notamment ceux de la Brigham Young University), pour traduire le langage corporel des abeilles en coordonnées géographique illustre l’extraordinaire précision de la communication des abeilles et son potentiel pour la recherche contemporaine.
La danse en huit des abeilles encode la direction (angle par rapport au soleil) et la distance (durée du frétillement) d’une source de nourriture, permettant une conversion en coordonnées géographiques relatives à la ruche. Par exemple, un frétillement de 2 secondes à 45° à droite indique une source à environ 2 km, 45° à droite du soleil. - Onodera, Fukumi.
Sustainable Urban Development through Beekeeping
. TOKYO UPDATES, 24 novembre 2023. - Araki, Satoshi.
Tokyo’s Street Trees
. - Walther-Hellwig, K. and Frankl, R. (2000), Foraging habitats and foraging distances of bumblebees, Bombus spp. (Hym., Apidae), in an agricultural landscape. Journal of Applied Entomology, 124: 299-306. https://doi.org/10.1046/j.1439-0418.2000.00484.x
- On peu définir l’archipellisation comme la fragmentation des habitats floraux en patches ou
îles
de végétation dispersés mais interconnectés, formant un réseau comparable à un archipel. Ces zones, riches en plantes nectarifères ou pollinifères, fonctionnent comme des réservoirs autonomes pour les pollinisateurs (abeilles, papillons), tout en étant reliées par des corridors écologiques (haies, parcs, alignements d’arbres dans les rues). Ce phénomène, parallèle à l’urbanisation, soutient la biodiversité en ville en offrant des ressources florales discontinues mais accessibles aux espèces mobiles… - La phénologie est l’étude des événements biologiques périodiques des organismes vivants, comme la floraison, la feuillaison, la fructification ou la migration chez les animaux, en relation avec les facteurs environnementaux, notamment le climat et les saisons. Elle observe et enregistre les dates et les conditions de ces phénomènes pour comprendre leur variation dans le temps et leur lien avec les changements environnementaux, comme la température.