Biodiversité : vers un nutri-score de nos plantations ?

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4 min de lecture.  |  Publié le 17/12/24

PP-ICON – LIFE09 | flickr.com

En matière de biodiversité tous les végétaux ne se valent pas. La qualité, la quantité et le calendrier de la disponibilité des ressources qu’il peuvent fournir aux insectes (dont les pollinisateurs) sont des clés pour préserver et renforcer la biodiversité à la ville comme à la campagne.

Le nutri-score de nos plantations n’existe pas encore, mais on y est presque tant le consensus scientifique1 se fait sur les éléments en jeu.

Face au deux défis devant nous — changement climatique et chute drastique de la biodiversité — une plantation classée A serait bien entendu résiliente, utile à nos besoins (bois, fruits, contrôles de l’eau, des ravageurs…) mais aussi à la Nature.

Le début de la notation, commencerait par l’offre en pollens pour les innombrables mangeurs de fleurs (pollinisateurs, auxiliaires, et mille vies qui attendent les pollens pour leurs protéines corporelles, y compris ceux des pollens tombés au sol où l’azote rare est si nécessaire aux détritivores pour boulotter le carbone et en faire de l’humus…).

Le pollen en serait le facteur n°1, car sa diversité qualitative est impérative : pour nous la règle c’est cinq fruits et légumes, pour les insectes, c’est trois pollens ! … seule façon d’avoir les acides aminés vitaux qu’aucune fleur seule n’est à même de fournir. La qualité nutritionnelle et la diversité de la nutrition pollinique peuvent façonner la santé des abeilles2 : il s’agirait notamment d’un facteur important concernant leur résistance aux parasites et leur survie hivernale.

Le nectar en serait le facteur n°2 : il fournit une source d’énergie (sucres, dont le glucose, le fructose et le saccharose) essentielle à de nombreux insectes. Il constitue également une source d’acides aminés3 qui peuvent contribuer au réseau d’interactions plante-insecte4, notamment en affectant la physiologie du système nerveux de l’insecte.

On constatera sur ces deux points, que tous les végétaux n’ont pas les mêmes apports5 (figure n°1).

L’assemblage planté dans nos paysages, jardins, haies (figure n°2), bosquets,.. est de même importance : l’offre se doit d’être continue pour éviter disettes et malbouffe en été et automne, lorsque les trous floraux s’élargissent avec le changement climatique. Elle doit aussi être assurée dans la douceur hivernale pour les sorties de plus en plus précoces d’insectes, bourdons en tête. La continuité impose une palette renouvelée.

Un travail de recherche empirique6, en quantifiant la visite des bourdons (Bombus sp.) et abeilles — parmis lesquelles cinq familles dominaient l’échantillon : Andrenidae, Apidae (dont Apis mellifera, l’abeille domestique), Colletidae, Halictidae, Megachilidae — sur 72 espèces de plantes ligneuses à fleurs dans 373 zones urbaines et périurbaines du Kentucky et du sud de l’Ohio (USA), a permis aux chercheurs d’identifier les assemblages d’espèces les plus attractives pour ces insectes (figure n°3).

Bilan, il faut planter des phénologiques florales complémentaires pour un calendrier sans trous ; avec arbres et arbustes anémophiles (beaucoup de pollen, tôt…), entomophiles (qualité des pollens et nectar), nouvelles arrivées, acclimatées du sud ou de plus loin (figure n°4) , pour des floraisons estivales ou improbables, sans oublier certaines créations horticoles.

Le nutri-score se dessine, pour éviter disette et malbouffe.

La recette est simple : des ingrédients de qualité (végétaux à pollens) + un assemblage en grande diversité (phénologie).

Face au climat qui vient, qui compacte les floraisons (on en a perdu presque un mois…) et dégrade, en quantité et qualité, leurs offres de ressources, un panachage de nos végétaux avec des essences aux phénologies plus adaptées et plus résilientes est nécessaire. Avis aux planteurs pour l’avenir.


Figure n°1 : Arbre phylogénétique d’espèces végétales coloré par leur ratios protéines/lipides (rapport P:L) associé. Pour certaines espèces, des populations distinctes analysées séparément sont représentées par des nombres différents. Source : A.D. Vaudo et al.

Figure n°2 : Haie champêtre incluant un savonnier de Chine (Koelreuteria paniculata) dont la floraison estivale prolongée fournit des ressources aux pollinisateurs. Source : Yves Darricau

Figure n°3 : Quantification des assemblages d’abeilles et de l’attractivité des plantes ligneuses à fleurs pour la conservation des pollinisateurs urbains. Source : Bernadette M. Mach & Daniel A. Potter

Figure n°4 : Papillon monarque et abeilles domestique butinant les fleurs d’un arbre au sept fleurs (Heptacodium miconoides) : cet arbuste originaire de Chine est un grand pourvoyeur de nectar et de pollen pour les insectes butineurs. Source : Fred Ortlip | flickr.com

Notes :

  1. A.D. Vaudo, L.A. Dyer, A.S. Leonard, Pollen nutrition structures bee and plant community interactions, Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 121 (3) e2317228120, https://doi.org/10.1073/pnas.2317228120(2024).
  2. Di Pasquale G, Salignon M, Le Conte Y, Belzunces LP, Decourtye A, Kretzschmar A, et al. (2013) Influence of Pollen Nutrition on Honey Bee Health: Do Pollen Quality and Diversity Matter? PLoS ONE 8(8): e72016. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0072016
  3. Nepi, Massimo. (2014). Beyond nectar sweetness: The hidden ecological role of non-protein amino acids in nectar. Journal of Ecology. 102. 108-114.
    https://doi.org/10.1111/1365-2745.12170
  4. Nepi, Massimo & Grasso, Donato & Mancuso, Stefano. (2018). Nectar in Plant–Insect Mutualistic Relationships: From Food Reward to Partner Manipulation. Frontiers in Plant Science. 9. DOI: 10.3389/fpls.2018.01063/full
  5. Atlas des pollen du conseil pour la recherche agricole et l’économie (CREA) est l’organisme de recherche italien qui opère sous la tutelle du ministère de l’Agriculture : https://pollenatlas.net/index.php/atlas/pollen-profiles
  6. Mach, Bernadette & Potter, Daniel. (2018). Quantifying bee assemblages and attractiveness of flowering woody landscape plants for urban pollinator conservation. PLOS ONE. 13. e0208428. 10.1371/journal.pone.0208428. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0208428.

COMMENTAIRES

  1. Yves Darricau dit :

    Pour l’invasivité ,qui ne concerne que très marginalement les pollinisateurs, il y a pléthore de listes et de papiers/ controverses faciles d’accès …;

    Le plus utile est de commencer par ce qu’en a écrit l’Ethnobotaniste Pierre Lieutaghi dans :
    -> Une ethnobotanique méditerranéenne : plantes, milieux végétaux et sociétés, des témoignages anciens au changement climatique, dernière edition de 2017 ;
    -> et dans :Les plantes et l’effroi – Actes du séminaire 2011, musée de Salagon .

    Pour l’exotisme, l’étude (https://www.frontiersin.org/journals/sustainable-food-systems/articles/10.3389/fsufs.2024.1411410/full ) souligne que « la teneur nutritionnelle du pollen des espèces végétales indigènes et introduites ne présente aucune différence significative …Cette continuité de la nutrition du pollen, quelle que soit l’endémie, démontre le potentiel remarquable d’adaptation des pollinisateurs aux ressources nouvelles et en constante évolution de leurs écosystèmes ».

    Une autre étude menée sur les aménagements urbains incluant les Lagerstroemia , horticoles-exotiques ,apporte aussi une information : l’exotisme floral satisfait les pollinisateurs – y.c sauvages –
    voir: https://bioone.org/journals/florida-entomologist/volume-99/issue-1/024.099.0108/Use-of-Crape-Myrtle-Lagerstroemia-Myrtales–Lythraceae-Cultivars-as/10.1653/024.099.0108.full
    Cette étude renvoie sur d’autres du même thème …

    On retiendra que La combinaison d’espèces végétales indigènes, d’exotiques et de variétés horticoles, revêt un gros potentiel, en cette phase de changement climatique rapide, pour assurer des ressources florales diverses et continues à tous les pollinisateurs.

    Les arbres et arbustes que nous pouvons facilement utiliser sont déjà connus et pratiqués, visibles en parcs & arboretum, et n’ont démontré aucune nocivité contre la biodiversité (ni contre notre santé).

  2. Matillon Louise dit :

    Bonjour,

    Cet article est très intéressant, et utile pour orienter les choix de plantations! Planter n’est bien pas synonyme de biodiversité..! En revanche, l’article n’intègre pas du tout la dimension exotique et envahissante des essences. Qu’en est-il ? Quel arbitrage proposer?

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