Rénovation énergétique : sortir des « mono-gestes »… ou des politiques publiques « mono-objectif » ?
La rénovation aidée ne doit pas être un déversoir à argent public mal utilisé parce qu’employé sans compréhension de la nature des besoins.
La tribune de Denis Caraire
L’industrie aérospatiale connait en ce moment une double révolution. Celle de la réutilisation, tout d’abord, avec la généralisation progressive du retour sur terre du 1er étage des fusées. Elle permet de diviser par 10 les coûts de mise en orbite des satellites [1]. Celle des micro lanceurs, ensuite, qui placent en orbite des constellations de petits satellites plus légers, moins chers, offrant une meilleure robustesse collective.
Beaucoup plus près de nous, et sans doute de nos préoccupations, c’est une autre conquête de l’espace qui se joue : la production de foncier constructible pour répondre aux besoins des ménages. La réutilisation du foncier bâti et les constellations de micro-projets sont peut-être également sur le point de changer la donne pour les collectivités territoriales et les acteurs de l’aménagement de l’espace… terrestre.
Nous manquons massivement de logements abordables là où les gens veulent travailler et vivre [2]. Le revenu minimum pour pouvoir acheter un logement à crédit a explosé entre 2016 et 2021 [3] avec, entre autres conséquences un développement fulgurant du « sans-abrisme », un endettement massif des ménages et un impact désastreux sur les déplacements entre lieux d’emploi et territoires les plus abordables.
Les maires et les intercommunalités n’ont ni les moyens pour des politiques foncières massives, ni le temps pour apporter des réponses au travers des différentes étapes des filières longues de la production immobilière, dans une « logique d’entonnoir » (identifier par des études les fonciers les plus stratégiques, engager leur acquisition via des outils dédiés, contraindre les opérations pour qu’elles soient les plus vertueuses possibles, et déclencher une production par grosses opérations). Pèse également sur eux le rejet par leurs administrés d’un modèle de production aboutissant à de grandes opérations denses, fussent-elle bien situées et environnementalement performantes.
À l’inverse, une mobilisation des fonciers diffus peut-elle être productive et vertueuse ?
220 projets logements menés à bien en 5 ans, sans acquisitions foncières par la collectivité publique, sans construction par des opérateurs publics, sans étalement urbain et en plein cœur de ville… C’est le bilan provisoire de l’opération BIMBY de Périgueux.
Périgueux compte 30’000 habitants, avec, depuis les années 1960, une chute démographique qui semble difficile à enrayer (vingt familles en moins par an). La difficulté de la ville-centre à attirer et fixer des habitants contraste avec la tendance générale de l’agglomération, qui accueille chaque année une cinquantaine de familles supplémentaires.
L’opération « Bimby » (Beauty In My BackYard, de la beauté dans mon jardin) a débuté en 2016. Après que le travail d’élaboration du PLU ait révélé 5’700 unités foncières déjà bâties avec du foncier résiduel constructible, la Ville a ajusté son règlement d’urbanisme, repris depuis dans le cadre du PLUi communautaire, pour permettre des projets individuels de création de logements sur des bases allant dans le sens de l’intérêt général.
Une convention entre la Ville et le LIV [4] a permis la mise en place à partir de 2016 d’un accompagnement complet des particuliers porteurs de projets, de l’émergence des premières idées jusqu’à la livraison des logements, par une équipe d’expérimentation dont la rémunération est proportionnelle à l’atteinte des résultats. L’opération est gratuite pour les propriétaires bénéficiaires. Habitants maîtres d’ouvrages agissent sur leurs propres fonciers.
La stimulation et la qualification d’une offre portée par des centaines de particuliers a nécessité la construction de compétences croisant architecture, urbanisme, gestion de patrimoine, médiation, etc. pour offrir un service complet et attentif aux particuliers maîtres d’ouvrage, et coopérer avec eux dans la production de logements en autopromotion, sur des fonciers n’appartenant pas à la collectivité [5].
Les habitants maîtres d’ouvrages agissent sur leurs propres fonciers, avec leurs propres prestataires, choisis librement. Une multitude de scénarios et de produits immobiliers sont déployés, du locatif neuf à la maison familiale sur terrain à bâtir détaché, en passant par des reconfigurations d’immeubles créatrices de logements. Ces habitants bâtisseurs sont accompagnés jusqu’à la contractualisation avec les professionnels locaux, associés dès le départ à l’opération, et la réalisation. Plus de 500 particuliers sont accompagnés simultanément.
Outre une rapidité de construction de l’offre nouvelle, la nature des produits immobiliers ainsi créés a révélé une série d’avantages.
Après Périgueux, 6 territoires en France ont engagé des expérimentations du même type [6]. Le choix de la rapidité et des micro-projets est aussi un choix de technicité et d’agilité. Si un basculement intervient, ce sera en premier lieu dans l’approche des filières de l’offre foncière et immobilière, en mettant fin à la« logique de l’entonnoir » qui concentre tous les efforts sur les fonciers les plus supposément aptes à accueillir de gros projets, qui concentrent toutes les attentes, et donc toutes les contraintes.
Ce sera aussi dans une exigence nouvelle des collectivités publiques à l’égard des « opérateurs de l’offre diffuse », dont les nécessaires capacités techniques, méthodologiques et la souplesse d’action ouvrent la voie à un renouvellement des métiers de l’urbanisme pour mettre sur orbite l’offre dont les Français ont besoin.
NOTES
[1] Ariane, une fusée dans un trou noir, de Claude Soula, 03/09/2021 in l’Obs.
[2] Immobilier : la France souffre d’une grave pénurie de logements abordables, d’Isabelle Rey-Lefebvre, 10/09/2021 in Le Monde.
[3] Capital, 26/08/2021, source Meilleurtaux.
[4] LIV : laboratoire de recherche et développement de Villes Vivantes.
[5] https://bimby.perigueux.fr/
[6] Communauté Urbaine Creusot Montceau, SCoT des Vosges Centrales, Pays de Vitré, Ville de Châteaugiron, Valenciennes Métropole, Communauté de Communes du Bassin de Pompey.
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