Conquête de l’espace : les collectivités sur la rampe de lancement ?

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7 min de lecture.  |  Publié le 16/03/23

La tribune de Denis Caraire

La « production » de foncier constructible pour répondre aux besoins des ménages

L’industrie aérospatiale connait en ce moment une double révolution. Celle de la réutilisation, tout d’abord, avec la généralisation progressive du retour sur terre du 1er étage des fusées. Elle permet de diviser par 10 les coûts de mise en orbite des satellites [1]. Celle des micro lanceurs, ensuite, qui placent en orbite des constellations de petits satellites plus légers, moins chers, offrant une meilleure robustesse collective.

Beaucoup plus près de nous, et sans doute de nos préoccupations, c’est une autre conquête de l’espace qui se joue : la production de foncier constructible pour répondre aux besoins des ménages. La réutilisation du foncier bâti et les constellations de micro-projets sont peut-être également sur le point de changer la donne pour les collectivités territoriales et les acteurs de l’aménagement de l’espace… terrestre.

Le besoin d’un passage à l’action agile, rapide, économique

Nous manquons massivement de logements abordables là où les gens veulent travailler et vivre [2]. Le revenu minimum pour pouvoir acheter un logement à crédit a explosé entre 2016 et 2021 [3] avec, entre autres conséquences un développement fulgurant du « sans-abrisme », un endettement massif des ménages et un impact désastreux sur les déplacements entre lieux d’emploi et territoires les plus abordables.

Les maires et les intercommunalités n’ont ni les moyens pour des politiques foncières massives, ni le temps pour apporter des réponses au travers des différentes étapes des filières longues de la production immobilière, dans une « logique d’entonnoir » (identifier par des études les fonciers les plus stratégiques, engager leur acquisition via des outils dédiés, contraindre les opérations pour qu’elles soient les plus vertueuses possibles, et déclencher une production par grosses opérations). Pèse également sur eux le rejet par leurs administrés d’un modèle de production aboutissant à de grandes opérations denses, fussent-elle bien situées et environnementalement performantes.

À l’inverse, une mobilisation des fonciers diffus peut-elle être productive et vertueuse ?

La preuve par Périgueux

220 projets logements menés à bien en 5 ans, sans acquisitions foncières par la collectivité publique, sans construction par des opérateurs publics, sans étalement urbain et en plein cœur de ville… C’est le bilan provisoire de l’opération BIMBY de Périgueux.

Périgueux compte 30’000 habitants, avec, depuis les années 1960, une chute démographique qui semble difficile à enrayer (vingt familles en moins par an). La difficulté de la ville-centre à attirer et fixer des habitants contraste avec la tendance générale de l’agglomération, qui accueille chaque année une cinquantaine de familles supplémentaires.

L’opération « Bimby » (Beauty In My BackYard, de la beauté dans mon jardin) a débuté en 2016. Après que le travail d’élaboration du PLU ait révélé 5’700 unités foncières déjà bâties avec du foncier résiduel constructible, la Ville a ajusté son règlement d’urbanisme, repris depuis dans le cadre du PLUi communautaire, pour permettre des projets individuels de création de logements sur des bases allant dans le sens de l’intérêt général.

Une convention entre la Ville et le LIV [4] a permis la mise en place à partir de 2016 d’un accompagnement complet des particuliers porteurs de projets, de l’émergence des premières idées jusqu’à la livraison des logements, par une équipe d’expérimentation dont la rémunération est proportionnelle à l’atteinte des résultats. L’opération est gratuite pour les propriétaires bénéficiaires. Habitants maîtres d’ouvrages agissent sur leurs propres fonciers.

La stimulation et la qualification d’une offre portée par des centaines de particuliers a nécessité la construction de compétences croisant architecture, urbanisme, gestion de patrimoine, médiation, etc. pour offrir un service complet et attentif aux particuliers maîtres d’ouvrage, et coopérer avec eux dans la production de logements en autopromotion, sur des fonciers n’appartenant pas à la collectivité [5].

Les habitants maîtres d’ouvrages agissent sur leurs propres fonciers, avec leurs propres prestataires, choisis librement. Une multitude de scénarios et de produits immobiliers sont déployés, du locatif neuf à la maison familiale sur terrain à bâtir détaché, en passant par des reconfigurations d’immeubles créatrices de logements. Ces habitants bâtisseurs sont accompagnés jusqu’à la contractualisation avec les professionnels locaux, associés dès le départ à l’opération, et la réalisation. Plus de 500 particuliers sont accompagnés simultanément.

Les 7 vertus des micro-projets et de l’autopromotion

Outre une rapidité de construction de l’offre nouvelle, la nature des produits immobiliers ainsi créés a révélé une série d’avantages.

  • 1 | Abordable : reposant sur une filière courte, en autopromotion, avec une seule transaction ou sans transaction, des constructions à l’unité, l’opération produit des logements en moyenne 800 € moins cher au m2 que les filières longues de la promotion immobilière, soit 70’000 € de moins pour un logement de 90 m2.
  • 2 | Acceptable : reposant sur de petites unités, dispersées dans le tissu existant, avec une médiation de voisinage et un accompagnement de la conception à la réalisation, l’offre nouvelle ne déclenche pas de rejet massif, et les difficultés qui pourraient survenir sur un projet ne compromettent pas l’avancement des autres.
  • 3 | ZAN : en créant une offre sur des fonciers déjà bâtis, l’opération contribue au zéro étalement, et à la zéro artificialisation pour les projets créateurs de logements en reconfiguration de l’existant ou lorsque des jardins et espaces extérieurs végétalisés sont créés ou recréés.
  • 4 | Familiale : l’offre nouvelle créée repose très largement sur la production de terrains à bâtir en cœur de ville associant un modèle d’habitat adapté et désiré par les familles (taille, espaces extérieurs privatifs) et une proximité aux services et aux emplois.
  • 5 | Sur mesure : la diversité de l’offre créée, dans ses fonctionnalités, sa localisation, ses prix, son aspect, est à l’image de la multiplicité des projets individuels qui lui ont donné le jour. Il est plus facile de trouver chaussure à son pied lorsqu’on a le choix.
  • 6 | Climat-positive : par opposition au modèle dominant à Périgueux d’une croissance de l’offre en périphérie, les relocalisations permises par l’opération BIMBY permettent, via une réduction des déplacements constatée sur la base des profils de ménages accueillis, une économie d’émission de 30’000 tonnes de CO2 en 40 ans pour 250 logements, 25 fois les impacts de la plantation de 1’000 arbres en ville pendant la même période.
  • 7 | Belle : la taille compacte de chaque projet, le travail sur le végétal et les espaces extérieurs, l’ingéniosité et l’effort de conception nécessaire à l’implantation de nouveaux logements sur des fonciers déjà bâti et des quartiers constitués, mais aussi la chaîne qualitative créée avec les professionnels locaux, les services de l’architecture et ceux de l’application du droit des sols, contribue à un embellissement des quartiers et conforte leur identité.

Diffuser le diffus ?

Après Périgueux, 6 territoires en France ont engagé des expérimentations du même type [6]. Le choix de la rapidité et des micro-projets est aussi un choix de technicité et d’agilité. Si un basculement intervient, ce sera en premier lieu dans l’approche des filières de l’offre foncière et immobilière, en mettant fin à la« logique de l’entonnoir » qui concentre tous les efforts sur les fonciers les plus supposément aptes à accueillir de gros projets, qui concentrent toutes les attentes, et donc toutes les contraintes.

Ce sera aussi dans une exigence nouvelle des collectivités publiques à l’égard des « opérateurs de l’offre diffuse », dont les nécessaires capacités techniques, méthodologiques et la souplesse d’action ouvrent la voie à un renouvellement des métiers de l’urbanisme pour mettre sur orbite l’offre dont les Français ont besoin.

 


NOTES

[1] Ariane, une fusée dans un trou noir, de Claude Soula, 03/09/2021 in l’Obs.

[2] Immobilier : la France souffre d’une grave pénurie de logements abordables, d’Isabelle Rey-Lefebvre, 10/09/2021 in Le Monde.

[3] Capital, 26/08/2021, source Meilleurtaux.

[4] LIV : laboratoire de recherche et développement de Villes Vivantes.

[5] https://bimby.perigueux.fr/

[6] Communauté Urbaine Creusot Montceau, SCoT des Vosges Centrales, Pays de Vitré, Ville de Châteaugiron, Valenciennes Métropole, Communauté de Communes du Bassin de Pompey.

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