Entretien avec le géographe et urbaniste Simon Ronai à l’occasion du livre Pour en finir avec le petit Paris.
Commençons par votre actualité, vous avez contribué à un livre qui vient d’être publié et qui s’intitule Pour en finir avec le petit Paris. Alors, selon vous, où va le Grand Paris ?
Si on pose la question institutionnelle, je crois qu’aujourd’hui que je n’y crois plus beaucoup. D’une part parce que l’expérience montre que la majorité des acteurs, notamment les maires, n’en veulent pas, et d’autre part parce que le contexte politique national actuel est plutôt à l’heure du retour à la commune, à la proximité, plutôt qu’à promouvoir ou renforcer les grandes collectivités. Derrière cette ambiance, on retrouve tout le débat sur les métropoles versus la France abandonnée, même si toutes les statistiques finalement continuent de montrer que les métropoles se renforcent sans apauvrir tout le reste du pays.
Donc l’institution métropolitaine, j’y crois moins. Par contre, dans la réalité des faits et du vécu, la vie métropolitaine existe du point de vue des habitants, des transports, du marché immobilier, du bassin d’emplois, quels que soient les critères, elle est un fait qui s’impose. C’est d’ailleurs le cœur du sujet : constater une réalité qui n’est pas régulée, qui n’est pas encadrée par le pouvoir politique. C’est cet écart grandissant entre une réalité métropolitaine, avec ses avantages et ses inconvénients, et l’absence d’accompagnement politique, qui, à mon sens, est la question.
A cet égard jusqu’à nouvel ordre, la grande métropole parisienne continuera de se renforcer
La densification douce pour réenchanter l’avenir du Grand Paris ?
, continuera de gagner des habitants et a produire des richesses, même si elle est aussi le lieu de multiples contradictions.
Avec l’achèvement du Grand Paris Express à venir, quel pourrait être, selon vous, le « temps deux » du Grand Paris ?
Il se trouve que nous sommes dans une temporalité particulière puisque les élections municipales ont lieu dans un an, puis viendront rapidement les élections régionales et présidentielles. Au point où on en est, je pense que le saut métropolitain demanderait une volonté politique qui n’est pas imaginable à court terme, faute de mobilisation de l’Etat et de la Ville de Paris.
Il vient encore de paraître, un rapport de la Cour des comptes qui, après bien d’autres, pointe l’insuffisance des péréquations financières. Si, à défaut d’une réforme institutionnelle globale, on pouvait au moins espérer ou imaginer une correction des inégalités face aux redistributions des richesses, ce serait une première étape salutaire. C’est d’autant plus impératif que l’on constate contre toute attente, et, à l’encontre de tous les documents et de toutes les orientations de planification, qu’il y a un renforcement des activités dans Paris Intramuros, et un affaiblissement de tous les pôles extérieurs frappés d’une forte vacance dans les bureaux.
Cette concentration des ressources liées à l’activité économique est aussi observée pour le marché immobilier et les droits de mutation. Depuis des années, du point de vue des ressources financières des collectivités, les inégalités s’accroissent. Une réforme sur ce point précis permettrait aux différents territoires d’avoir les moyens d’investir et de mieux accompagner les populations qui y habitent, notamment dans les villes « populaires ».
Vous évoquez le phénomène de métropolisation qui persiste, voire qui se renforce. Comment appréhendez-vous les raisons qui président au choix de l’implantation des ménages et des habitants ? Est-ce que le départ du cœur dense est un choix ou est-il plutôt subi ?
C’est un sujet très controversé, très politique. L’expérience que j’en tiré au travers des nombreux Programmes Locaux de l’Habitat et travaux de programmation que j’ai réalisés, c’est qu’il s’agit d’abord d’arbitrages auxquels, chaque ménage qui le peut, procède en fonction de sa situation particulière individuelle.
La taille des familles reste le critère premier, ainsi on sait que de nombreux jeunes ménages quittent Paris au moment d’avoir un enfant, en tout cas, au moins au moment du 2ème enfant. L’autre critère étant évidemment celui des ressources financières, compte tenu de l’explosion des prix à l’achat comme à la location.
Ensuite, il y a ce qu’on a cru observer au moment du COVID, c’est-à-dire une envie de campagne et une envie de grand air même si les chiffres montrent finalement que l’exode a été beaucoup moins massif que ce qu’on imaginait, et massivement orienté vers la périphérie des grandes villes.
Quand on dit éloignement, il faut spécifier de quelle distance on parle. Ce n’est pas pareil de quitter Paris pour aller habiter à Fontainebleau ou en Bretagne. A Paris on observe, l’importante densification, et une amorce de gentrification, durant la dernière décennie, de la première couronne avec l’arrivée des « Parisiens ».
D’abord parce qu’il y avait de l’espace sur de nombreux anciens sites industriels, et aussi parce que cette partie de l’agglomération a l’avantage d’être près de Paris, d’être mieux desservie par le réseau de métro et de tramways qui a été étendu, tout en bénéficiant de prix plus accessibles. Les habitants de la petite couronne ont donc l’avantage métropolitain, notamment l’accès à un marché du travail diversifié, et la possibilité, selon leurs ressources, entre les différentes communes.
C’est un autre choix de vie que de faire le saut d’acheter une maison, en allant plus loin. Sur ce point, je pense qu’on aurait intérêt à être assez prudent dans nos jugements, parce que cela peut véritablement être un choix de vie et pas nécessairement vécu comme un exil.
On a bien vu que, notamment dans les milieux « populaires », que le choix de la maison signifie plus qu’un simple mode d’habiter. J’évoque différents ouvrages de Jérôme Fourquet, qui montrent que ce mode de vie n’est pas forcément vécu comme une relégation ou une calamité. Toutefois, ce qui corrige un peu ce que je viens de dire c’est la sensibilité plus récente à la question climatique ainsi qu’au prix de l’essence, et au coût des mobilités. S’agissant de certaines politiques publiques, personne ne peut dire aujourd’hui quels seront les effets de la ZFE. Il est frappant de voir que les élus ou les collectivités qui représentent les catégories les plus populaires sont largement hostiles à ce dispositif perçu comme une discrimination supplémentaire.
Je n’ai donc finalement pas d’avis tranché sur ce point parce que lorsque l’on travaille sur le périurbain, on constate qu’il y a deux types de ménages : ceux qui sont venus là faute de pouvoir habiter ailleurs, c’est notamment le cas des lotissements regroupant toutes ces maisons à 125’000, 140’000, 150’000 euros, dont on connaît les qualités intrinsèques et leur localisation joyeusement distribuée au gré des volontés communales et ceux qui ont les moyens d’habiter dans la Vallée de Chevreuse ou dans les coins sympas des Yvelines, ceux-là, on peut dire qu’ils l’ont choisi, ce qui recouvre assez fidèlement le statut social.
Ainsi il y a des débats récurrents sur la crise du logement
Face à la crise de l’immobilier, ne nous résignons pas !
, sur le nombre d’unités produites et le nombre d’unités nécessaires. Bercy a récemment sorti une note indiquant qu’il n’y avait plus besoin de construire autant, que 200’000 à 300’000 logements neufs par an seraient largement suffisants. Depuis presque toujours il y a une polémique sur l’ampleur et les causes de la pénurie et les moyens de la dépasser…
Ce qui est certain, c’est qu’effectivement, il y a des secteurs à très forte tension où la demande reste forte, dans des endroits stratégiques qui concentrent aménités et opportunités professionnelles, alors que d’autres souffrent d’une forte vacance associée au déclin économique et démographique.
Avez-vous l’impression que la pénurie, que la crise, s’est accrue ces dernières années ?
Depuis que je travaille, j’ai toujours entendu parler de crise du logement… je n’ai jamais entendu le contraire. Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’au moment où l’on se parle, conjoncturellement, nous sommes vraiment à un point bas pour toute une série de raisons qui se sont cumulées. L’effet des taux d’emprunt, liés aux décisions de la BCE, phénomène qu’on l’on n’avait pas connu depuis 20 ans, car nous n’avions pas vécu d’inflation à plus de 2 ou 3 %. Il y a eu l’effet Covid, avec une conjoncture bousculée pendant 3 ou 4 ans, avec des pointes et des chutes inattendues. Nous en parlions précédemment, il faut aussi évoquer les choix de vie qui sont peut-être un peu plus erratiques, plus irréguliers. Et puis, l’effet cumulatif des nouveaux modes de vie familiaux, qu’il était difficile d’envisager et qui génèrent de nouveaux besoins. Nous avions pensé au divorce, mais pas forcément aux familles recomposées, à la double occupation liée aux enfants qui sont alternativement chez l’un et l’autre de leurs parents, au télétravail… Bref il y a un véritable besoin de logements autrement composés et peut être évolutifs.
Mais quand on parle de crise du logement, on pense surtout aux prix excessifs et la difficulté, notamment pour les jeunes, de trouver un logement à louer, sur ce point il est certain que le moment présent paraît plus aigu.
Si on regarde le temps long, dans l’après-guerre, c’était bien pire. Aujourd’hui, une partie des demandes pourrait être qualifiée de demandes de confort ou qui sont liées aux nouveaux modes de vie et a la double résidence. Mais dans les milieux les plus modestes, il y a clairement une pénurie au sens où le logement manque et est devenu trop cher.
Cela est renforcé par un phénomène, pas entièrement nouveau, mais qui prend de l’importance : le fait que beaucoup de maires bloquent sciemment les constructions au nom d’une palette d’arguments, depuis la qualité de vie qui serait impactée par la densité, en passant par l’idée que le besoin d’espaces ouverts et verts s’opposerait à la construction de logement, bref, des discours d’apparence écologiste plus ou moins pervers. Pendant longtemps, un maire bâtisseur était plutôt perçu positivement et cela jouait même en sa faveur au moment des élections. Au contraire, aujourd’hui, beaucoup de maires se vantent de ne pas construire. C’est même un argument de vente politique assez inédit et très égoïste, qui a surgi dans le débat politique de façon inattendue.
Vous dites que c’est inattendu, pourtant, il semble que depuis le COVID, les discours anti construction neuve
« Tout le monde est rentré dans ces discours simplistes anti-construction neuve car, intellectuellement, c’est plus confortable d’être dans cette position-là »
ont largement progressé, notamment du fait d’une densité alors mal vécue et l’inquiétude sur le monde à venir. Ces discours ont été très portés à partir de 2020 par les élus et notamment les nouveaux élus écologistes, mais aussi par les professionnels de l’aménagement, les architectes, certaines associations de riverains… De quoi tout cela part-il, selon vous ?
Il faut commencer par dire qu’il n’y a pas de mot plus piégeant ou piégeux que « densité
La densité : un amour inavouable ?
». Personne ne peut dire quel est le bon niveau de densité, qui le perçoit, qui le définit. Cela dépend de l’environnement des sites où il est question de construire, de la forme urbaine, de l’existant à proximité, du talent des concepteurs… Il est toutefois certain que l’on observe récemment une plus grande réticence au fait de construire.
Mon expérience est que cette résistance, cette opposition, est plus violente dans les territoires bourgeois que dans les communes dites populaires. Quand on regarde les taux de construction en Seine-Saint-Denis, comparé aux territoires plus favorisés, il n’y a pas photo. Les polémiques les plus connues dans la période récente concernent principalement Paris intra-muros, ce qui peut se justifier par la réalité d’une ville déjà très dense, mais c’est assez paradoxal puisque les quartiers les plus prisés, les plus chers, sont les quartiers haussmanniens qui sont les plus denses. Tout dépend donc aussi de la qualité de ce qu’on construit et de la manière dont on le construit. Il ne me semble pas possible d’avoir un point de vue dogmatique et définitif sur la question de la densité acceptable.
De ce point de vue il faut souligner que les mobilisations des riverains ne sont pas toutes menées de manière innocente, et le phénomène n’est pas identique partout. Cela dépend aussi beaucoup du niveau de revenus et du niveau culturel associés à une forme d’entre soi. Les gens qui s’opposent aux projets de construction sont souvent très diplômés et très savants, ils maîtrisent exactement les arguments à employer, en général, c’est l’argument environnemental et non la discrimination sociale d’ailleurs. Habilement, ces personnes, avec le relai politique, bloquent un grand nombre de projets, les retardent, entraînant des surcoûts considérables dont ils ne sont pas toujours bien conscients où au contraire qu’ils manient comme une forme de chantage.
Aujourd’hui, beaucoup de constructions se font, et à juste titre, dans les dents creuses ou dans les zones déjà aménagées. On ne construit plus dans les champs, donc quand on vient implanter un nouveau quartier ou un nouvel immeuble dans une zone déjà habitée ou déjà équipée, on peut légitimement comprendre que cela pose des questions aux gens qui y habitent déjà. Certaines objections peuvent être légitimes, le surcroît de voitures, tout ce qui va être lié à la desserte, la suroccupation des écoles et la disponibilité suffisante en termes d’équipement public. Ce sont évidemment des objections légitimes qui font partie de la négociation.
Les questions esthétiques plus subjectives
Bordeaux : suréléver ou muséifier ?
affectent également la programmation. C’est notamment la question de la hauteur des immeubles, avec des seuils critiques selon les localisations et les règles d’urbanisme. Cela pose la question de la qualité, de l’inventivité des architectes car le même produit de logement est plus ou moins accepté en fonction de la manière dont il est implanté, dont il tient compte du préexistant.
Pensez-vous que les arguments anti construction aient évolué ces dernières années ?
Oui, c’est évident, d’ailleurs, si on prend l’exemple de Paris, puisqu’on parlait de la métropole tout à l’heure, les Verts s’opposent à tout projet de construction avec un argument uniquement fondé sur les questions climatiques et environnementales, sur la nécessité de maintenir des espaces ouverts et de pleine-terre.
De même le débat anti-immeuble de hauteur. Avant, il était surtout instrumentalisé avec des arguments en termes d’esthétique. Aujourd’hui il y a tout un argumentaire lié à la consommation énergétique, à la fragilité, à la vulnérabilité de ces immeubles, tout n’est d’ailleurs pas à jeter dans ces arguments.
Mais, il n’est pas aisé de savoir où mettre le curseur, entre les arguments de bonne foi, un argumentaire “pseudo-écolo” qui, peut masquer des enjeux de cohabitation en termes de catégorie sociale, la soutenabilité du projet pour la collectivité qui doit accompagner avec les équipements et les infrastructures… Il est vrai que, de manière générale, tout l’argumentaire lié au changement climatique était beaucoup moins présent il y a dix ans qu’il ne l’est aujourd’hui. La difficulté est, dans chaque cas de prendre en compte ce qu’il y a de juste et légitime par rapport à un avenir de long terme et ce qui relève d’une instrumentalisation par rapport à des choix de très court terme pour empêcher un projet.
Est-ce que vous avez l’impression qu’il y a un chemin pour recréer du consensus, notamment dans une perspective écologique, environnementale et durable, sur les vertus de la densité ? La densité elle-même a fait l’objet d’un consensus qui semble aujourd’hui détricoté. Et cela peut avoir des conséquences sur la façon dont on fabrique et aménage nos villes sur le long terme, notamment en termes de retard de la construction de logements. Pensez-vous qu’il y a des voies de reconstruction d’un consensus, au moins chez les professionnels, en faveur de la densité ? Densité, qui peut et doit être évidemment différente de ce que nous avons fait jusqu’à maintenant…
En tout cas, dans mon environnement professionnel, la plupart des architectes prônent plutôt la densité. Je ne pense pas que les courants anti densité soient majoritaires dans le monde professionnel. Nous sommes, par contre, obligés de nous adapter à l’ambiance idéologique générale dans laquelle nous nous trouvons, pour faire accepter les projets.
Mais, il faut reconnaître que le mot lui-même est piégeux, d’autant qu’il est généralement accompagné du mot béton qui suffit à effrayer. Évidemment, on a connu des programmes absolument délirants qui ont fait contre-exemple. Mais quand on cumule tous les paramètres qui sont à l’ordre du jour aujourd’hui, notamment la mise en œuvre de la loi ZAN
Urbanisme organique : le ZAN sera beau
— malgré les tentatives de détricotage —, et même sans la loi, avec une plus grande attention à la préservation du potentiel naturel, je pense que tout le monde est convaincu de l’importance de la densité. Il me semble qu’à partir du moment où on s’interdit de consommer trop de foncier, la seule marge qui reste, c’est la densification.
C’est ensuite un débat sur ce qui est raisonnable ce qui dépend aussi comment, où et pour qui nous estimons notre besoin de logement. Selon les paramètres, selon les interlocuteurs et selon les institutions, aujourd’hui, on varie entre 150’000 et 500’000 logements par an. 500’000 logements par an, nous n’avons pas vu cela depuis l’après-guerre bien que cela revienne à toutes les présidentielles. Mais rien qu’entre 150’000 et 400’000, il y a une très large différence qui mérite une analyse plus affinée.
Dans ce débat, différents paramètres doivent se combiner : ceux que nous connaissons bien, c’est l’évolution démographique teritorialisée et la demande enregistrée par le marché où les bailleurs sociaux et ceux plus incertains, c’est-à-dire, l’ampleur du patrimoine existant que l’on peut réellement mobiliser. Un patrimoine qui serait supposément vacant et notamment celui des villes moyennes et des zones en déperdition démographique, qui possèdent un potentiel immobilier dormant, mais le problème c’est qu’il est difficile de raisonner logement sans évoquer l’activité économique et tout le reste qui fait la vie urbaine.
A l’échelle nationale, on compte aux alentours de 5 millions de logements réputés vacants. Mais comme pour la densité, il faut s’entendre sur les mots. Un logement peut être considéré vacant car lorsque l’agent du recensement est passé, il n’y avait personne dedans, mais les logements de vacance longue durée sont en réalité beaucoup moins nombreux. Pour toucher à ceux-là, il faut toucher au droit de propriété et à la façon dont les autorités publiques peuvent ou non intervenir. Ce qui ouvre aussi des débats sans fin sur la fiscalité qui pourrait permettre de rendre plus intéressant, pour un propriétaire, la location plutôt que de garder son logement vide. Donc selon les moments politiques, ça tire dans un sens ou dans l’autre.
On ne peut esquiver le phénomène massif de transformation des logements en résidences touristiques ou logements temporaires qui émerge depuis une dizaine d’années, au moins dans les zones touristiques et les métropoles et particulièrement à Paris. On estime que 250’000 logements ne sont plus sur le marché, dans une ville où l’on ne peut plus construire, on voit bien qu’il y a un vrai sujet de politique publique. D’autant plus qu’avec le vieillissement et la transformation démographique, il y a beaucoup de logements qui vont, de fait, devenir vacants. Comment les faire revenir sur le marché en tenant compte du contexte local ? Un logement vacant dans une petite commune des Ardennes ou du Cantal restera vacant durablement. Par contre, un logement vacant en banlieue parisienne, pourrait être réutilisé. Tout dépend du marché, de la localisation et de l’intérêt pour le propriétaire de le louer.
Rien n’est mécanique. Rappelez-vous en 2017, le Président Macron avait promis un choc d’offre pour faire baisser les prix, mais les choses ne se sont pas passées comme prévu. Pour revenir à tout ce que l’on s’est dit, ce que l’on comprend quand même c’est qu’il n’y a rien de plus complexe que le logement.
Cela met en cause un nombre infini d’acteurs, et dans des contextes sociaux, politiques et géographiques tellement divers, que cela rend d’ailleurs difficile la mise en œuvre d’une politique publique nationale qui doit s’adapter à la diversité des territoires, ainsi qu’aux transformations sociales. On voit bien comment des grandes lois ont perdu une partie de leur pertinence à mesure que le temps passait.
Vous parlez de la complexité de la question du logement. Nous le voyons au quotidien dans l’accompagnement des particuliers sur nos opérations de densification douce. Tout dépend des situations particulières, des besoins, du territoire et de ses dynamiques. Il semble qu’il n’y a jamais eu autant besoin de sur-mesure.
Si on prend les 50 dernières années, nous partons d’une situation de très grande pénurie. L’objectif premier était de construire massivement des logements confortables et pas chers. On peut dire qu’on y est arrivé. Puis, assez rapidement, dès les années 70-80, les autorités et l’ensemble du milieu professionnel ont mesuré les limites de cette politique. C’était le début de l’inflexion et de réflexions urbaines plus pointues. Nous sommes au bout de cette histoire. On voit bien que désormais, les demandes sociales, les envies, les moyens, sont de plus en plus divers et ont beaucoup évolué. Il faut donc progresser dans la réflexion pour s’adapter à ces contextes.
Le pilotage d’une politique « logement » est un sujet vraiment très complexe qui croise la diversité des usages et des territoires, les évolutions démographiques, les contraintes économiques, les impératifs tecnniques, les choix esthétiques , les options politiques et la force des lobbys.
Cela rejoint d’autres sujets d’aménagement. Nous sommes dans une forme d’archipélisation de la France que l’on parle de la société, des métiers, des cultures et des territoires, ce qui se répercute aussi sur les demandes de logement et sur les formes d’habiter. C’est ce qui justifie, de plus en plus, des démarches extrêmement pragmatiques et diversifiées qui partent du concret des territoires.
Ne pensez-vous pas qu’effectivement, dans les discussions actuelles sur le logement vacant, le BRS, la rénovation, il manque souvent la dimension géographique ?
C’est sûr que c’est un peu comme si tout le monde avait oublié la géographie. C’est d’ailleurs un sujet que j’ai beaucoup traité dans la revue Hérodote. Nous sommes dans une culture nationale qui proclame l’égalité. Nous entendons tous les jours parler des territoires et des communes qui se veulent tous égaux en droit et en opportunités… Mais cette affirmation de principe abstraite et théorique se heurte au réel de la différence. Il est difficile à entendre pour les uns et pour les autres, que l’attractivité des territoires est extrêmement diversifiée, et qu’il y a une contradiction entre la réalité qui s’observe et le discours politique qui continue de parler d’égalité territoriale.
D’ailleurs cela recoupe le débat sur la métropolisation, débat très politique et idéologique. Certains présentent la métropolisation comme si c’était un phénomène qui aurait été sciemment instrumentalisé par les uns au détriment des autres. Ce n’est pas uniquement lié à l’ouvrage de Jean-François Gravier « Paris et le désert Français » qui date de l’après-guerre. Le débat présentant une opposition entre Paris et la Province avait commencé sous Pétain et puis nous connaissons aujourd’hui les analyses de Christophe Guilluy qui sont très fortement relayées sur le plan politique avec l’idée d’une France dite abandonnée.
Ces controverses occultent complètement la géographie et la question de la densité. Il est très difficile d’équiper, ou de préserver, un réseau d’équipements publics de proximité dans des départements où il y a au moins 10 habitants au kilomètre carré. Et en France, il y a des territoires entiers qui sont peu ou sous-peuplés, parce que les gens n’ont pas envie d’habiter dans des endroits mal ou peu équipés, où qui ont été massivement désindustrialisés.
L’inégal développement territorial est aussi lié à l’attractivité associée a l’importance des opportunités de travail de rencontres, prenez les étudiants et les jeunes par exemple. Aujourd’hui, par attractivité on entend le cumul entre le métro, le tramway ou le TGV, ainsi qu’un environnement urbain, dynamique, actif, où vous avez à peu près tout sous la main, et évidemment ça ne peut pas être le cas de l’ensemble du territoire de manière équivalente, donc là il y a un décalage entre la réalité de ce qu’est devenu le territoire, et la vision idéalisée qu’on continue à diffuser, avec l’attachement au village. Il y a comme un décalage entre une France devenue urbaine, et un attachement, au moins sémantique, au village et ce même à Paris présenté comme une collection de villages.
C’est d’ailleurs d’autant plus étonnant que, même dans les villages, aujourd’hui, le nombre de paysans a considérablement baissé, et que la plupart des habitants des communes dites rurales ont, en réalité, des modes de vie urbain. Là il y a un autre décalage entre une représentation, peut-être même un attachement affectif et une réalité.
Pensez-vous que ce décalage, à la fois dans les représentations et dans les discours, présente un risque ? Il est étonnant que l’on fasse de telles promesses d’équipements, de services, alors qu’on ne pense pas le seuil de viabilité, c’est-à-dire à partir de combien d’habitants, il est vraiment possible de les faire tourner ? Il me semble que le manque d’honnêteté sur les seuils à partir desquels l’aménagement du territoire peut aller dans un sens ou dans l’autre est un des principaux risques d’une radicalisation d’une partie de la population et d’une archipélisation de la société, pour reprendre le terme que vous employez, car on crée alors beaucoup de déception et d’incompréhension.
Globalement, il y a une inculture géographique. En France, nous sommes très attachés à l’histoire, par contre la géographie… d’ailleurs même dans le monde universitaire, ce n’est pas une des disciplines les plus réputées ou les plus valorisées. Il y a un réel écart dans les représentations de la France dans les médias, notamment au moment des élections, où l’on présente des grandes tâches de couleur sans jamais mettre le poids démographique de chaque espace.
Ce que l’on ne montre pas non plus, c’est l’importance des flux financiers, de personnes, de biens, d’idées et des mobilités quotidiennes au sein même des territoires ruraux ou périurbains. Même les communes qui se vivent comme « rurales », pour la plupart d’entre elles vivent dans la dépendance ou dans la relation avec une métropole ou une grande ville. Cela, sans compter ce qui ne se voit pas et que les gens ne savent pas : les flux massifs de redistribution financière.
Certains travaux montrent bien comment, sous une apparence d’isolement, des territoires entiers ne vivent que par la redistribution de flux financiers : retraites allocations publiques, tourisme. Les territoires ne sont pas toujours ce que l’on en dit ou ce qu’on croit qu’ils sont.
Ce qui corrige un peu ce que je dis, c’est que nous sommes dans un pays qui subit depuis 30 ans une désindustrialisation massive alors que ce qui caractérisait l’industrie, c’est qu’elle était très diffuse dans l’espace. Les territoires étaient structurés par ces implantations industrielles garantissant un certain équilibre de travail et de ressources. La disparition de ces industries a non seulement appauvri les territoires, mais a aussi complètement déstabilisé les structures urbaines largement héritées de la Troisième République avec ses départements, ses préfectures et sous-préfectures et surtout, le chemin de fer qui allait absolument partout. L’idéal républicain de l’égalité des territoires était alors plus facile à mettre en œuvre avec un pays plus régulièrement habité par une population paysanne.
Cela rejoint ce qu’on s’est dit au début sur la métropole du Grand Paris, c’est vrai pour toute la France. Nous avons gardé une structure administrative et une forme de représentation du territoire qui se veut, vu de loin, très égalitaire, mais qui masque les inégalités qui se sont produites au fil des ans. Et donc, oui, cela nourrit des frustrations qui peuvent ensuite être instrumentalisées sur le plan politique.
Que pensez-vous des propositions avancées par Jean Coldefy et Jacques Lévy concernant une réforme territoriale
Réforme territoriale : réconcilier bassins de vie et périmètres électoraux
qui viendrait corréler le vote aux bassins de vie ?
En tant que techno, je trouve ça très bien, mais je sais que ça ne sera jamais mis en œuvre, et c’est tout le débat : le décalage complet entre la manière dont le territoire fonctionne, la manière dont il est perçu, la manière dont il continue à être présenté et la manière dont il est administré. Il y a effectivement, un pouvoir, une représentation excessive des communes même dans les intercommunalités où les petites communes sont partout surreprésentées par rapport à la ville-centre, c’est pareil au Sénat.
Il y a une surreprésentation du territoire au sens de sa surface géographique sans rapport avec la population qui l’habite. L’idée de faire mieux coïncider les bassins de vie réels et le mode de représentation politique, donne lieu à des tentatives depuis au moins la loi Chevènement de 1999. Mais nous n’y sommes toujours pas. Nous restons dans un système où le maillage communal reste extrêmement puissant. Hormis les technocrates, les universitaires et les chercheurs, je ne pense pas qu’une telle proposition puisse prendre. Le monde politique et la population n’y sont pas prêts. Nous n’avons jamais vu de mouvement d’opinion, de mouvement populaire réclamer un autre mode de représentation.
Avez-vous un mot de conclusion ?
La question que je trouve vraiment d’actualité est celle de la transformation des conséquences d’un étalement urbain
Logement : comment bâtir autrement tout en limitant l’étalement urbain ?
important depuis une trentaine d’années. Comment tous ces espaces ruraux, périurbains, pavillonnaires peuvent-ils être aménagés, densifiés ? On ne va pas faire table rase, alors que peut-on corriger dans l’offre d’habitat française telle qu’elle est aujourd’hui ?
Partons du réel, en prenant en compte les préoccupations contemporaines et d’avenir, notamment celles liées à la crise climatique, avec un rapport moins brutal à l’environnement qui nous entoure, et en anticipant les transformations sociales et, ce qui est encore plus compliqué, les transformations économiques. Il y a un immense enjeu pour les villes déjà construites et il va falloir piloter les nombreuses interventions qui seront nécessaires sur le patrimoine existant pour toute cette France périurbaine.
On ne dira jamais assez à quel point la pseudo écologie est aux anti thèses de l’aménagement territorial et urbain et du respect des gens et de leurs besoins…