Logements de masse : le poids de l’héritage français

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4 min de lecture.  |  Publié le 30/08/23

VIDEO : Banlieues : pourquoi la France s’est plantée ? | ATLAS

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Explore Media | youtube.com

Dans une vidéo très pédagogue réalisée avec le soutien du Centre National du cinéma et de l’image animé, le média Explore revient sur le phénomène des logements de masse, avec une perspective historique, politique et sociale.

La vidéo d’une dizaine de minutes entend ainsi répondre à la question suivante :

Qu’est-ce qui explique que la France et l’ex-URSS soient les deux seuls pays à avoir construit autant de grands ensembles, à une époque où leurs voisins européens leur ont préféré les cités-jardins, les petits immeubles et les maisons individuelles ?

Contexte historique de l’après-guerre et naissance des grands ensembles

Les logements de masse trouvent leur origine dans les années 1960, dans la France de l’après-guerre. Le contexte est particulier : plus de deux millions de logements ont été détruits pendant la Seconde Guerre mondiale et les logements restants sont vétustes et surpeuplés. La plupart d’entre eux pâtissent de l’absence d’eau courante et ne comportent ni sanitaires ni douche.

Dans le même temps, la France (au même titre que toute l’Europe) connaît une explosion démographique inédite : c’est le Baby Boom. En 20 ans, la population s’accroît de près de 20 millions d’habitants.

Résultat : on construit des immeubles partout en Europe avec une frénésie et une rapidité inédites.

Si l’on en retrouve à peu près partout, comment expliquer cependant l’essor des logements de masse en France et en URSS en particulier, où ils sont plus gigantesques et plus nombreux qu’ailleurs ?

Quand le politique dicte la manière de faire la ville

Pour Renaud Epstein, sociologue spécialiste des politiques urbaines interviewé dans la vidéo, la particularité de ces deux pays tient au fait qu’ils sont extrêmement centralisés. De ce fait, la politique de logements standardisés a été facile à mettre en place par l’Etat.

D’après le reportage, les logements de masse offrent le double avantage d’être simples et peu couteux à bâtir. Les “Khrouchtchevki”, surnom donné en hommage au Premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique qui a lancé, dès 1953, une campagne d’urbanisation à grande échelle, s’élèvent sur trois à cinq étages – ce qui permet d’éviter d’y installer des ascenseurs.

Qu’est-ce qui explique la ressemblance architecturale entre les Khrouchtchevki et les grands ensembles français ?

Le reportage d’Explore nous apprend que les soviétiques ont utilisé une technique de pré-fabrication directement importée de France. L’inventeur des HLM de l’époque, l’ingénieur Raymond Camus, était en effet français.

Il ne faut pas oublier qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses mairies françaises portaient les couleurs communistes et accueillaient régulièrement des délégations soviétiques. On assistait dès lors, pour Renaud Epstein, à des “circuits d’échanges de solutions techniques”, qui consistaient à s’échanger les bonnes pratiques entre communistes en matière d’architecture et d’urbanisme.

Enfin, l’émergence des grands ensembles est concomitante de l’essor de l’urbanisme moderne, incarné par Le Corbusier. Avec sa logique de logements égalitaires, standardisés, l’urbanisme moderne était compatible à la fois avec l’idéologie soviétique et avec l’idéologie dominante chez les technocrates français d’après Renaud Epstein.

Honnis en France, les logements de masse font le bonheur d’autres pays

L’idéal de confort moderne prôné par les partisans de ce type de logements se heurte bientôt à la réalité dépeinte par la majorité de leurs habitants : les appartements sont vécus comme des “cages à lapin”, qui souffrent d’une mauvaise isolation et d’une piètre insonorisation.

En 1973, la circulaire Guichard marque l’arrêt de la construction des grands ensembles, au profit des logements pavillonnaires. Cette décision politique a des conséquences sociales, puisque les classes moyennes émigrent vers les quartiers pavillonnaires et que seules restent les populations les plus défavorisées. Aujourd’hui encore, les banlieues françaises, caractérisées par la profusion des logements de masse, regroupe une population deux fois plus pauvre et qui concentre 2,5 fois plus de chômeurs que sur le reste du territoire.

On a un peu logé les gens au rabais », commente ainsi le journaliste Xavier de Jarcy, qui a publié en 2019 un ouvrage sur la question des banlieues (Les abandonnés – Histoire des “cités de banlieue”). D’après le journaliste, les erreurs d’urbanisme et la ségrégation sociale ont commencé bien avant les années 1970.

En définitive, les grands ensembles en sont venus à cristalliser les maux de la société française.

C’est la raison pour laquelle, dès la fin des années 1980, l’Etat français entreprend une campagne de démolition massive de ces logements, toujours à l’oeuvre à l’heure actuelle. Même son de cloche en Russie.

Pour autant, les grands ensembles ne sont pas décriés partout :

  • en Autriche, notamment à Vienne, ils sont bien entretenus, bien équipés, et parviennent à regrouper une grande mixité sociale
  • en Corée du Sud, à Séoul par exemple, habiter dans un “Tanji” (grand ensemble) est un signe de réussite sociale. Là-bas, nulle mixité sociale : les Tanji sont réservés aux poputations les plus aisées. Très sécurisées, ces structures fonctionnes comme des petites villes, en vase clos, avec leurs propres écoles et leurs propres équipements.

Pour en savoir plus sur la genèse et l’évolution des grands ensembles dans le monde, retrouvez le reportage dans son intégralité sur Youtube.

Banlieues : pourquoi la France s
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