Crise du logement : à quelles conditions un choc de l’offre est-il crédible ?
Parmi les mesures susceptibles d’enrayer la crise du logement, Patrice Vergriete plaide aujourd’hui pour un "choc d’offre foncière".
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En mai 2020, je donnais une conférence en ligne pour mettre en lumière les avantages de la filière courte dans la production de logements abordables, et présentais le fruit des recherches menées par les équipes de Villes Vivantes.
Qu’est-ce que la filière courte de production de logements abordables ? Comment se différencie-t-elle des autres filières de production de logements ? Pourquoi n’est-elle pas plus répandue dans les territoires tendus ?
Avant toute chose, il convient de définir ces deux types de filières. La filière longue se caractérise par une granularité importante de projets : en une fois, je vais produire et vendre un grand nombre de logements (par exemple : 50). On retrouve majoritairement ce mode opératoire dans les métropoles.
Par opposition, en filière courte (ou filière diffuse), pour produire 50 logements, j’aurai 50 projets différents. C’est le mode de construction utilisé pour construire les échoppes bordelaises, par exemple.
Les échelles des deux types de filières ne sont pas les mêmes : plus l’échelle est grande, plus la filière fait intervenir d’acteurs, plus il y a de complexité et plus la filière est dite « longue ».
On pourrait penser que ces filières correspondent à un type de logements : maison individuelle pour la filière courte et appartements pour la filière longue. Mais ce n’est pas le cas : des formes qui se rapprochent de la maison individuelle peuvent aussi bien être construites en filière courte (c’est le cas de l’échoppe bordelaise évoquée plus haut) qu’en filière plus longue (pour un lotissement de maisons par exemple).
Si l’on schématise, on trouve quatre différents scénarios de filières, de la plus courte à la plus longue :
Les filières courtes sont donc celles du terrain à bâtir, de l’auto-promotion, tandis que les filières longues sont celles de la promotion immobilière.
Chez Villes Vivantes, nous nous sommes intéressés de près à cette question : le type de filière influe-t-il sur le prix de sortie du logement ? Dans quelle mesure des économies d’échelles s’appliquent-elles en filière longue ?
Villes Vivantes travaille sur une diversité de territoires à l’échelle nationale :
Nous avons remarqué qu’en matière de production de logements, on ne retrouve la filière longue que sur les territoires métropolitains, alors que la filière courte est utilisée majoritairement sur les trois autres types de territoires. Partant de ce constat, nous nous sommes demandé pourquoi la filière longue ne paraissait pas adaptée aux territoires sur lesquels le marché immobilier n’était pas tendu.
Trois types de difficultés viennent entraver les économies d’échelle requises en filière longue :
Comment ces notions se transposent-elles à l’économie de la production de logements ? Pour quelles raisons la filière longue n’est-elle pas compatible avec la production de logements en territoires détendus ?
Dans la ville de Gaillac par exemple, où les équipes de Villes Vivantes ont travaillé, l’autopromotion en diffus et l’autopromotion en lotissement sont largement majoritaires. Pourquoi recourt-on systématiquement à la production de logements en filière courte sur ce type de territoires ?
A La Rochelle, territoire relativement tendu où le prix du mètre carré avoisine les 3000€, les filières courte et longue de production du logement cohabitent. En réalisant une étude sur les prix médians des logements produits par chaque type de filière, les équipes de Villes Vivantes ont observé une importante disparité de prix au mètre carré :
Les écarts de prix de sortie des logements sont donc importants entre les différentes filières. Si l’on considère qu’un logement abordable sur le territoire rochelais est un logement dont le prix au mètre carré est de 2500€, alors force est de constater que sur ce territoire, un logement sur 5 est abordable – et ils sont tous produits en filière courte.
En matière de diversité de besoins, la filière diffuse produit des logements avec une diversité de surface et de prix plus importante que la filière de l’autopromotion en lotissement. C’est notamment le cas à Pau, où Villes Vivantes a réalisé une étude. La diversité de l’offre augmente dans la filière diffuse car elle suit davantage la logique individuelle que l’autopromotion en lotissement.
En réalisant une étude pour Grenoble Métropole, nous nous sommes aperçus que 12% des logements produits chaque année entre 2012 et 2016 étaient des logements abordables, soit 270 logements par an. Un tiers de ces logements abordables étaient réalisés en filière diffuse, un tiers en filière longue, dans des dispositifs publics de promotion encadrée (avec des dispositifs d’aides type PSLA), et un dernier tiers de logements étaient réalisés en filière longue par de la promotion immobilière hors dispositif public.
En définitive, l’ensemble de l’énergie et des ressources publiques étaient consacrées à soutenir la production de logements abordables en filière longue à Grenoble Métropole. Mais l’exemple grenoblois n’est pas isolé.
Pour quelles raisons les collectivités ne sont-elles pas enclines à soutenir la production de logements abordables en filière courte ? C’est qu’il est plus facile pour ces dernières de se projeter sur la production de logements abordables en lotissement qu’en autopromotion en filière diffuse. Par nature, les résultats de la filière diffuse sont moins faciles à prévoir, à planifier, puisqu’ils résultent d’initiatives individuelles. Mais difficile ne veut pas dire impossible : on peut (et on doit) sécuriser la production de logements abordables en filière courte.
C’est précisément la mission que nous nous sommes donnés chez Villes Vivantes depuis 2013 : tirer tout le potentiel de la filière courte sur les territoires pour produire des logements abordables et réussir à fiabiliser la production de logements dans le temps. A Périgueux par exemple, nous nous sommes engagés pour la réalisation de 150 logements en 30 mois dans une ville où la production de logements abordables en filière courte n’existait pas.
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