Je souhaite diviser mon terrain pour créer un lot à bâtir mais j’aimerais préserver mon cadre de vie. Est-il possible d’imposer un emplacement pour la future construction ? Pourrais-je garantir le maintien des arbres implantés sur la parcelle que je détache et dont l’ombre protège ma terrasse de la chaleur estivale ? Comment éviter que mon futur voisin ne crée une ouverture qui, bien que respectant les règles d’urbanisme, créerait une vue plongeante chez moi et nuirait à mon intimité ?
C’est précisément dans des cas comme ceux-ci que les servitudes peuvent être les outils garants de la qualité des projets et de la mise en valeur du cadre de vie.
De quelle servitude parle-t-on ?
Dans le langage commun, le mot servitude est utilisé en référence à un accord entre voisins, mais dans le langage juridique ce mot a une portée plus large. Il faut tout d’abord distinguer les servitudes de droit privé qui permettent de régir les rapports entre des propriétés immobilières et les servitudes d’utilité publique qui, elles, relèvent du droit administratif et sont établies dans l’intérêt général. On retrouve les servitudes d’utilité publiques dans les annexes du Plan Local d’Urbanisme (PLU). Dans cet article il sera davantage question des servitudes de droit privé.
Parmi elles, on retrouve les servitudes conventionnelles, conclues d’un commun accord entre propriétaires, consultables chez le notaire et qui peuvent donner lieu à une rétribution financière. Toutefois, il ne faut pas oublier que les servitudes ne sont pas toujours consenties par les parties concernées : dans certains cas elles sont imposées de fait par la loi (ce sont des servitudes légales inscrites dans le Code civil), ou suite à une division (servitudes par destination du père de famille). Puis certaines servitudes sont naturelles et découlent de la situation des lieux.
Une servitude est une contrainte imposée sur une propriété immobilière, au profit d’une autre.
Les servitudes constituent une boite à outils utile pour organiser de façon fine et circonstanciée nos voisinages, afin de garantir à tous la qualité et la pérennité d’un cadre de vie. Les servitudes règlementent ainsi utilement les droits et les devoirs entre propriétés, même si leur « discrétion » peut être à l’origine d’incompréhensions entre voisins.
📕 L’article 637 du Code civil définit ce qu’est une servitude
« Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire. »
A savoir : un héritage est ici entendu comme une propriété immobilière.
Une servitude permet de régir les rapports qu’entretiennent deux propriétés immobilières appelées « fonds ». Une propriété rend un service foncier à l’avantage d’une autre propriété :
la propriété qui rend un service est dit fonds servant (cela peut être le fait d’autoriser le passage sur sa propriété, de supporter une vue des voisins, de restreindre ses droits à construire…),
la propriété à qui le service bénéficie est dit fonds dominant (cela peut être de passer sur un terrain, de pouvoir construire une fenêtre très près de chez le voisin, de contraindre la construction sur le terrain voisin…).
Attention, les propriétés doivent appartenir à des propriétaires distincts.
Exemple de servitude de droit privé : le terrain (D) bénéficie d’un droit de passage sur la propriété (S) via une servitude de passage.
2. Comment constituer une servitude ?
Les servitudes conventionnelles (article 686 à 710 du Code civil), c’est à dire résultant d’un accord entre propriétaires, sont formalisées par un notaire. Ce dernier rédigera le contenu de la servitude. Ce contenu est l’élément essentiel de la servitude et devra être rédigé correctement afin d’anticiper les litiges éventuels.
Par exemple, le contenu mentionne le tracé de la servitude de passage, les conditions de son exercice et l’éventuelle indemnité consentie par le fonds dominant.
La servitude ainsi constituée est un acte authentique, ce qui en certifie la validité. Les propriétaires successifs pourront donc en prendre connaissance en consultant les actes notariés passés.
📕 Est-ce que la création d’une servitude est payante ? Oui. La rémunération du notaire est réglementée et à charge des parties.
Attention, certaines servitudes sont constituées d’autres manières que par un accord consenti devant le notaire. Les servitudes légales sont créées de fait par la loi, elles sont consultables directement dans le Code civil (articles 649 à 685-1) et concernent diverses thématiques (la mitoyenneté, les vues, l’égout des toits, le passage…). Les servitudes par destination du père de famille résultent des divisions foncières et ne figurent pas toujours dans les actes notariés consultables car elles ne font par l’objet d’une obligation de publication. lien publicité foncière Il en est de même pour les servitudes qui dérivent de la situation naturelle des lieux (articles 640 à 648 du Code civil).
3. Est-ce qu’une servitude se transmet ?
Oui, une servitude se transmet. Elle constitue un droit réel immobilier et est opposable aux tiers.
3.1. Caractère accessoire
Une servitude est accessoire, c’est à dire qu’elle est attachée à un bien, à une propriété. On peut voir la servitude comme une limitation du droit de propriété. C’est un droit réel immobilier qui s’exerce au profit et pour l’utilité d’un fonds.
📕 Qu’est-ce qu’un fonds ? Un fonds est une terre, avec ou sans bâtiment.
Concrètement, la servitude est un lien de fonds à fonds, de propriété à propriété (Art.686 Code civil). La servitude se transmet avec le bien, en quelque main qu’il passe, elle ne peut être cédée, louée, hypothéquée ou saisie qu’avec le bien.
📕 Qu’est-ce qui peut faire l’objet d’une servitude ? Une servitude s’applique à des immeubles corporels et ainsi nécessite l’existence de deux fonds. Seuls les immeubles par nature peuvent faire l’objet de servitude. Ne sont pas soumis à servitude les immeubles par destination (c’est à dire ceux qui ont un lien économique ou matériel avec l’immeuble) ou par l’objet auxquels ils s’appliquent, ou encore les héritages qui ne sont pas susceptibles de propriété privée.
3.2. Particularité de la nature juridique des servitudes
La servitude ne pèse pas sur le propriétaire ou à son bénéfice.
Attention, bien que la servitude soit un droit réel immobilier, elle est une obligation hybride entre droit personnel et droit réel appelée obligation accessoire dite réelle. En effet, une charge personnelle de respect de l’exercice de la servitude pèse sur le propriétaire du bien.
Par ailleurs, la servitude ne peut bénéficier qu’au propriétaire à l’exclusion du locataire. Le propriétaire ne peut réaliser une vente avec réserve personnelle de la servitude grevée au fonds, la servitude reste grevée au fonds lui-même (CA Bourges, 29 août 1865 : S. 1866, 2, p. 11).
Le caractère accessoire de la servitude de droit privé permet au propriétaire d’un fonds servant de bénéficier de la faculté de délaissement. Elle lui permet d’abandonner la propriété grevée de servitude pour se soustraire aux services dus au propriétaire du fonds dominant envers lequel il n’est pas personnellement obligé.
« Dans le cas même où le propriétaire du fonds assujetti est chargé par le titre de faire à ses frais les ouvrages nécessaires pour l’usage ou la conservation de la servitude, il peut toujours s’affranchir de la charge, en abandonnant le fonds assujetti au propriétaire du fonds auquel la servitude est due. »
👉 Exemple : Une servitude de passage conventionnelle a été conclue il y a 20 ans et le titre mentionnait que les travaux d’entretien étaient à la charge du propriétaire du fonds qui subit le passage (fonds servant). Si aujourd’hui le terrain n’est plus en état de permettre le passage et que le coût de sa remise en état est tel que le propriétaire n’a plus intérêt à le financer, il peut choisir d’abandonner le morceau du terrain assiette du passage au propriétaire du terrain qui bénéficie du passage (fonds dominant).
4. Publicité foncière
L’acte permettant de constituer la servitude est obligatoirement soumis à la formalité de publicité foncière. La publicité, réalisée par le notaire, est la condition de l’opposabilité aux tiers de la servitude (article 28-1° et 2 du décret du 4 janvier 1955). De cette manière, les servitudes suivent les propriétés immobilières, même si l’acte de création de la servitude mentionne que le propriétaire à son origine pourra conserver le droit de servitude en cas de vente (Aubry et Rau, Droit civil français, 7e éd., t. III, par P. Esmein et Ponsard, § 247, p. 114). Le propriétaire ne conservera pas son droit d’usage si il vend, lors de la cession, le droit sera transmis avec le bien et bénéficiera au nouveau propriétaire.
Attention, les servitudes légales sont acquises par destination du père de famille ne sont pas assujetties à publicité foncière. Toutefois, il est recommandé de préciser la servitude dans l’acte de division des fonds afin d’informer les futurs propriétaires de son existence.
📕 Que veut dire opposable aux tiers ? L’opposabilité aux tiers rend valable pour tout le monde un document juridique. C’est-à-dire que toute personne extérieure au document juridique initial ne peut ignorer ce document. En effet, un contrat n’est normalement applicable qu’à ses signataires. Mais un document juridique devient opposable aux tiers, lorsqu’il a fait l’objet d’une formalité d’enregistrement, de publication. Cette dernière oblige tout le monde à prendre en compte le droit d’autrui.
Par ailleurs, une servitude est également opposable aux tiers si elle est mentionnée dans l’acte l’acte d’acquisition du bien, car l’acte est lui-même assujetti à publication (article 30 du décret du 4 janvier 1955).
📕 Une servitude non publiée ni mentionnée dans l’acte d’acquisition est-elle opposable ? La jurisprudence a cependant montré qu’une servitude est opposable à l’acquéreur dès lors qu’il a connaissance de la servitude au moment de la vente, et ce même si la servitude n’a pas été publiée et qu’elle n’apparaît pas dans l’acte d’acquisition (Civ. 3e, 19 sept. 2009, pourvoi n° 08-16.499, Bull. 2009, III, n° 195 et Cour de cassation, 3e civ., 23 septembre 2020, n° 19-19.179, publié au Bulletin, D. 2020. 1887).
Par exemple, si la première promesse de vente (qui ne fait pas l’objet de publication) mentionne la constitution d’une servitude et que la vente est ensuite réalisée par un jugement régulièrement publié et qui ne constate pas la constitution de la servitude, la Cour de cassation considère que la servitude est opposable puisque l’acquéreur en a eu connaissance avant la vente, au moment de la promesse.
Attention, un simple contrat de servitude qui ne serait pas authentifié par un notaire se limite à un droit personnel et s’éteindra lorsque l’un des fonds changera de main : il ne sera pas applicable aux futurs acquéreurs ou héritiers des fonds concernés.
5. Les trois grands principes des servitudes
5.1. Principe de fixité
Une servitude répond au principe de fixité, c’est à dire qu’elle ne peut faire l’objet de modification sans qu’une nouvelle convention ne soit rédigée, avec le consentement des propriétaires des deux fonds, que cela concerne par exemple l’assiette de la servitude ou ses modalités d’exercice (articles 701 et 702 du Code civil).
Le principe est appliqué de manière rigide par la jurisprudence pour les servitudes conclues entre propriétaires (conventionnelles), excepté lorsque la modification relève de l’adaptation aux conditions nouvelles sans que cette modification n’aggrave la servitude (par exemple, il sera toléré qu’un passage de charrette devienne un passage de voiture).
Quant aux servitudes légales, le juge peut décider de modifier la servitude si il en apprécie le besoin.
Attention, le propriétaire d’un terrain grevé de servitude peut proposer au propriétaire du terrain qui en bénéficie de déplacer l’assiette de la servitude à un endroit aussi commode pour l’exercice de ses droits, dans ce cas le propriétaire bénéficiaire ne pourrait refuser (article 701 alinéa 3 du Code civil).
5.2. Principe d’indivisibilité
Une servitude de droit privé répond au principe d’indivisibilité, c’est à dire que :
lorsque la propriété qui bénéficie de la servitude (fonds dominant) est divisée, la servitude elle est maintenue pour chacune des parcelles issues de la division : la servitude n’est pas restreinte à l’un des lots issus de la division, elle est maintenue sur l’intégralité de l’assiette du fonds initialement grevé .
lorsque la propriété qui subit la servitude (fonds servant) est divisée, la servitude continue à grever toutes les parcelles du fonds initialement grevé : la division n’affranchie aucune portion de ce fonds.
Attention, il ne faut cependant pas accroître la charge imposée à la propriété qui subit la servitude (fonds servant). En cas de division d’une propriété pour vendre un terrain à bâtir, la jurisprudence considère qu’il n’y pas d’aggravation si l’usage du propriétaire acquéreur du lot vendu n’est pas exagéré.
5.3. Principe de perpétuité
Le principe de perpétuité est une conséquence du droit réel : les servitudes ne s’éteignent pas au décès des propriétaires, elles continuent de s’exercer dans quelque main qu’elles passent.
Cependant, il est maintenant toléré de conclure des servitudes temporaires (elles seront alors de nature conventionnelle et la durée sera mentionnée dans l’acte de création).
Une servitude se classe en fonction de deux critères : elle est continue ou bien discontinue, ainsi qu’apparente ou non apparente.
De cette classification découlent des spécificités à connaître au sujet des modes d’acquisition des servitudes et des moyens de les défaire. lien conséquences de la classification
6.1. Servitude continue
On dit qu’une servitude est continue lorsqu’il n’est pas nécessaire que le propriétaire du fonds dominant (à qui bénéficie la servitude) réalise des actes successifs et répétés afin que la servitude s’exerce. Cela est valable aussi bien pour les servitudes du fait de l’homme que pour les servitudes légales et naturelles.
👉 Exemple : Les servitudes de vue, d’aqueduc ou de prise d’eau (même avec écluse), d’égout des eaux pluviales, de ne pas bâtir ou de ne pas élever des constructions au-dessus d’une certaine hauteur sont des servitudes qui demeurent continues même si leur exercice est révélé par intermittence. Ainsi une servitude d’égout des eaux pluviales n’est révélée que lorsqu’il pleut.
6.2. Servitude discontinue
On dit qu’une servitude est discontinue lorsqu’elle nécessite le fait actuel de l’homme pour être exercée. Bien que certains travaux puissent en faciliter l’exercice, ces servitudes conservent leur caractère discontinu (un chemin, une porte dans le cas du passage…).
👉 Exemple : Sont discontinues les servitudes de passage, de puisage, de pacage, d’abreuvage, d’extraction de matériaux, d’évier ou d’égout des eaux ménagères, de lavage.
6.3. Servitude apparente
Une servitude est apparente lorsqu’un signe extérieur la matérialise (une fenêtre, un chemin, un regard).
Le signe apparent peut aussi bien se trouver sur le fonds servant que sur le fonds dominant, dès lors que le propriétaire du fonds servant peut le voir depuis sa propriété.
Dans le cadre d’une création de servitude, bien qu’elle soit apparente, il est fortement recommandé de l’officialiser chez le notaire et de la faire publier au service de la publicité foncière.
6.4. Servitude non apparente
Une servitude est non apparente lorsqu’il n’y a pas de signe extérieur qui matérialise son existence.
👉 Exemple : Les servitudes de non aedificandi, de non altius tollendi, mais aussi d’écoulement des eaux de pluie sans présence de regard, ou encore les servitudes de pacage (pâturage).
7. Quels sont les effets de la classification des servitudes ?
7.1. La prescription acquisitive
Seules les servitudes continues et apparentes sont susceptibles de s’établir par prescription acquisitive (ou usucapion).
7.2. Destination du père de famille
L’acquisition d’une servitude peut se faire par destination du père de famille, c’est-à-dire de par la configuration d’une division, uniquement si la servitude est continue et apparente.
Attention, la jurisprudence considère qu’une servitude discontinue et apparente peut s’acquérir par destination du père de famille si l’acte de séparation des fonds ne stipule aucune mention contraire à l’exercice de la servitude.
Par exemple, la présence d’une porte qui matérialise le passage entre deux immeubles résultant d’une division pourrait permettre de revendiquer l’existence d’une servitude de passage par destination du père de famille dès lors que l’acte de division ne s’oppose pas à l’exercice de cette servitude.
7.3. La prescription extinctive
Le point de départ du non usage (qui entraîne dans certains cas la prescription extinctive) ne se définit pas de la même manière selon que la servitude soit continue ou discontinue (article 707 du Code civil).
Le moment où l’on a cessé de jouir de la servitude est le point de départ de la durée de prescription d’une servitude discontinue (Cass. civ., 11 janvier 2006, n° 04 16-400).
👉 Exemple : Dans le cas d’une servitude de passage, le point de départ est le dernier jour où elle a été utilisée. Ce n’est pas la disparition du chemin d’accès.
La réalisation d’un acte contraire à la servitude marque le départ de la durée de prescription d’une servitude continue.