Le temps des grands projets est fini

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7 min de lecture.  |  Publié le 11/09/2023 sur | Mis à jour le 10/10/23

Maison Strauven – Photo by Alessandro Porotto in Brussels Housing

Les habitants aiment, désirent, chérissent la hauteur en ville. Et nos villes ont besoin, en un certain nombre de lieux, de hauteur.

Mais il n’est pas, comme nous avons chacun pu le constater ces dernières années, une seule réunion publique d’urbanisme dans laquelle la hauteur ne soit pas le sujet de crispation entre élus, opérateurs et riverains…

Alors comment faire ?

Il y a sans doute deux façons de produire des villes durables

On peut partir des villes conçues et bâties avant l’avènement de l’automobile : centrales, bien desservies par les transports en commun (TC) ou ayant le potentiel de l’être, il « suffit » presque d’en retirer la voiture et d’intensifier la présence du végétal pour qu’elles retrouvent une forme potentiellement viable, vivable, soutenable. Les enjeux d’adaptation, d’accueil et de mixité sont considérables ; mais le chemin urbanistique à parcourir est relativement court pour passer de l’état actuel de ces morceaux de territoires vers une forme de cadre de vie vertueux.

On peut, à l’inverse, partir des espaces périurbains qui ont été rendus possible par l’accès à l’énergie peu chère : ils ont été pensés pour et selon l’automobile, forment aujourd’hui la très grande majorité des espaces bâtis et leur faible densité est, concrètement, leur principal handicap. Pour rendre viable des services, commerces et équipements de proximité, mais aussi des dessertes structurantes en TC, pour proposer des espaces praticables à pied ou en vélo, mais également une plus grande mixité, une part significative des espaces bâtis au 20e siècle devront s’intensifier, se réorganiser, se diversifier et, très certainement, être densifiés : à l’heure du ZAN, ça tombe bien !

La transformation douce des tissus urbains

Vous connaissiez sans doute le BIMBY — processus qui consiste à faire d’un bien (le plus souvent une maison avec jardin) deux biens, en partageant l’existant avec subtilité, intelligence, attention aux usages, à la végétation.

Peut-être connaissez-vous le BUNTI — processus qui consiste à partir d’un bâtiment existant pour en modifier la composition et la distribution afin d’adapter sa configuration à de nouveaux usages ; agrandir, surélever ou au contraire subdiviser, créer des espaces extérieurs privatifs qui n’existaient pas et, en même temps, mieux éclairer, mieux ventiler, mieux desservir et organiser les espaces de vie…

Peut-être, enfin, avez-vous entendu parler de la BAMBA : l’art du lotissement organique, dense et sur mesure, où chaque terrain est défini en fonction du projet de construction qu’il accueillera.

Dans le cas de la BAMBA, comme dans le cas du BIMBY et du BUNTI, le principe de la maîtrise d’ouvrage habitante (c’est-à-dire l’absence de promotion immobilière) accompagnée et coordonnée (par des règles + un service d’aide à la conception à la demande) permet de produire des logements abordables et sur mesure, à l’image de leurs habitants.

En transformant les fonciers et les bâtiments situés au sein des enveloppes urbaines en des versions plus mixtes, plus vertes, plus intenses, plus denses, mieux aménagées, conçues et adaptées, pas à pas, aux usages et aux conditions de vie actuelles, c’est tout un art de la densification douce qui se met en place.

Existe-t-il d’autres voies ?

Dans la famille des processus d’évolution et de transformation organiques des espaces peu denses du périurbain, il faut ici introduire le BRAMBLE : un outil de densification forte, une sorte de cousin intellectuel et technique du BIMBY, du BUNTI et de la BAMBA qui sont, quant à eux, les outils de densification douce qui ont mobilisé l’essentiels des efforts de R&D conduits par Villes Vivantes et ses partenaires ces dernières années.

Mais tout d’abord, pourquoi travailler sur de nouveaux outils de densification forte ?

 Le temps des grands projets est fini 

Le cœur des grandes métropoles françaises a connu ces dernières années de grands projets urbains qui ont laissé des traces dans le débat public. Ces grands projets ont eu, finalement, un impact négatif sur l’acceptabilité sociale de la densité, de la densification, de la hauteur et, finalement, de la notion même d’accueil de nouvelles populations dans ces lieux métropolitains pourtant de plus en plus désirés et essentiels dans le fonctionnement social, culturel et économique du pays.

Ces grands projets, bien qu’iconiques et marquants, n’ont pas été suffisants, d’un point de vue quantitatif, pour répondre à la demande grandissante d’intensité, de proximité et d’accessibilité. Ils ont par contre créé une forme de ressentiment des habitants à l’endroit du phénomène de croissance urbaine, finalement perçu comme brutal.

Les élections municipales de 2014, et surtout celles de 2020, ont remis l’urbanisme au centre des débats avec une remise en cause très forte de la poursuite des grands projets urbains. À Bordeaux, le débat entre les candidats en lice pour prendre la suite des mandats d’Alain Juppé est marqué par un point de consensus principal :  le temps des grands projets est fini .

Est-ce à dire que le temps des métropoles accueillantes, hospitalières, vibrantes, est fini tout autant ?

Le 11 septembre 2023, le New York Times consacrait un article à Tokyo, The Big City Where Housing Is Still Affordable : grâce à des règles d’urbanisme peu contraignantes, décidées à l’échelle nationale, la capitale nippone a su créer une offre urbaine intense, centrale, généreuse et vivante, accessible aux classes moyennes.

Le modèle tokyoïte n’est pourtant pas sans défaut. Formant un « océan de maisons », il s’est développé selon un usage hyper intensif du sol, utilisant peu la hauteur et, finalement, laissant peu de place à la nature en ville…

Faire grandir et élever délicatement nos villes est un art

Il existe deux façons de mettre en œuvre une densification forte au sein des tissus peu denses existants :

  1. On peut chercher à recréer les conditions de développement de la « ville nouvelle » telle qu’elle a été pratiquée au 20e siècle, à partir de grands tènements fonciers, décomposables en macro-lots, qui peuvent être reconstitués en partant de friches ou par l’achat de plusieurs fonciers contigus qui peuvent former une emprise suffisamment importante pour y développer un « programme » immobilier ;
  2. On peut, au contraire, partir des tissus de faubourg et périurbains, en conservant leur trame parcellaire fine, et substituer, parcelle par parcelle, à des maisons en RdC ou en R+1, d’élégants immeubles qui monteront dans les étages mais conserveront une forme élancée en raison de l’étroitesse des fonciers d’origine.

C’est cette deuxième voie ce que nous appelons le « BRAMBLE ».

Elle comporte deux avantages décisifs : le premier, que je vais évoquer ici, en terme de forme urbaine engendrée ; le second, d’un point de vue opérationnel (avec des difficultés également), que j’évoquerai dans un prochain article.

Contrairement à la voie (1), qui crée la plupart du temps des bâtiments bien plus larges que hauts (perçus par les habitants comme des sortes de « paquebots ») en raison des hauteurs autorisées qui dépassent rarement les 7 ou 8 étages dans les villes françaises, la deuxième voie produit une forme urbaine élancée (des immeubles bien plus hauts que larges) et organique, grâce à la juxtaposition d’immeubles différents et disjoints, aux maîtres d’ouvrages et maîtres d’œuvre distincts.

Cette famille de forme urbaine organique, nous la connaissons : elle a fait ses preuves en matière d’acceptabilité sociale par exemple dans le cœur des villes médiévales françaises (je pense à Bayonne ou à Rouen) dont les architectures à colombage renforcent encore cet effet d’élancement.

Mais on peut aussi observer le « 3 fenêtres » marseillais, l’immeuble de rapport parisien, le port d’Honfleur… qui, tout en montant dans les étages, produisent des variations subtiles et élancées, à partir d’une largeur (et non d’une hauteur) « à taille humaine ».

Port d'Honfleur

En définitive, le BRAMBLE est une méthode de densification forte qui conserve la trame parcellaire des premières strates d’urbanisation peu denses des faubourgs et du périurbain, en substituant,  parcelle par parcelle, à des maisons en RdC ou en R+1, d’élégants immeubles qui monteront dans les étages 

En voici une nette illustration à Anvers, avec une forme à la fois :

  •  élancée : des immeubles bien plus hauts que larges  ;
  •  organique : grâce à la juxtaposition d’immeubles différents et disjoints, aux maîtres d’ouvrages et maîtres d’œuvre distincts .
© Jan Kempenaers