Une servitude de droit privé représente à la fois une contrainte pour le fonds servant et un bénéfice pour le fonds dominant. Elle peut avoir différentes origines (acquise de plein droit ou par convention) et peut s’appliquer à diverses thématiques (le passage, la vue1, les plantations…). Une même propriété peut être grevée de plusieurs servitudes et ce avec différentes propriétés immobilières2.
Il faut garder à l’esprit qu’une servitude publiée par un notaire au service de la publicité foncière3 porte sur une propriété et non sur un propriétaire (elle ne s’éteint pas au décès du propriétaire) : le propriétaire d’un fonds devra faire en sorte de respecter la servitude relative à son terrain. Par ailleurs, elle est opposable aux tiers4, c’est-à-dire qu’elle s’applique aux propriétaires signataires mais aussi aux futurs acquéreurs et héritiers des propriétés concernées.
Selon l’évolution de la situation et les projets envisagés sur chacun des terrains, un propriétaire peut vouloir défaire une servitude. La plupart d’entre elles sont créées pour être perpétuelles et il n’est donc pas toujours aisé d’y mettre fin. Par ailleurs, étant donné qu’une servitude représente des droits et des charges appliqués à une propriété, elle influence la valeur économique des fonds qu’elle concerne, mais aussi la qualité du cadre vie qu’ils offrent. De cette manière, mettre fin à une servitude n’est pas sans conséquence et doit être mûrement réfléchi.
Dès lors, dans quels cas et par quels moyens est il possible de mettre fin à une servitude ?
1. Renonciation du fonds dominant
Le fonds dominant peut choisir de renoncer à la servitude dont il bénéficie.
Pour être opposable aux tiers, la renonciation doit être publiée par un notaire.
La renonciation peut être expresse ou tacite :
- La renonciation expresse consiste à résilier le contrat de création de la servitude, par un acte notarié.
- La renonciation est tacite dans le cas où le propriétaire du fonds dominant consent sans équivoque à l’édification de constructions ou autres éléments qui font obstacle à l’exercice de la servitude. Pour être opposable aux tiers, elle devra être publiée.
Attention, la renonciation ne se présume pas (V. en ce sens Cass. civ. 3 déc. 1929). L’abstention du propriétaire du terrain qui profite de la servitude (fonds dominant) ne vaut pas renonciation : si le propriétaire du fonds dominant fait preuve de passivité en n’établissant aucun acte contraire à l’exercice de la servitude, la jurisprudence6 ne considère pas ce cas comme une renonciation mais plutôt comme un non-usage.
Une construction est édifiée en violation d’une servitude de non altius tollendi. Le propriétaire du fonds dominant, voisin de la construction nouvelle, n’occupe sa propriété que très ponctuellement et n’a donc pas assisté à l’édification de la construction. Dans ce cas, la non-opposition au projet de construction ne vaut pas renonciation tacite à son droit réel7. Le propriétaire du fonds dominant peut faire appel à la justice afin que le propriétaire du fonds servant abaisse sa construction.
Par ailleurs, il est considéré que la construction rend inutilisable la servitude. Le non-usage doit courir sur au moins 30 ans avant qu’il conduise à l’extinction de la servitude. Passé le délai trentenaire, la servitude s’éteindra.
Attention, le caractère tacite de la renonciation relève uniquement de l’interprétation souveraine du juge.
Dans le cas d’une servitude réciproque — c’est-à-dire lorsque les fonds sont alternativement servants et dominants &mdash la renonciation doit provenir des deux propriétaires, elle ne peut être unilatérale.
Aussi, on ne peut renoncer à une servitude légale8, c’est-à-dire obtenue de droit par application du Code civil, car elle relève du régime ordinaire de la propriété (exemple : une servitude de passage consentie pour raison d’enclave9). Une servitude légale est perpétuelle.
2. Le non-usage trentenaire
Une servitude qui n’est pas utilisée pendant au moins 30 ans s’éteint (Art. 70610 du Code civil).
Le non-usage trentenaire concerne toutes les servitudes du fait de l’homme (quel que soit leur mode d’acquisition, qu’elles soient apparentes, non apparentes, continues ou discontinues). Les servitudes légales &mdash définies par le Code civil &mdash et naturelles &mdash obtenues de droit de par la configuration des lieux &mdash ne sont pas concernées.
En outre, le point de départ de la prescription n’est pas le même selon si la servitude est continue ou discontinue (Art. 70711 du Code civil) :
- La durée de prescription d’une servitude discontinue12, comme le passage, se compte à partir du moment où l’on a cessé d’en jouir. Dans le cas du passage il s’agit de la dernière fois que l’on a utilisé le passage. La disparition du signe apparent &mdash le chemin qui matérialise la servitude dans le cas du passage &mdash ne peut être considéré comme point de départ (Cass. civ., 11 janvier 2006, n° 04 16-40013).
- La durée de prescription d’une servitude continue14, comme le non aedificandi, se compte à partir de la réalisation d’un acte contraire à la servitude15. Dans le cas de la servitude de non aedificandi il s’agit de la date d’édification de la construction en violation de la servitude.
Si le fonds dominant est indivis, la jouissance de l’un des indivisaires empêche la prescription également à l’égard des autres.
La prescription n’est pas un acte inéluctable, le délai trentenaire peut faire l’objet d’une suspension ou d’une interruption qui l’amènerait dans les faits au-delà du délais des 30 ans.
3. La confusion des fonds
Lorsque les fonds sont réunis aux mains d’un seul et même plein propriétaire16, la servitude prend fin.
Attention, si le propriétaire du fonds servant devient seul nu-propriétaire17 du fonds dominant, la servitude ne s’éteint pas.
4. L’extinction pour impossibilité d’usage
Une servitude s’éteint dès lors que celle-ci devient impossible à utiliser. Cette extinction peut être temporaire.
L’extinction de la servitude ne peut résulter de son inutilité (servitude de passage : Cass. 1ère civ., 7 déc. 196618). Toutefois la jurisprudence contemporaine laisse place à un débat doctrinal à ce sujet.
En quoi l’extinction de la servitude pour cause d’inutilité fait-elle débat ?
D’une part, un arrêt de la Cour de cassation du 9 juillet 2003 avait admis l’extinction d’une servitude conventionnelle19 en s’appuyant sur la disparition de son utilité. D’autre part, la Cour d’appel de Rioma a ensuite été sanctionnée le 12 mars 2012 par la Cour de cassation : l’arrêt n°11/00604 précise que l’impossibilité d’user est une cause d’extinction mais que son inutilité ne l’est pas.
L’extinction n’est pas envisageable dans les cas suivants :
- Le propriétaire du fonds servant ne peut pas faire valoir l’extinction de la servitude sur le principe qu’une contrepartie exigée en échange de la création de la servitude n’a finalement pas été exécutée (le droit réel &mdash la servitude &mdash n’étant pas subordonné à l’exercice du droit personnel20 &mdashla contrepartie ).
Droit réel versus droit personnel.
Le droit réel porte sur une chose. Il s’agit du pouvoir direct d’une personne sur une chose. La servitude est un droit réel.
Le droit personnel porte sur une personne. C’est le droit d’un créancier21 (une personne), d’exiger une obligation détenue par un débiteur (une autre personne). L’obligation peut être de faire, ne pas faire ou de donner (le paiement d’une indemnité ou encore la taille d’un arbre…).
- Le propriétaire du fonds servant ne peut pas faire valoir l’extinction de la servitude sur le principe que les conditions d’exercice de la servitude ne sont pas respectées. Le non-respect des conditions d’exercice peut, par exemple, être le fait de ne pas respecter l’assiette d’une servitude de passage.
5. Perte de fonds
Si l’un des fonds disparaît, la servitude qui lui était grevée s’éteint. Par exemple, un fonds peut disparaître suite à son annexion au domaine public ou par destruction naturelle qui empêcherait sa remise en état (un terrain sous les eaux de manière définitive…).
En effet, dans un cas d’annexion au domaine public, le fonds fait l’objet d’une expropriation pour utilité publique. Et selon l’article L12-222 du Code de l’expropriation, les droits réels (tels que les servitudes) s’éteignent avec l’expropriation.
6. Cas particuliers
6.1. Expiration du contrat de servitude
Certaines servitudes sont mises en place pour une durée déterminée. Dans ce cas, le contrat de création de la servitude fait mention de la durée. Au terme de date, la servitude prend fin d’elle-même, sans qu’un accord soit passé.
L’acte de création d’une servitude peut également prévoir une condition résolutoire. La réalisation de cette condition entraîne alors la cessation de la servitude.
6.2. La servitude de cour commune
La servitude de cour commune ne peut ni s’éteindre, ni se prescrire. En effet, elle est conclue pour l’utilité publique et pas seulement dans l’intérêt de la propriété qui en bénéficie. Elle a une incidence sur l’application des règles d’urbanisme, permet la délivrance d’une autorisation d’urbanisme et a alors une portée administrative.
La modification des règles d’urbanisme n’est pas une raison pour mettre fin à la servitude de cour commune. Ce sont les règles en vigueur au moment de l’établissement de la servitude qui sont prises en compte.
6.3. Division des fonds
Les servitudes répondent au principe d’indivisibilité.
Article 70023 du Code civil : Si l’héritage24 pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée. Ainsi, par exemple, s’il s’agit d’un droit de passage, tous les copropriétaires seront obligés de l’exercer par le même endroit.
Si un fonds servant, grevé d’une servitude de non aedificandi conventionnelle, a été divisé en plusieurs lots et qu’une construction a été édifiée il y a plus de trente ans sur l’un des terrains d’assiette de la servitude, la prescription dont bénéficie le terrain construit ne vaut pas pour les autres terrains grevés issus de la division (JCPN, 7 décembre 2001, p. 1778, note Denis Lochouarn).
Notes :
- Vue : une vue est une ouverture qui laisse passer l’air, la lumière et la vue. Elle peut s’ouvrir et bénéficier d’un verre transparent.
- Propriétés immobilières : propriété de tout ce qui est attaché au sol, de ce qui est rattaché à un immeuble ainsi que des droits dont l’objet est une chose immobilière (servitude, usufruit d’un immeuble…).
- Publicité foncière : le service de la publicité foncière (ancienne conservation des hypothèques) publie les actes. La publication conditionne leur opposabilité aux tiers. Ce service gouvernemental permet la conservation des droits réels et la centralisation des informations immobilières (propriété, cadastres). L’acte permettant de constituer la servitude est obligatoirement soumis à la formalité de publicité foncière. Cela permet de limiter le risque de conflit. Lien opposabilité aux tiers.
- Opposable aux tiers : lorsqu’un acte juridique est opposable aux tiers, ces derniers ne peuvent en nier l’existence. La publication légale de cet acte le rend opposable aux tiers. C’est à dire que tout le monde doit le respecter, même les personnes qui ne l’ont pas signé.
- Destination du père de famille : La servitude par destination du père de famille s’impose de par la configuration de la division.
- Jurisprudence : solution donnée par un ensemble de décisions judiciaires sur un point de droit litigieux.
- Droit réel : pouvoir d’une personne sur une chose ayant une existence matérielle, ne crée aucune obligation personnelle.
- Servitude légale : la servitude légale s’obtient de droit, selon ce que prévoit le Code civil (le droit au désenclavement par exemple).
- Enclave : un terrain enclavé ne dispose pas d’accès à la voie publique. Un terrain enclavé a le droit au désenclavement grâce à une servitude de passage.
- Article 706 du Code civil
- Article 707 du Code civil
- Servitude discontinue : on dit qu’une servitude est discontinue lorsqu’elle nécessite le fait actuel de l’homme pour être exercée.
- Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 11 janvier 2006, 04-16.400
- Servitude continue : on dit qu’une servitude est continue lorsqu’il n’est pas nécessaire que le propriétaire du fonds dominant (à qui bénéficie la servitude) réalise des actes successifs et répétés afin que la servitude s’exerce.
- Acte contraire à la servitude : un acte contraire à une servitude est observé pour les servitudes continues lorsque une action qui va à l’encontre du service objet de servitude est réalisée. C’est ainsi que l’acte contraire à une servitude de non aedificandi est l’acte de construire sur la zone où la construction est restreinte. Ou encore, l’acte d’obstruer une ouverture en construisant devant est un acte contraire à une servitude de vue.
- Plein propriétaire : le plein propriétaire dispose des trois prérogatives constitutives du droit de propriété (usus, fructus, abusus). C’est à dire qu’il bénéficie à la fois de l’usufruit et de la nue-propriété. Lien nu-propriétaire. Lien usufruitier.
- Nu-propriétaire : le nu-propriétaire dispose de l’une des trois prérogatives du droit de propriété qui est l’abusus, le droit de disposer de la chose. Il est alors privé de la jouissance du bien, dont bénéficie l’usufruitier. Lien usufruitier. Lien pleine propriété.
- Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 7 décembre 1966
- Servitude conventionnelle : une servitude conventionnelle (par opposition à la servitude de plein droit) est créée de façon facultative. Il s’agit d’un accord amiable, négocié entre les parties pour leur confort respectif. Les volontés des parties s’accordent afin de produire les effets de droit qu’elles souhaitent (elles sont consentantes). La convention est l’acte juridique qui découle de cet accord.* Lien servitude de plein droit.
- Droit personnel : le droit personnel relie deux personnes entre elles (le créancier et le débiteur). Une personne (le créancier) a le pouvoir juridique d’obliger une personne à donner, faire ou ne pas faire quelque chose (le débiteur).
- Créancier : personne titulaire d’une créance qui lui permet d’exiger l’exécution de la prestation promise par le débiteur.
- Article L12-2 du Code de l’expropriation
- Article 700 du Code civil
- Héritage : dans le Code civil : synonyme de propriété immobilière.