Je souhaite construire sur une limite séparative comportant une ouverture voisine

Par
8 min de lecture  |  Publié le 14/12/23

Plan de l'article

Pouvoir construire sur une limite comportant une ouverture voisine dépend d’une pluralité de facteurs :

  • Tout d’abord, la construction en limite doit être permise par de la règlementation d’urbanisme ;
  • Ensuite, le fait d’obstruer une ouverture voisine demande de déterminer la nature de l’ouverture, de vérifier sa légalité au regard du Code civil ainsi que de connaître ses éventuelles protections par le droit privé ;
  • Enfin, si en l’état actuel des choses le projet envisagé ne semble pas réalisable ou si le propriétaire du terrain voisin ne paraît pas satisfait, il ne faut pas négliger les possibilités de négociation et de résolution à l’amiable.

Quelle est la marche à suivre pour construire sur une limite séparative comportant une ouverture voisine ? Comment vérifier la conformité avec le droit privé ? Comment d’éviter des troubles de voisinage ?

1. La logique générale

Dès lors que le règlement d’urbanisme autorise l’implantation en limite, la tolérance de l’obstruction dépend de la nature de l’ouverture : est-ce un jour ou une vue ?

  • Il est toléré d’obstruer un jour, sachant que le jour ne restreint pas les droits du propriétaire du fonds voisin.

1.1. Exemple 1

La jurisprudence a montré que, dans le cas d’une ouverture présente depuis plus de 30 ans, le fait qu’elle soit considérée comme une fenêtre rendait impossible son obstruction, contrairement à si elle avait été considéré comme un jour de souffrance (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 12 juillet 2018, 17-11.288, Inédit).

  • Dans le cas d’une vue, l’obstruction est envisageable uniquement si la vue en question est illégale et dépourvue de la protection d’une servitude de droit privé.

1.2. Exemple 2

La jurisprudence a montré qu’il était possible d’obstruer une fenêtre illégale (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 21 février 2019, 17-25.677, Inédit). Dans ce cas, un mur de soutènement a été édifié en limite séparative alors qu’une fenêtre voisine se trouvait à 1,3m de la limite. La Cour de cassation a rappelé que la fenêtre étant dépourvue de servitude la protégeant, le trouble anormal de voisinage ne suffisait pas à exiger la démolition de l’ouvrage.

Toutefois, la jurisprudence a déjà pu refuser l’obstruction d’une ouverture, entre autres, car elle a jugé qu’elle participait à la luminosité générale des lieux et à l’aération.

2. Est-ce que l’ouverture est un jour ou une vue ?

Le jour et la vue sont définis par le Code civil (Art. 675 à 680 du Code civil).

Attention, en cas de litige, le caractère de l’ouverture dépend de l’appréciation souveraine des juges.

2.1. Les briques de verre

Selon la jurisprudence dominante, les parties de mur édifiées avec des matériaux modernes tels que des briques ou des pavés de verre ne sont considérés ni comme un jour, ni comme une vue. De cette manière, obstruer un tel ouvrage est envisageable.

2.2. Les cas complexes

Le Code civil établi des critères permettant de caractériser les ouvertures mais, dans les faits, il est rare que tous les critères soient réunis afin de définir la nature de l’ouverture.

Dans ce cas, il faudra se référer à la jurisprudence qui utilise un faisceau d’indices afin de trancher si l’ouverture constitue une vue ou un jour.

3. Vérifier la conformité avec l’urbanisme

Avant tout, le projet de construction doit respecter la règlementation d’urbanisme. Ainsi, il convient de s’assurer que les documents d’urbanisme autorisent l’implantation des constructions en limite séparative.

Attention, les autorisations d’urbanisme sont délivrées « sous réserve du droit des tiers » (Art. A424-8 du Code de l’urbanisme). Cela signifie que le seul fait d’avoir obtenu un permis de construire ou une déclaration préalable ne suffit pas à être en règle lorsque la construction envisagée prévoit l’obstruction d’une ouverture.

4. Vérifier la conformité avec le Code civil

Au-delà de la définition de la nature de l’ouverture, il convient de déterminer si cette vue est conforme avec le Code civil. Si la vue n’est pas conforme aux critères prévus par le Code civil (et si elle ne fait pas l’objet d’une servitude), elle est illégale et son obstruction pourra donc être envisagée.

Le Code civil fixe des distances entre les ouvertures et la limite séparative avec le fonds voisin (Art. 675 à 680 du Code civil).

Attention, si l’ouverture obstruée par la construction envisagée n’est pas conforme au Code civil, il faut s’assurer qu’elle ne soit pas protégée par une servitude de droit privé. Son obstruction est envisageable uniquement si aucune servitude de droit privé ne la protège.

4.1. Un jour

La Code civil autorise la création de jours en limite séparative dès lors qu’ils ne sont pas dans un mur mitoyen et qu’ils se situent au moins 2,6m au dessus du niveau du plancher au rez-de-chaussée et au moins 1,9m au dessus du niveau du plancher à l’étage (Art. 677 du Code civil).

Attention, l’obstruction d’un jour, même légal, est tolérée. Cependant, on peut considérer qu’en cas de désaccord ou de litige, si le jour à obstruer est illégal cela constitue un argument pour la propriétaire souhaitant construire.

4.2. Une vue

Le Code civil impose une distance d’au moins 1,9m entre une vue droite et la limite séparative (Art. 678 du Code civil) et d’au moins 60cm dans le cas d’une vue oblique.

En savoir plus : 📰 La vue, le jour et les ouvertures : ce que dit le Code civil

5. Vérifier la conformité avec le droit privé

Des servitudes de vue du fait de l’homme (ou servitudes discontinues, par opposition aux servitudes continues) peuvent être acquises de diverses manières (conventionnellement ou suite à une division ou encore par prescription trentenaire). Ces servitudes peuvent rendre légales des ouvertures qui ne seraient pas conformes au Code civil. En effet, elles peuvent définir des distances entre une ouverture et la limite qui diffèrent de celles énoncées par le Code civil.

Les servitudes de droit privé sont régies par le Code civil (Art. 686 à 710 du Code civil).

Cet ensemble de servitudes peut contraindre l’édification d’une construction envisagée sur une limite comportant une ouverture.

Une ouverture qui bénéficie d’une servitude de vue ne peut, en principes, pas faire l’objet d’une obstruction par le voisin. Toutefois, il est recommandé que le contenu de la servitude soit précis et explicite.

Bien entendu, les propriétaires des deux terrains peuvent trouver un accord à l’amiable afin que chacun y trouve son compte.

5.1. Servitude acquise par prescription trentenaire

La servitude de vue peut être acquise par prescription trentenaire, c’est-à-dire qu’elle peut être acquise de fait, sur l’unique motif qu’elle existe depuis plus de 30 ans (Art. 690 du Code civil).

Attention, dans le cas d’une servitude acquise par prescription, le propriétaire du terrain qui bénéficie de la servitude (fonds dominant) devra être en mesure de prouver que l’ouverture est bien en place depuis au moins 30 ans, sans quoi l’existence de la servitude peut être remise en question lors d’un litige.

5.2. Servitude acquise par destination du père de famille

La servitude par destination du père de famille est acquise de fait lors d’une division foncière de la propriété (Art. 693 du Code civil).

Si l’ouverture résulte d’une division et qu’avant cette division l’ouverture ne se trouvait pas en limite, elle est protégée par une servitude valant titre.

5.3. Servitude acquise par convention

La servitude acquise par convention a fait l’objet d’un accord amiable entre les propriétaires des deux fonds (servant et dominant). Si elle a été publiée par le notaire au service de la publicité foncière, elle est opposable aux tiers et s’applique donc aux héritiers et acquéreurs qui leur succéderont.

6. Trouble de voisinage

Si la construction projetée génère un trouble de voisinage, comme des vues plongeantes sur le fonds voisin, le propriétaire souhaitant construire pourrait voir sa responsabilité engagée (Cass. Civ. 3e, 7 février 2007 dans le Dictionnaire permanent de l’Entreprise agricole, Bulletin n°395, p. 9930).

En effet, il ne suffit pas toujours de respecter les distances légales afin d’être en règle ; il faut également veiller à ne pas faire subir des nuisances au propriétaire du fonds voisin, qui l’empêcheraient de jouir pleinement de son droit de propriété.

L’évaluation de ces nuisances reposent sur l’appréciation souveraine des juges.

7. Ne pas négliger l’accord à l’amiable

Dans un premier temps il est nécessaire de s’informer afin de connaître ses droits et de pouvoir s’exprimer en connaissance de cause.

Il ne faut pas négliger la résolution de la situation à l’amiable. Discuter avec son voisin et lui exposer le projet envisagé n’est pas le dernier recours. C’est même bien souvent le plus facile et le moins coûteux en temps, en énergie et en argent. L’adage parle de lui même : “un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès”.

En effet, le but n’est pas de faire renoncer l’autre à ses droits éventuels sans rien en retour. Il est possible de négocier afin que la situation demeure équilibrée et juste, que ce soit en concédant une servitude qui bénéficie au voisin ou par un dédommagement financier de ce dernier.

En savoir plus : 📰 Comment est-ce possible qu’il existe une fenêtre en limite de ma propriété alors que le Code civil le proscrit ?