Le NIMBY éloigne les moins diplômés de l’emploi

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4 min de lecture  |  Publié le 12/09/24

George Frewat | pexels.com

Une étude, réalisée aux États-Unis, estime que les coûts de transport domicile-travail expliquent entre 2 à 3.5 points de taux de chômage chez les travailleurs les moins diplômés.

Comment parvenons-nous à cet étrange paradoxe qui veut que nous subissions, à la fois, un taux de chômage structurel élevé et des secteurs entiers qui peinent à recruter ? Les experts de la formation ont, bien sûr, beaucoup de choses à dire à ce propos mais les urbanistes ont aussi un rôle à jouer, en particulier en ce qui concerne l’emploi des plus jeunes et des moins diplômés. Voici pourquoi.

En économie des transports, on appelle valeur du temps (VoT) la somme que nous serions prêt à débourser pour réduire nos temps de trajet d’une heure. Le sujet est étudié depuis des décennies — en France, il fait même l’objet de valeurs tutélaires (voir le rapport Quinet1) — et nous savons, entre autres choses, que cette VoT est (i) particulièrement élevée lorsqu’il est question de trajets domicile-travail et (ii) directement fonction des revenus des personnes concernées : plus nos revenus sont élevés, plus nous valorisons notre temps.

C’est la raison pour laquelle, en l’absence de systèmes de transport en commun efficaces et à mesure que nos réseaux routiers urbains s’engorgent, les quartiers de nos villes situés à proximité des grandes zones d’emploi tendent à être préemptés par des ménages aux revenus importants. Non seulement leur VoT est élevée mais en plus, ils ont — par définition — les moyens de payer cher pour se loger à proximité de leur(s) emploi(s). Très clairement : pouvoir aller travailler à pied ou à vélo, de nos jours, est un véritable luxe que bien peu peuvent s’offrir.

Or, conséquence directe du NIMBY, l’offre de logements dans ces quartiers très demandés est extrêmement limitée — voire gelée — de telle sorte que les plus modestes d’entre nous, les jeunes et les moins diplômés, ne peuvent matériellement plus s’y loger. Ils n’ont d’autre choix que de s’éloigner ce qui implique des trajets domicile-travail de plus en plus longs et, d’un point de vue strictement financier, notamment quand l’usage de la voiture individuelle est la seule option disponible, de plus en plus coûteux.

C’est la raison pour laquelle, depuis quelques décennies, la recherche académique s’intéresse de très près à l’impact des coûts de trajet domicile-travail sur l’emploi des travailleurs les plus modestes. Deux chercheurs américains viennent de publier un article2 dans lequel ils cherchent à estimer dans quelle mesure les coûts de transport constituent un obstacle à l’emploi pour les américains faiblement diplômés — i.e. ayant au maximum un diplôme de lycée.

Pour ce faire, les auteurs construisent un modèle de recherche d’emploi qui intègre la valeur du temps et les coûts financiers liés aux trajets domicile-travail dans le processus de prise de décision des travailleurs. Après avoir ajusté le modèle sur des données du U.S. Census Bureau — englobant les revenus individuels, le niveau d’éducation, la situation face à l’emploi et les historiques déplacements pour les années 2013-19 — ils appliquent les paramètres estimés du modèle à une série de scénarios contrefactuels.

En particuliers, les auteurs analysent un scénario extrême dans lequel les coûts de transport seraient nuls, comme si chaque emploi pouvait être effectué en télétravail, et estiment une réduction du taux de chômage des travailleurs peu qualifiés comprise entre 2 points (pour les hommes blancs, soit de 5.7% à 3.7%) et 3.5 points (pour les hommes noirs, soit de 10% à 6.4%).

Les États-Unis ne sont pas la France — c’est un fait entendu — mais ces résultats ne sont pas sans évoquer une réalité du terrain à laquelle nous sommes confrontés tous les jours — nous évoquions, il y a peu, le cas des crèches bordelaises qui peinent à ouvrir faute d’auxiliaires de puériculture — et entrent en résonance avec le rapport du CESE3, publié en 2022, à propos des métiers en tension : le manque de logements abordables à proximité des zones d’emploi et de moyens de transport rapides et peu onéreux contribuent très largement à créer un effet de spatial mismatch (inadéquation spatiale) entre offre et demande d’emploi dont les premières victimes sont les plus modestes d’entre-nous.


Notes :

  1. Rapport de la mission présidée par Émile Quinet, L’évaluation socioéconomique des investissements publics, Commissariat général à la stratégie et à la prospective, septembre 2013.
  2. Scott Abrahams, James Mabli, Commuting barriers to low-wage employment, Regional Science and Urban Economics, Volume 104, janvier 2024
    https://doi.org/10.1016/j.regsciurbeco.2023.103970
  3. Avis du Conseil économique, social et environnemental, Métiers en tension, janvier 2022.

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