Les immeubles zakkyo

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4 min de lecture.  |  Publié le 31/10/24

@jaison333 | Unsplash.com

Les japonais ont verticalisé leurs rues commerçantes pour faire de la place aux maisons et soutenir leurs petites entreprises.

Cette photo a été prise à Kabukicho (Tokyo, arrondissement de Shinjuku), à 3 minutes à pied de la station Shinjuku1, le terminal de transport en commun le plus fréquenté du monde. Comme nombre de photos emblématiques de la capitale nippone, elle dépeint des cascades de panneaux publicitaires qui semblent couler le long des façades de bâtiments étroits. Ce sont des immeubles zakkyo (雑居), ce que l’on pourrait traduire par immeubles à usages divers, et ils forment sans doute la forme urbaine la plus photographiée de Tokyo même si la photo ci-dessous2 est bien plus représentative du paysage urbain local. Les immeubles zakkyo, en réalité, n’occupent qu’une surface très limitée de la capitale nippone et c’est justement une des particularités qui les rend intéressants.


Google Street View

En l’occurrence, ces deux photos ont été prises à 15 minutes de marche l’une de l’autre. Il est courant, dans cette mégapole de 38 millions d’habitants, d’habiter une maison individuelle ou un petit immeuble situé dans une ruelle calme tout en ayant la possibilité d’accéder à un quartier qui n’a pas grand chose à envier à Midtown Manhattan en quelques minutes de marche.

Cette particularité est due au fait que la capitale du Japon est le résultat d’une forme d’intensification stratégique : toute la ville est structurée par un réseau de transports en commun très efficient de telle sorte que les emplois, les commerces et les services, par effet d’agglomération, se concentrent dans les environs immédiats des stations, au cœur de quartier fonctionnellement mixte. Dans ce schéma, la spécificité des immeubles zakkyo est qu’ils permettent de créer de très fortes concentrations de surfaces de plancher disponibles pour les commerces et les bureaux et, ainsi, de libérer de l’espace au sol afin que les rues à dominante résidentielle, l’océan de maison, restent à distance de marche des stations.

Le propre d’un immeuble zakkyo, en effet, est de superposer les espaces dédiés à l’activité. Là où, dans la plupart des villes, les commerces tendent à n’occuper qu’un rez-de-chaussée, un même immeuble zakkyo peut accueillir, en fonction des étages (y compris en sous sol), des restaurants, une banque, un magasin de vêtements et, par exemple, une boîte de karaoké3. Certains d’entre eux disposent d’ascenseurs directement accessibles depuis la rue mais c’est surtout la règlementation très indulgente en matière d’enseignes qui permet à ces établissements de signaler leur présence aux passants et donc, de prospérer dans les étages.


Jorge Almazán | Organics Cities

Autre spécificité des immeubles zakkyo : ils abritent principalement des petites entreprises qui n’ont besoin que de peu d’espace et offrent une flexibilité d’utilisation remarquable, notamment en poussant à la verticale lorsque nécessaire. La planche ci-dessus, utilisée par Jorge Almazán lors du colloque Organic Cities de 20244, illustre l’évolution des bâtiments du côté nord de l’avenue Yasukuni — dont ceux de la photo utilisée en illustration de cet article5 — depuis 1951. Outre leur extension verticale, on observe que les bureaux ont cédé une large place aux restaurants et aux loisirs — notamment les boîtes de karaoké (en rose) qui occupent désormais des immeubles entiers6.

Ces rues commerçantes verticalisées offrent donc le double avantage d’occuper peu d’espace au sol tout en offrant une extraordinaire variété d’emplois et de petits commerces7, souvent indépendants mais toujours très bien situés : il sont accessibles à pied pour les habitants du quartier8, en transports en commun pour tous les autres tokyoïtes et, bien sûr, la proximité des stations leur assure d’être placés au cœur des zones les plus passantes de la capitale nippone.


Notes :

  1. Plus précisément : au croisement de l’avenue Yasukuni et de la central road de Kabuki (aussi connue sous le nom de Godzilla road à cause de la sculpture animée du monstre éponyme que vous apercevez à gauche du signe Hotel Gracery), vers ici.
  2. Prise à peu près ici.
  3. Un espace privé proposé à la location dans lequel ceux qui le souhaitent peuvent venir chanter en groupe. Au Japon, le chiffre d’affaires du karaoké aurait dépassé les 5 milliards d’euros.
  4. Jorge Almazán, Les modèles de micro-urbanisme spontané ou l’émergence de Tokyo, Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes (janvier 2024).
  5. La central road est la 2e rue, la plus large, en partant de la gauche.
  6. Elle n’est d’ailleurs plus à jour : les cafés qui occupaient les deux premiers étages de l’immeuble immédiatement à droite de la central road ont cédé leur place à un magasin Don Quijote — un duty-free ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 qui souligne bien la dimension désormais très touristique du quartier.
  7. à Shinjuku, par exemple, l’Office des statistiques du Japon compte plus de 2’600 établissements au km², toutes activités confondues.
  8. Omniprésents à Tokyo, les petits supermarchés comme FamilyMart (2’407 points de vente) et 7-Eleven (2’891) s’agglomèrent autour des stations pour se placer sur les trajets entre ces dernières et le domicile des habitants du quartier.

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