Les Etats-Unis connaissent actuellement une pénurie historique de logements, avec un déficit estimé entre 4 et 5,5 millions de logements. Cette pénurie a un impact dévastateur sur l’accessibilité et le coût du logement.
Le Harvard Joint Center for Housing Studies estime qu’environ un tiers des ménages américains, dont la moitié des locataires, consacrent plus de 30% de leurs revenus à leur logement. Dans le même temps, le prix de vente médian des logements est passé à 403’000 dollars, tandis que l’âge médian des acheteurs d’un premier logement atteint aujourd’hui le chiffre record de 38 ans, contre 28 ans seulement en 1981. Si plusieurs facteurs expliquent la pénurie actuelle, les experts s’accordent sur le fait que la prévalence du zonage restrictif est l’une des principales causes de cette crise.
En 1916, les villes de New York et de Berkeley ont adopté les premiers codes de zonage aux États-Unis, limitant la densité et l’occupation des bâtiments. Comme le décrit l’auteur Nolan Gray dans son livre Arbitrary Lines, ces codes ont été largement motivés par les propriétaires locaux qui ne souhaitaient pas voir arriver dans leurs quartiers une nouvelle offre commercial ou de nouvelles populations, notamment immigrées. Lorsque ce type de zonage s’est étendu à d’autres villes, il a rapidement été contesté en ce qu’il constituait une violation du droit de la propriété en vertu de la Constitution américaine.
Cependant, en 1926, la Cour suprême des États-Unis statue dans son arrêt Euclid v. Ambler Realty que les réglementations de zonage émises par les collectivités locales sont autorisées. Dans le texte de cette décision, l’intention discriminatoire du zonage est clairement établie. Dans l’arrêt, le juge de la Cour suprême, George Sutherland, qualifie même les logements collectifs de parasites
au regard des communautés locales.
À la suite de l’arrêt dit d’ Euclid
, la plupart des villes américaines adoptent, au milieu du XXème siècle, des codes de zonage restrictifs. Résultat : dans la plupart des grandes villes américaines, il est aujourd’hui illégal de construire autre chose qu’une grande maison pavillonnaire sur les ¾ des terrains constructibles. La production de logements est ainsi passée de 8 à 14 unités pour 1’000 habitants au milieu du XXème siècle à seulement 4 unités pour 1’000 habitants aujourd’hui.
En réponse à cette crise, un mouvement croissant en faveur de la réforme des codes de zonage restrictifs s’est développé dans tout le pays. Connu sous le nom de mouvement YIMBY (abréviation de Yes In My BackYard
), il a débuté au milieu des années 2010 dans la région de San Francisco sous la forme d’un petit groupe de bénévoles qui se présentaient pour soutenir des projets de logement présentés devant les auditions publiques. Au cours des dix dernières années, le mouvement s’est développé à l’échelle nationale et compte aujourd’hui des centaines de groupes dans presque toutes les grandes métropoles.
Deux grandes organisations nationales — YIMBY Action et Welcoming Neighbors Network — organisent des sections de bénévoles pour plaider en faveur d’une réforme du zonage dans tout le pays. Le mouvement comprend des membres de l’ensemble du spectre politique américain. Alors que les partisans de gauche luttent pour une réforme des réglementations de zonage dans l’optique de limiter les phénomènes de ségrégation socio-spatiale et de mettre fin à l’étalement urbain, les partisans de droite considèrent le mouvement YIMBY comme un moyen de défendre la propriété individuelle.
Le mouvement a déjà remporté des victoires importantes dans les États rouges comme dans les Etats bleus. L’année dernière, 65 projets de loi sur la réforme des réglementations de zonage ont été adoptés dans 20 États. Parmi les principales réalisations récentes au niveau local et au niveau de fédéral, on peut citer :
- En février 2025, la ville de Cambridge, Massachusetts a voté en faveur de l’autorisation de construire des immeubles de quatre étages dans toute la ville et de la suppression des restrictions de densité lié au coefficient d’occupation des sols.
- En 2024, le Colorado a adopté une loi (HB24-1313) exigeant les collectivités locales de modifier leur zonage pour accueillir davantage de logements à proximité des transports en commun.
- En décembre 2024, la ville de New York a adopté le plan
City of Yes
, la première mise à jour majeure de son code de zonage depuis 50 ans. Ces changements devraient permettre de débloquer environ 80’000 logements supplémentaires au cours des 15 prochaines années. - En 2023, le Montan (Etat républicains) a adopté une loi (SB 323) autorisant les duplex partout dans toutes les villes de plus de 5’000 habitants.
- Depuis 2016, la Californie a adopté une série de lois facilitant la construction des ADU (Accessory dwelling units) dans l’ensemble de l’État. Aujourd’hui, plus de 20’000 ADU sont autorisés chaque année, ce qui représente près d’un cinquième de la production annuelle de logements en Californie.
La conversation s’est également développée au niveau national. Un projet de loi bipartisan a été déposé au Congrès américain pour encourager la réforme du zonage. Dans la presse, deux livres qui ont récemment fait grand bruit, Abundance, des journalistes Ezra Klein et Derek Thompson et On the Housing Crisis, de la journaliste, Jerusalem Demsas de The Atlantic, ont tous deux souligné la nécessité d’une réforme du zonage. Le mouvement YIMBY semble donc avoir réussi à faire de ce sujet, un enjeu national, révélant l’urgence d’une réforme des règlements de zonage pour autoriser la production de nouveaux logements par une densification des tissus déjà bâtis. Et nous pouvons nous réjouir, ce celui-ci continue de se renforcer, de jour en jour.
Brian Goggin est promoteur de logements sociaux chez True Ground Housing Partners, en Virginie. Il est également membre de la Commonwealth Housing Coalition, un groupe YIMBY qui lutte pour une réforme du zonage en Virginie.