Franck Durand, architecte et secrétaire national de l’Union Nationale des Syndicats Français d’Architectes (UNSFA) revient sur les conséquences de la crise de l’immobilier, sur l’essor d’un discours anti-construction et sur les évolutions que connait le métier d’architecte dans ce contexte complexe et troublé. Confiant et résolument engagé en faveur de la pratique professionnelle, il apporte nuance et espoir à des débats qui parfois oublient des paramètres clés comme la géographie ou encore les réalités économiques des territoires et des habitants.
Pour commencer, pouvez-vous présenter l’UNSFA, quelles sont ses missions, ses prises de position ?
L’UNSFA est une union de syndicats territoriaux d’architectes. Il existe deux syndicats patronaux pour les architectes, l’UNSFA et le SA, le syndicat de l’architecture.
C’est un syndicat patronal, qui est aujourd’hui le syndicat majoritaire. La première de nos missions est donc de défendre les architectes. Il y a une distinction entre l’ordre des architectes qui, lui, défend l’architecture et les syndicats qui défendent les architectes. Nous avons donc des finalités qui peuvent parfois se rejoindre, mais des chemins et des moyens d’action qui sont tout à fait différents.
Comment est-ce que vos adhérents sont affectés par le contexte de crise du secteur du BTP et de l’immobilier, une crise qui risque d’être aggravée par l’ échéance électorale de 2026 ?
La période est effectivement compliquée. Cela ne date toutefois pas d’aujourd’hui, la crise s’installe depuis un an ou deux.
Il y a une succession de données qui font que la situation est difficile. Évidemment, l’instabilité gouvernementale qui joue sur l’activation ou non des projets qui sont portés par les collectivités de toute taille. Il y a également la crise du logement qui pèse depuis longtemps, et qui aura des impacts importants pour demain dans la mesure où les opérations de construction, ce sont de gros bateaux. A partir du moment où l’on décrète, ou que l’on vote de nouvelles mesures, nécessairement, il se passera un temps très long avant que ces dossiers-là atterrissent finalement dans nos agences.
En tant que regroupement de syndicats territoriaux, nous avons des signaux qui nous viennent de manière très fréquente depuis l’entièreté du territoire. Ils nous indiquent que ces difficultés touchent tous les types d’agences aujourd’hui, que ce soit de l’agence unipersonnelle ou de la grande agence. Nous avons des échos de plans de licenciement qui se préparent et à minima, quasi systématiquement, un frein sur le recrutement.
Le prévisionnel n’est pas terrible, nous sommes globalement inquiets. De toute façon, quand un acteur est touché, que ce soit dans la promotion ou le BTP, toute la chaîne est remise en question.
Avez-vous des données sur cette crise, une évaluation de l’impact en matière de revenu et d’emploi ?
C’est compliqué, nous aurons les chiffres d’ici quelques mois. Aujourd’hui, nous le sentons principalement du fait d’une ambiance très lourde. Tous les mois et demi, nous réunissons les Conseils Nationaux de l’UNSFA afin d’échanger avec tous les présidents de syndicats locaux sur les tendances, et sur l’ambiance de la profession. Il est clair que c’est plutôt moribond en ce moment.
En lien, ou en parallèle, de cette crise, nous voyons émerger
une position anti-construction neuve radicale, qui semble prendre de l’importance dans le débat médiatique et chez les professionnels eux-mêmes, notamment depuis la crise du COVID. Avez-vous l’impression que cette position trouve un écho particulier parmi les architectes ?
Pour l’UNSFA, c’est un sujet qui ne peut pas être binaire. Aujourd’hui, il y a, effectivement, plutôt une injonction à être, soit en faveur de la construction, soit en faveur de la réhabilitation. Comme si nous ne pouvions pas être pour les deux, alors que la question est bien plus complexe. D’abord parce que celle-ci, telle qu’elle est portée médiatiquement, n’est absolument pas territorialisée, alors qu’en réalité, sur certains territoires, construire n’a pas de sens dans la mesure où la démographie ne suit pas et que le déjà-là, en termes de quantité, est suffisant pour répondre aux besoins. A l’inverse, dans d’autres territoires, plutôt métropolitains, ou en tout cas, au sein des bassins de vie attractifs, la question est complètement différente. Là, effectivement, il y est nécessaire de construire.
Il ne s’agit donc pas de dire que les automatismes d’hier, de construction à tout vent, doivent être conservés. Il s’agit simplement de dire que ce discours-là doit s’adapter aux spécificités de chaque territoire.
De la même façon, les logements vacants existent effectivement mais, malheureusement, ils ne sont pas situés là où les besoins de logement sont importants. Du coup, pour être cohérent, il faudrait assumer que, pour combler les logements vacants, nous devrions tous aller y habiter gaiement, ce qui n’est pas du tout le cas.
Ensuite, sur un plan très factuel, nous ressentons au quotidien sur le terrain la prime électorale au discours anti-construction, notamment par les difficultés que nous rencontrons dans le cadre de l’instruction des autorisations de l’urbanisme, que ce soit les déclarations préalables ou les permis de construire. Certes cela est aussi lié au sous-effectif de certains services et à la compilation des réglementations, mais il est indéniable que depuis quelque temps, tout se ralentit. Certaines mairies, aujourd’hui, n’ont absolument pas peur de dire je suis un maire non-bâtisseur
, et c’est très bien.
Nous ne sommes pas pour la mise en opposition de la construction et de la réhabilitation. Les deux sont complémentaires, parfois valables dans un territoire mais pas dans un autre. Au quotidien, nos consœurs et confrères font un peu de construction, un peu de réhabilitation, ils n’ont pas attendu qu’on en parle pour en faire. Pour nous, il s’agit d’apporter de la nuance à ce propos-là.
Il faut toutefois reconnaître qu’il y a un delta entre, je dirais, la force de frappe médiatique de cette injonction à la non-construction et la réalité du terrain. Et malheureusement, nous observons que c’est là où, en réalité, on a le moins besoin de construire, que les postures sont plutôt allantes sur le sujet, notamment dans un souci d’attractivité. A l’inverse, il y a un mécanisme de repli dans les endroits où, pourtant, la demande est la plus forte.
Avez-vous l’impression que cette posture anti-construction est aujourd’hui un verrou pour les architectes ?
Nous restons des architectes, donc d’une certaine façon, nous ne faisons pas de politique. Nous sommes toutefois tributaires de la politique menée et de l’opinion publique. Parfois, nous pouvons pousser par nos compétences à faire comprendre certaines choses, mais il n’est pas possible de faire reposer sur nos épaules une responsabilité qui, à l’arrivée, est quand même davantage politique qu’ architecturale. Notre rôle est d’apporter de la nuance et de s’accrocher aux réalités des territoires.
Je dis territoire, mais en réalité, les disparités peuvent être ne serait-ce qu’à quelques kilomètres sur une commune qui est attractive et qui a un bassin de vie et d’emploi assez important, et donc des besoins en logement. Il faut donc surtout faire attention aux anathèmes qui, effectivement, habitent notre société.
D’une certaine façon, sur l’aspect environnemental, c’est assez séduisant de se ranger de ce côté-là, en se disant effectivement, que construire, c’est mauvais pour l’environnement. Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut réduire notre empreinte carbone. Mais adopter cette posture-là de manière radicale, c’est plus facile que de dire qu’il y a des endroits où il faut construire parce qu’il y a des gens qui ont besoin de logement. Et en réalité, ces personnes-là qui cherchent à se loger, elles sont complètement écartées du débat. Comme si ce n’était pas le sujet alors qu’en réalité, c’est le sujet.
Pensez-vous que les objets totémiques du débat actuels que sont le BRS, le logement vacant ou la rénovation, sont instrumentalisés par les tenants de la cause anti-construction ?
Je ne pense pas que tout cela fasse partie d’un projet clairement établi. Je pense simplement que tout le monde est rentré un peu dans ces discours simplistes sur la non construction car, intellectuellement, c’est plus confortable d’être dans cette position-là. C’est plus évident, car cela permet aussi d’une certaine façon de justifier l’inaction. Cela permet de justifier les difficultés que l’on a aujourd’hui à construire finalement.
Concernant la rénovation, évidemment qu’il est nécessaire pour les professionnels, de s’y porter massivement, c’est un véritable sujet d’avenir. Mais il faut aussi continuer à construire. Prenons l’Aisne où je travaille, clairement construire à tout va n’aurait pas de sens. Il y a déjà un patrimoine vacant important à rénover. Mais dans d’autres territoires, je pense à Bordeaux notamment, les besoins sont là.
Avez-vous l’impression que cette crise que rencontre la profession pourrait être l’opportunité d’inventer une architecture un peu plus populaire, l’opportunité aussi de réinventer le métier et ses compétences ? Pensez-vous que l’obligation de recours à l’architecte soit toujours le bon outil pour cela aujourd’hui ?
Nous remettons en question sans cesse notre profession et les compétences nouvelles que l’on doit acquérir pour répondre aux attentes de la société actuelle, qui ne sont pas les mêmes qu’il y a 10 ans, 20 ans, 30 ans.
On se forme de manière fréquente sur des nouvelles compétences, que ce soit la mise en œuvre des matériaux biosourcés, mais aussi la conception bioclimatique, ou sur des compétences techniques comme le réemploi.
Nous le faisons de manière régulière, et cela depuis très longtemps. Nous ne sommes pas une profession attentiste et campée sur ses positions d’hier.
Ensuite, nous pensons que l’architecte, effectivement, a un rôle majeur à jouer dans la transformation de la société, sur le plan urbain, sur le plan architectural et sur le plan social aussi. Pour répondre à votre question sur l’obligation de recours à l’architecte, pour nous, c’est indispensable. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire à un médecin qu’on n’a plus besoin de son ordonnance pour choisir ses médicaments.
Nos compétences, notre formation initiale et nos formations continues sont essentielles à la construction de l’architecture du pays, réhabilitation comme construction. Cela ne doit pas changer. Le fait d’avoir recours à l’architecte n’est pas un frein à la conception et à la construction des projets. C’est plutôt une idée reçue bien ancrée, mais qui n’a pas lieu d’être.
D’autant qu’en réalité, l’architecte n’intervient pas du tout sur toutes les opérations qui se font en France. Il y a un seuil, ce seuil n’est pas toujours dépassé. De très nombreux projets de construction, rénovation et extension se font déjà sans architecte.
L’UNSFA n’est pas du tout favorable à la remise en cause de cette obligation, au contraire, il faut la préserver, la conserver, voire la faire évoluer. Mais ce n’est clairement pas la cause des maux de notre société.
Pourquoi est-ce qu’il existe un débat autour de ce sujet ? Qui porte cette position de l’évolution de cette obligation de recours à l’architecte ?
Dans la profession, il n’y a pas vraiment de débat. Ce que nous portons, aux côtés de l’ordre aussi d’ailleurs, c’est, au contraire, plutôt la valorisation de notre profession.
En face de nous, qui il y a ? C’est une bonne question. Je crois que c’est un peu un chiffon qu’on agite. C’est un faux problème. C’est une vraie nécessité pour nous, mais c’est un faux problème pour les autres.
L’architecte n’empêche pas la ville de se refaire sur elle-même, ou de se refaire avec un peu de surprise, de spontanéité. Je sais que vous défendez beaucoup le concept de ville organique. L’architecte n’est pas un frein sur ce plan-là, bien au contraire. Il y a peut être une nécessité à concerter davantage avec un panel d’acteurs un peu plus important. Nous parlons de maîtrise d’usage aujourd’hui, et il est vrai que nous intégrons maintenant beaucoup plus la question des usages dans nos opérations. Nous ne sommes pas des ayatollahs du produit fini et de l’architecture avant les usagers. Nous cherchons simplement à valoriser notre métier et d’une certaine façon, il est certain que le discours ambiant et l’injonction à la non-construction nous pénalise et nous affecte un peu.
C’est pour cela, qu’il est étonnant de voir des architectes eux-mêmes relayer ce discours…
L’architecte est formé à toutes les typologies de l’acte de bâtir, que ce soit la construction, la réhabilitation, l’extension, la rénovation, ou la requalification. Je ne saurais pas dire à quel moment exactement le tournant a été pris, mais effectivement, il l’a été. Je ne sais pas non plus s’il vient initialement des architectes, je ne le pense pas. A l’UNSFA, nous alertons sur les conséquences potentielles d’un tel discours. Car bien sûr, il faut construire différemment, mais il faut toujours construire. Nous sommes tous raccords sur la nécessité d’avoir une construction plus vertueuse, de réduire notre empreinte carbone, de participer à notre niveau, à l’effort collectif, mais pour autant, il ne faut pas nier les réalités du terrain et des gens qui cherchent à se loger.
Il y a aussi probablement une certaine forme d’envie de séduire une nouvelle génération qui, à raison, porte en elle des préoccupations environnementales plus fortes.
Après, je pense aussi que dans la pratique, il faut distinguer ce qui est de l’ordre de la construction neuve de logement et de la construction neuve d’équipement. D’une certaine façon, c’est plus acceptable de construire un équipement neuf que de construire des logements neufs. C’est aussi lié à des problématiques budgétaires, nous sommes plus ceintures et bretelles sur les projets de logement. Certaines agences vont vous dire réhabilitation partout, non-construction partout
, mais en même temps, elles vont construire une école, un gymnase ou un autre équipement.
Vous évoquez la plus jeune génération. Comment est-ce que vous percevez l’arrivée sur le marché des nouvelles générations dans un contexte de crise, faisant donc face à des réalités budgétaires hyper strictes, alors qu’elles ont eu une formation très centrée sur les nouveaux usages et modes de construction alternatifs ? Est-ce que cela n’est pas déceptif ?
Cette nouvelle génération qui arrive avec de fortes valeurs d’écologie et qui veut faire autrement, différemment qu’hier, est, selon moi, pleine de promesses.
Ce n’est pas évident aujourd’hui de rentrer dans le monde du travail en tant qu’architecte parce qu’effectivement, parfois on a l’impression de ne pas réussir à être en phase avec ses convictions, pour tout un tas de raisons.
C’est à nous de les écouter, de comprendre leurs aspirations et de créer les conditions pour qu’elle puisse exercer leur métier, que cela soit en conception ou en réalisation, en phase avec ses valeurs. Nous devons leur permettre de rester des professionnels de l’acte de bâtir, c’est-à-dire continuer à être présent sur toutes les phases d’un projet tout en étant en plein accord avec leurs valeurs.
Parfois nous voyons des jeunes qui sont remplis d’engagement et d’envie mais qui se déportent un peu du métier d’architecte dans son expression pleine et entière parce qu’ils ont l’impression de ne pas pouvoir faire ce qu’ils ont au fond d’eux-mêmes. C’est pour cela que nous nous battons.
Savez-vous pourquoi ce sujet de la conception bioclimatique et des matériaux est devenu une des préoccupations majeures de la jeune génération, presque plus que les enjeux sociaux ou d’usage ?
Je pense que d’une certaine façon, nous restons des architectes. Et donc, nécessairement, c’est quand même plus facile pour nous de s’appuyer sur des éléments assez concrets, que sont les matériaux, les techniques constructives, la structure, etc. que, je dirais, le prisme social. Nous sommes quand même plutôt formés à cela. Nous prenons aussi toutefois à bras le corps la question sociale. Les démarches de concertation connaissent un certain essor aujourd’hui. Travailler avec un conseil syndical, cela ne s’appelle pas concertation
, mais c’est de la concertation. Par notre formation, nous sommes d’ailleurs les acteurs les plus à même d’embrasser cette partie là dans la construction d’un projet.
Concernant les matériaux biosourcés, je pense que le discours prédominant sur ce sujet est une bonne chose. Ce qui nous intéresse à l’UNSFA c’est d’obtenir les bonnes conditions pour mettre cela en œuvre. Que cela soit en termes de rémunération, de reconnaissance ou de valorisation, il est nécessaire que nous obtenions des conditions de travail satisfaisantes pour avancer ces nouvelles pratiques, sinon tout ce discours ne sert à rien.
Avez-vous un mot de conclusion ?
Les combats qui sont menés et les projections sur le devenir de notre métier doivent embarquer tous les architectes, les petites agences comme les plus grosses, les anciennes et les nouvelles générations.
Tout le monde doit monter dans le bateau et les discours qui tendent à être radicaux, comme c’est le cas pour la non-construction, excluent toujours des gens de l’aventure. Et ce n’est pas le but du jeu.
Nous cherchons à porter un projet pour la profession qui embarque avec lui l’entièreté des architectes. Ne pas exclure, mais rassembler.
Un jeune architecte qui s’implique bénévolement dans l’UNSFA, syndicats d’architectes-employeurs pour faire évoluer nos métiers, les defendre et les représenter.
Il donne une vision intéressante et réaliste du métier de l’architecte de ses contraintes, engagements et contradictions sur la diversité des territoires français .
Mais, l’essentiel est dit la Ville a un médecin, un chef d’orchestre qui a été, qui est et qui sera toujours l’architecte