La migration de l’Heptacodium

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5 min de lecture.  |  Publié le 16/12/2024 sur | Mis à jour le 15/01/25

Source : Suzanne Mrozak | arboretum.harvard.edu

Si l’une des plus anciennes migrations à grand impact bénéfique concerne l’arbousier (arbutus unedo), celle de l’heptacodion de Chine (Heptacodium miconioides, Seven Son Flower en anglais)1, réalisée en 1980, est vraisemblablement l’une des plus récentes.

Elle résulte d’un remarquable travail international de botanistes et d’horticulteurs et tient d’un quasi miracle.

Cet arbrisseau de la famille du chèvrefeuille, de 4 à 8 mètres de haut, souvent à troncs multiples, avec ses feuilles en corne de gazelle (fig. n°1), sa jolie écorce, sa floraison prolongée (fig. n°2) suivie d’une fructification particulièrement décorative (fig. n°3) a été découvert en 1907 par le chasseur de plantes britannique Ernest Henry Wilson2 qui travaillait pour le compte de l’Arnold Arboretum de l’Université d’Harvard (Boston, Massachusetts, États-Unis). Wilson l’a trouvé poussant sur les falaises des montagnes du comté de Xingshan, dans la province du Hubei, au centre de la Chine (fig. n°4).

Il était déjà considéré comme rare à cette époque et l’espèce, qui n’avait plus été observée ensuite, était considérée comme perdue. Il faudra attendre plus de 70 ans pour que l’heptacodion soit redécouvert. En 1980, Stephen Spongberg3, taxonomiste de l’Arnold Arboretum de l’université de Harvard, était l’un des cinq botanistes américains invités à participer à une expédition de recherche collaborative dans la province occidentale du Hubei. Après avoir passé trois mois sur le terrain aux côtés de botanistes de l’Académie chinoise des sciences, les chercheurs ont visité le jardin botanique de Hangzhou, dans la province du Zhejiang… et c’est dans ses collections que les chercheurs ont retrouvé l’heptacodion !

Les graines récoltées au jardin botanique de Hangzhou ont été mises en culture aux États-unis et plus tard en Europe. Parallèlement, les botanistes chinois découvrirent de rares spots isolés en milieu naturel où sa survie est en jeu, entre activités humaines et changement climatique. La dernière fois qu’il a été étudié dans la nature, en 2005, il ne restait que neuf populations, toutes fortement menacées par la perte de leur habitat3. Les botanistes chinois mirent également en place des collections et des campagnes de replantations (l’espèce bénéficie désormais d’une protection nationale en Chine4) … Sa survie y est maintenant assurée grâce à cette migration — conservation5.

Sa mise en culture a permis de découvrir sa capacité d’adaptation à diverses contraintes (froid et sécheresse, tous sols sauf mouillés) et son étonnante floraison blanche longue tardive (septembre) parfumée suivie d’une superbe coloration rouge de ses sépales… des caractéristiques idéales pour un bel avenir horticole6.

Enfin, on se rend compte de la richesse de sa floraison pour quantité d’insectes7 (pollinisateurs et autres) (fig. n°5) qui se pressent pour récolter pollen et nectar, et en faire notamment des réserves corporelles pour passer au mieux la saison hivernale. Pour les insectes et pollinisateurs, voilà une espèce bien placée pour être classée A au nutri-score !

Facile à intégrer comme arbuste ou arbrisseau dans tous types d’aménagements urbains (fig. n°6) ou champêtres, ses ressources complètent idéalement celles du lierre. Son attractivité est spectaculaire, à tel point que nos voisins anglais le baptiseraient volontiers arbre à bourdons. A vrai dire un nom plus vendeur !

Il préfigure les migrations végétales du futur basées sur la sélection de critères floraux utiles pour la biodiversité en période de changement climatique, et le rôle futur de nos conservatoires et arboretums appelés à faciliter la transition de nos paysages. La richesse des flores tempérées du monde (disons, là où pousse la vigne) augure bien de la réussite des missions botaniques qu’il faut vite reprendre avec ce nouveau regard.


Figure n°1 : Heptacodium miconioides Rehder: Caprifoliaceae. Source : Curtis’s Botanical Magazine1

Figure n°2 : La floraison de l’heptacodion, généreuse, spectaculaire et parfumée se prolonge de l’été au début de l’automne. Source : Ptelea | commons.wikimedia.org

Figure n°3 : La floraison est suivie (et parfois concomitante) d’une fructification très décorative, semblable à une seconde floraison, avec les sépales restant après la chute des fleurs qui se teintent de pourpre. Source : John Hagstrom | flickr.com

Figure n°4 : Paysage des montagnes du comté de Xingshan, province du Hubei d’où est originaire l’heptacodion (vallée de la rivière Xiangping, entre Nanyang et le village de Xiangping).
source : Vmenkov | commons.wikimedia.org

Figure n°5 : Heptacodium miconoides est une ressource pour de nombreuses espèces d’insectes et pas uniquement pour son nectar et son pollen de qualité : ici une abeille sauvage (Megachiles sp.)8 qui découpe dans le feuillage des pièces pour tapisser son nid. Source : Joost Hageman | flickr.com

Figure n°6 : Heptacodium miconoides est un arbrisseau versatile qui s’adapte à tout type de sols (sauf gorgé d’eau) et d’exposition et résiste aux chaleurs et à la sécheresse comme à des températures négatives jusqu’à -20°C. Il peut devenir volumineux mais supporte très bien la taille pour adapter son gabarit aux espaces restreints. Source : Bryan Adams | flickr.com

Notes :

  1. Curtis’s Botanical Magazine : PLANT PORTRAIT 1057. Heptacodium miconioides Rehder: Caprifoliaceae Maarten J. M. Christenhusz, Sahr Mian, Deborah Lambkin First published: 13 March 2023
    https://doi.org/10.1111/curt.12495
    Pour une autre description illustrer, voir également : https://arboretum.harvard.edu/plant-bios/seven-son-flower/ et https://www.dendrology.org/publications/tree-of-the-year/heptacodium-miconioides-2012/
  2. Un portrait : Ernest Henry Wilson and the Trees of New England
  3. Remembering Stephen Spongberg
  4. Lu, H.-P., Cai, Y.-W., Chen, X.-Y., Zhang, X., Gu, Y.-J. & Zhang, G.-F. (2006) High RAPD but no cpDNA sequence variation in the endemic and endangered plant, Heptacodium miconioides Rehd.(Caprifoliaceae). Genetica, 128(1), 409–417. https://doi.org/10.1007/s10709-006-7542-x
  5. Qin, H., Yang, Y., Dong, S., He, Q., Jia, Y., Zhao, L. et al. (2017) A list of threatened species of higher plants in China. Biodiversity, 25, 697–744.
  6. Li, Le, Minxia Liu, Lanxiang Ji, and Fei Wang. 2024. « Regional Analysis of the Potential Distribution of Heptacodium miconioides and Its Competitor Species in China » Sustainability 16, no. 2: 752. https://doi.org/10.3390/su16020752
  7. Seven-Son Flower from Zhejiang: Introducing the Versatile Ornamental Shrub Heptacodium jasminoides Airy Shaw, Gary L. Koller on Nov 15, 1986
  8. Na, S., Ji-Min Park and Young-ki Kim. 2024 « Selection of Urban Trees to Enhance Pollinator Food Resources: Comprehensive Consideration of Various Factors for Productivity Comparison » Preprints.
    https://doi.org/10.20944/preprints202409.0153.v1
  9. A propos des abeilles coupeuses de feuilles (Megachiles sp.)