Le rôle de la filière courte dans la production de logements

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6 min de lecture.  |  Publié le 10/11/23

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En mai 2020, je donnais une conférence pour mettre en lumière les avantages de la filière courte dans la production de logements abordables et présentais le fruit des recherches menées par les équipes de Villes Vivantes.

Qu’est-ce que la filière courte de production de logements abordables ? Comment se différencie-t-elle des autres filières de production de logements ? Pourquoi n’est-elle pas plus répandue dans les territoires tendus ?

Filière longue versus filière courte : moins une question de forme architecturale que de mode opératoire ?

Avant toute chose, il convient de définir ces deux types de filières. La filière longue se caractérise par une granularité importante de projets : un seul acteur (le promoteur) produit, en une opération, un grand nombre de logements — par exemple : 50 — et se charge de les commercialiser.

Par opposition, en filière courte (ou filière diffuse), la production de 50 logements implique 50 projets portés par 50 acteurs différents : c’est le mode de construction utilisé pour construire les échoppes bordelaises, par exemple.

Les échelles des deux types de filières ne sont pas les mêmes : plus l’échelle est grande, plus la filière fait intervenir d’acteurs, plus il y a de complexité et plus la filière est dite longue.

On pourrait penser que ces filières correspondent à un type de logements — maison individuelle pour la filière courte et appartements pour la filière longue — mais ce n’est pas le cas : des formes qui se rapprochent de la maison individuelle peuvent aussi bien être construites en filière courte (c’est le cas de l’échoppe bordelaise évoquée plus haut) qu’en filière plus longue (pour un lotissement de maisons, par exemple).

Production de logements : les différentes typologies de filières

Schématiquement, on peux classer les scénarios de filières en quatre ensembles, du plus court au plus long :

  • Filière courte, l’autopromotion en diffus : un projet correspond à un logement ; le propriétaire est l’auto-maître d’ouvrage de son logement, il y a peu d’intermédiaires entre le foncier initial et le logement fini.
  • Filière courte, l’autopromotion en lotissement : l’aménageur achète, divise et vend les lots un par un à des propriétaires maîtres d’ouvrage qui vont ensuite faire construire leur logement.
  • Filière longue, la promotion immobilière en diffus : un promoteur achète un terrain, le viabilise, fait construire puis s’occupe de la commercialisation, élabore un plan de financement et dégage une marge.
  • Filière longue, la promotion immobilière en opération d’aménagement : on combine l’aménagement du foncier et la promotion des logements.

Les filières courtes sont donc celles du terrain à bâtir, de l’auto-promotion, tandis que les filières longues sont celles de la promotion immobilière.

À chaque filière, ses coûts respectifs… et ses territoires de prédilection ?

Chez Villes Vivantes, nous nous sommes intéressés de près à cette question : le type de filière influe-t-il sur le prix de sortie du logement ? Dans quelle mesure des économies d’échelles s’appliquent-elles en filière longue ?

Nous travaillons sur une diversité de territoires à l’échelle nationale :

  • Les territoires métropolitains, où les prix du logement sont tendus ;
  • Les territoires dynamiques, où les prix restent abordables ;
  • Les territoires à revitaliser : principalement des villes moyennes, où les prix sont détendus ;
  • Les territoires ruraux, caractérisés par un marché immobilier détendu.

L’expérience démontre qu’en matière de production de logements, on ne retrouve la filière longue que sur les territoires métropolitains, alors que la filière courte est utilisée majoritairement sur les trois autres types de territoires. Partant de ce constat, nous nous sommes demandé pourquoi la filière longue ne paraissait pas adaptée aux territoires sur lesquels le marché immobilier n’était pas tendu.

Économies d’échelle en filière longue : quels sont ses ennemis ?

Trois types de difficultés viennent entraver les économies d’échelle requises en filière longue :

  • Synchronisation — livrer 50 logements d’un seul coup demande une solide organisation et entraîne des coûts organisationnels — coordonner différents corps de métier, qui doivent nécessairement intervenir sur un chantier dans un ordre précis, a un coût qui est loin d’être négligeable ;
  • Centralisation — et ce, d’autant plus que la promotion repose par nature sur une délégation importante des tâches à accomplir — généralement à des entreprises tierces — ce qui implique un effort de coordination d’autant plus complexe que le projet est important ;
  • Rémunération du risque — le métier de promoteur consiste à financer des projets de grande ampleur, largement financés à crédit et dont seule une fraction a été vendue avant le début des travaux — c’est un métier risqué qui ne peut exister que si le porteur du risque est rémunéré.

Comment ces notions se transposent-elles à l’économie de la production de logements ? Pour quelles raisons la filière longue n’est-elle pas compatible avec la production de logements en territoires détendus ?

Dans la ville de Gaillac par exemple, où les équipes de Villes Vivantes ont travaillé, l’autopromotion en diffus et l’autopromotion en lotissement sont largement majoritaires. Pourquoi recourt-on systématiquement à la production de logements en filière courte sur ce type de territoires ?

Filière courte : des prix de sortie plus bas, une diversité de besoins adressés plus importante

À La Rochelle, territoire relativement tendu où le prix du mètre carré avoisine les 3’000 €, les filières courte et longue de production du logement cohabitent. En réalisant une étude sur les prix médians des logements produits par chaque type de filière, les équipes de Villes Vivantes ont observé une importante disparité de prix au mètre carré :

  • 2’500 €/m2 pour la filière courte comme pour l’autopromotion en lotissement ;
  • 3’000 €/m2 pour la promotion immobilière (maisons groupées) ;
  • 3’440 €/m2 pour la petite promotion d’appartements ;
  • 4’000 €/m2 pour la grosse promotion d’appartements.

Les écarts de prix de sortie des logements sont donc importants entre les différentes filières. Si on considère qu’un logement abordable sur le territoire rochelais est un logement dont le prix au mètre carré est de 2’500 €, alors force est de constater que, sur ce territoire, seul un logement sur 5 est abordable — et ils sont tous produits en filière courte.

En matière de diversité de besoins, la filière diffuse produit des logements avec une diversité de surface et de prix plus importante que la filière de l’autopromotion en lotissement. C’est notamment le cas à Pau, où Villes Vivantes a réalisé une étude : la diversité de l’offre augmente dans la filière diffuse parce qu’elle s’adapte mieux aux différents besoins et contraintes individuelles que l’autopromotion en lotissement.

Pourquoi la filière courte n’est-elle pas davantage développée ?

En réalisant une étude pour Grenoble Métropole, nous nous sommes aperçus que 12% des logements produits chaque année entre 2012 et 2016 étaient des logements abordables, soit 270 logements par an. Un tiers de ces logements abordables étaient réalisés en filière diffuse, un tiers en filière longue avec des dispositifs publics de promotion encadrée (des dispositifs d’aides type PSLA) et un dernier tiers en filière longue sans dispositifs d’aide publique.

Globalement, dans le cas de Grenoble Métropole, l’ensemble des ressources publiques étaient exclusivement consacrées à soutenir la filière longue. Et cet exemple grenoblois n’est pas isolé.

Pour quelles raisons les collectivités ne sont-elles pas enclines à soutenir la production de logements abordables en filière courte ? C’est encore une question de coûts, administratifs cette fois : il est évidemment beaucoup plus simple de prévoir, planifier et autoriser la construction d’un lotissement de 50 logements que de faire la même chose sur 50 projets qui résultent d’initiatives individuelles. Mais difficile ne veut pas dire impossible : on peut (et on doit) sécuriser la production de logements abordables en filière courte.

C’est précisément la mission que nous nous sommes donnés chez Villes Vivantes depuis 2013 : tirer tout le potentiel de la filière courte sur les territoires pour produire des logements abordables et réussir à fiabiliser la production de logements dans le temps. À Périgueux par exemple, nous nous sommes engagés pour la réalisation de 150 logements en 30 mois dans une ville où la production de logements abordables en filière courte n’existait pas.