Le PLU est la règle du jeu. Mais sans joueurs, pas de ville

Décryptages
Publié le 04/04/25
Mis à jour le 07/04/25
14min de lecture
Le PLU est la règle du jeu. Mais sans joueurs, pas de ville
Lily Munson

Paris, France

Depuis 2020, Charles-Antoine Depardon a joué un rôle clé dans les questions foncières, immobilières et d’urbanisme réglementaire. Il a été le chef d’orchestre de l’élaboration du Plan Local d’Urbanisme bioclimatique de la capitale et revient, avec nous, sur ses principaux objectifs.

Vous avez porté, pour les adjoints à l’urbanisme et à l’architecture de la Ville de Paris, la rédaction du premier PLU bioclimatique de France. Où en est ce travail ? Quels en ont été les principaux enjeux ?

Cela a été un travail au long cours qui a commencé en juillet 2020 et qui s’est achevé en novembre 2024, soit 4 ans de boulot. On ne le dit pas assez, mais cela a mobilisé 150 équivalents temps plein, des équipes de l’APUR, des services de la Ville de Paris, des AMO … qui ont réalisé 5 phases de concertation et 82 réunions publiques. Cela a donné lieu à un document de 1’600 pages qui établit un diagnostic assez clair de ce que Paris était en train de devenir, permettant de mettre d’accord une majorité plurielle.

La majorité municipale a connu d’importants clivages quant à la question de l’urbanisme et la trajectoire pour Paris d’ici 2050. Mais le diagnostic et les solutions ont été partagées, nous avons obtenu un vote d’approbation unanime en novembre 2024. C’est un réel soulagement quand on porte un projet comme celui-ci. Ce texte a réussi à faire consensus, d’ailleurs même au-delà de la majorité, et il porte, je crois, de nombreuses innovations très intéressantes pour le futur de la ville.

C’était une grande responsabilité pour les élus, le PLU parisien va définir l’industrie immobilière à Paris pour les 20-30 prochaines années. Il faut rappeler que du point de vue de la souveraineté d’une collectivité, il n’y a pas beaucoup de pouvoir aussi fort que celui du permis de construire. D’ailleurs c’est presque une anomalie. Quand on regarde à l’échelle de l’Europe ou de l’OCDE, cela semble étonnant que les 35’000 maires français donnent leur avis sur ce qui se construit sur leur territoire. Ces derniers sont légitimes, bien sûr de par la loi française, mais sont quand même parfois un peu démunis au vu de l’importance de l’industrie immobilière : c’est 20% du PIB français et le choix est dans leurs mains.

Quels ont été les grands objectifs de ce PLU bioclimatique ? Quels étaient les défis à relever dans une ville déjà aussi bâtie que Paris ?

Le PLU est un outil important pour un élu, parce qu’il a des conséquences visibles et réelles. Est-ce qu’il est possible de construire ici ou non Municipales 2026 : vers une pénurie de logement volontaire, assumée et décomplexée Municipales 2026 : vers une pénurie de logement volontaire, assumée et décomplexée  ? Le champ du voisin peut-il être transformé ou non ? Cela suscite donc beaucoup de fantasmes. Sur le papier, le PLU peut apparaitre tout puissant. Et puis, il y a la réalité du code de l’urbanisme ainsi que d’autres principes fondamentaux du droit français, comme la propriété privée, qui entrent en conflit avec les règles d’urbanisme. Je dirais donc qu’un PLU, c’est un colosse aux pieds d’argile. Il porte énormément d’ambition mais ensuite, dans la réalité des faits, il nécessite une grande prudence.

Cela a été un travail considérable de bien comprendre ce que peut faire ou ne pas faire un PLU. Surtout dans une ville comme Paris, où nous avons été habitués à l’urbanisme à la Haussmann, au démiurge. Pour certains le PLU c’était le nouveau plan Haussmann :  je rase ces îlots, je fais des parcs ici . Mais le PLU c’est autre chose : c’est autoriser, activer un potentiel, une transformation qui sera menée par d’autres acteurs aux logiques principalement économiques.

Venons-en aux objectifs. Le premier, évident, d’ailleurs, celui qui a donné son nom au PLU, c’est l’enjeu bioclimatique. Faire mieux avec moins et surtout, répondre à l’urgence climatique qui est devant nous. Il faut se dire qu’en 2050, Paris aura le même climat que Séville Du nord au sud de l’Espagne : quand la morphologie des cours intérieures s’adapte au climat pour faire baisser la température en ville Du nord au sud de l’Espagne : quand la morphologie des cours intérieures s’adapte au climat pour faire baisser la température en ville en Espagne. C’est une ville très différente de ce que nous connaissons. Les murs y sont blancs, les bâtiments soient plus hauts par rapport aux tailles des rues pour y apporter de l’ombre, le tissus urbain y est beaucoup plus végétalisés. Dans les années à venir Paris va connaître des périodes caniculaires beaucoup plus importantes, des températures moyennes beaucoup plus fortes, et surtout devenir une ville plus sèche. Il pleuvra moins, mais quand il pleuvra, il pleuvra beaucoup plus fort, avec des risques de crues renforcés … Pour répondre à cet enjeu, selon les experts, l’alpha et l’oméga reste la pleine terre, le sol. C’est un consensus. Il n’y a pas vraiment de débat sur le sujet. Il faut de la pleine terre à Paris. Alors comment fait-on ?

Nous avons commencé par regarder avec l’APUR ce qu’avait produit 17’000 autorisations d’urbanisme passées. Dans 100% des cas où nous constatons la création de surface de pleine terre supplémentaire, cela fait partie d’un projet de création de surface de bureaux ou de logements.

On voit bien alors que le PLU est la règle du jeu, non pas des projets de la Ville de Paris, mais bien des projets de ses habitants et acteurs. Donc, si personne ne veut prendre part à ce jeu, il n’y aura tout simplement aucun projet. Avant même la pleine terre, nous pourrions donc dire que l’objectif du PLU parisien est de donner aux gens l’envie de transformer la ville. Il faut que les Parisiens aient un intérêt à agir pour transformer la ville, sinon elle ne se transformera pas.

Un bon PLU doit réussir à faire ce que l’homo economicus qui est derrière chaque projet participe aux grands objectifs de la ville. Prenez le président de copropriété qui a engagé une étude à 15’000 euros avec un architecte, à qui on explique que finalement ce n’est pas possible, ou qu’il faut recommencer les études car on a mal lu les règles : il n’impulsera plus jamais de projet de rénovation.

Le second objectif concerne la question démographique. Paris est une ville qui connait une baisse constante de sa population depuis le début du siècle dernier. Il y a des effets conjoncturels dont certains assez inquiétants. Deux en particulier nous occupent :

  • Le premier étant la moins bonne utilisation du parc de logement, ou l’importance du logement dit inoccupé. Ce qui est surtout dû à une explosion des résidences secondaires.
  • Le second étant la moins bonne occupation des logements, le fait qu’il y ait moins de personnes par logement à Paris. Le seul fait de décohabiter, du fait qu’on a besoin de deux logements pour la même famille, cela représente un grand nombre de logements supplémentaires à produire.

On entend dire que les Parisiens quittent Paris. Mais non, les Parisiens rêvent de vivre à Paris. Il y a 180’000 nouveaux Parisiens chaque année. Il y a donc encore énormément de gens qui cherchent à s’y installer mais qui n’y parviennent pas faute de logement. Cette question démographique est centrale pour la définition des objectifs du PLU. Et son sous-jacent, c’est la question de la densité. Sommes-nous trop nombreux à Paris ? Est-ce qu’on n’y respire plus ? Est-ce qu’on n’y arrive pas ? La réalité, c’est que la densité baisse. Et si on ne fait rien, elle continuera à baisser. Il ne faut pas oublier que la densité parisienne Dense densité Dense densité , c’est aussi ce qui créé la chalandise des commerces de proximité, la diversité et l’abondance des liens sociaux et culturels, c’est donc aussi la force de la ville.

Un autre objectif du PLU : l’atteinte de la neutralité carbone est liée à la question de la densité. Si nous souhaitons viser la neutralité carbone, la densité de population, c’est aussi une solution. La piste cyclable qui va être construite à Paris, sera particulièrement efficace. Chaque infrastructure, chaque dépense carbone, le raccordement au chauffage urbain, le transport collectif … seront extrêmement utilisés, rentabilisés.

L’objectif établit par le Conseil de Paris sur ce sujet a donc été de garantir la  stabilité démographique . Pour l’atteindre, il a été calculé qu’il faudrait produire au moins 3’000 nouveaux logements par an. C’est donc un PLU qui va devoir faire de la pleine terre mais aussi beaucoup de logements. Et pas n’importe quel logement, un logement public, abordable et social qui permet à toutes et tous de se loger.

Le marché libre, à lui seul, ne permet plus de répondre aux besoins des habitants dans une ville comme Paris. Les prix de l’immobilier y sont structurellement décorrélés des revenus des classes moyennes et populaires. Même en cas de baisse conjoncturelle, le logement reste inaccessible pour une large part des ménages parisiens. Produire uniquement du logement privé, même  intermédiaire , c’est entretenir un système d’exclusion qui fait partir les familles, les jeunes actifs, les travailleurs essentiels. Pour maintenir une ville vivante, mixte, utile à tous, il faut produire du logement hors marché, qui ne dépend pas des hausses ou des baisses du foncier. C’est ce qu’on appelle le logement public au sens large : logement social, logement abordable, logements en bail réel solidaire ou portés par des foncières. C’est une condition de la justice sociale mais aussi de la résilience écologique et économique de la ville.

C’est dans cette logique que la Ville de Paris et la Ville de Saint-Ouen ont créé la Foncière du Logement Abordable. C’est une société publique locale qui a vocation à acquérir du foncier et des immeubles, y compris en diffus, pour produire du logement abordable durablement, en complément des outils traditionnels comme le logement social ou les OFS. La Foncière est un nouvel acteur de régulation et de solidarité foncière, capable d’agir là où le marché est défaillant. Mon rôle aujourd’hui, en tant que directeur général, est de faire émerger des opérations concrètes avec les acteurs publics et privés, en lien étroit avec les collectivités. C’est un projet ambitieux, mais indispensable pour faire en sorte que Paris reste une ville accessible à toutes et tous.

Vous mentionniez Haussmann comme symbole d’un urbanisme démiurgique. Certes, il a démoli, tracé des grands axes et des grands princes ? Mais c’est aussi un moment où Paris se constitue par l’initiative de petits lotisseurs Les cités obscures : dans le XXème arrondissement, naissance et développement de la « cité des Singes » Les cités obscures : dans le XXème arrondissement, naissance et développement de la « cité des Singes » qui font bâtir des immeubles de rapport, dont pas un n’est identique.

Haussmann aurait eu quelque chose que plus personne n’a vraiment eu depuis : il était propriétaire du foncier. C’est grâce à cette situation de propriétaire qu’il a pu imposer les ornements La décoration au service de la densité La décoration au service de la densité et l’architecture spécifique des façades : c’était inscrit dans les actes de vente ! Il n’y avait pas d’urbanisme règlementaire, c’est du contractuel imposé par, la préfecture de la Seine.

Cela semble, aujourd’hui, un peu d’un autre temps. Je pense que nous sommes plutôt entrés dans l’ère de l’urbanisme négocié. Le PLU en est un peu l’incarnation. Ce que nous avons  découvert  à Paris en faisant le PLU et dont on commence à se rendre compte un peu partout, c’est que le monde est fini. A Paris, on ne peut plus construire au sol. Les dernières ZAC parisiennes portent sur du foncier extrêmement complexe. Face à de telles complexités, il faut faire, à l’aide du règlementaire, avec de l’incitation, des règles du jeu qui donnent envie aux personnes de jouer et de transformer la ville.

Vous voulez dire que le particulier, l’habitant a un rôle à jouer dans la transformation urbaine ?

Oui ! Et je pense, qu’en urbanisme, nous sommes très en retard, par rapport à plein d’autres industries. Aujourd’hui, si tu vas dans un magasin acheter quelque chose, tu reçois ensuite des dizaines de mails pour savoir si tu as passé un bon moment, si tu es satisfait de ton expérience client. Par contre, si un immeuble se construit en face de chez toi, tu auras l’impression de découvrir le projet par hasard, de n’être au courant de rien. La construction charrie quelque chose de violent. L’acte de bâtir à quelque chose d’anachronique dans un monde où désormais tout le monde est expert et possède un avis sur tout. Cela génère d’importantes frictions qui freinent les projets.

Comment enrayer ça ? Comment redonner confiance aux riverains dans le fait que le projet qui se fait à côté de chez eux sera positif pour le quartier ? Il faut commencer par établir des règles très claires sur les enjeux de pleine terre, de lumière etc. Et ensuite, demander aux pétitionnaires de démontrer comment ils comptent aller encore plus loin que ce qui est imposé par la règle, comment — selon par exemple les neufs critères que nous avons établis dans le PLU — ils vont réussir à apporter plus d’arbres, plus de logement abordable, plus d’animation des rez-de-chaussée.

Vous parlez de conservateurs, est-ce que Paris connait et subit un phénomène NIMBY Not In My BackYard (NIMBY) Not In My BackYard (NIMBY)  ? Comment s’assurer que Paris ne devienne pas une gated community de fait ?

Ce qui est certain c’est qu’il y a un anachronisme terrible avec ce PLU, c’est qu’il n’est pas intercommunal. Il était nécessaire de revoir le PLU de Paris donc nous n’avions pas le choix, mais il est évident que ce n’est pas la bonne échelle pour répondre à l’ensemble des enjeux et notamment ceux du logement et de l’accueil « Qu’ils aillent se loger ailleurs ! »  « Qu’ils aillent se loger ailleurs ! » . Heureusement Le travail de diagnostic porté par l’APUR s’est fait en même temps que celui du SCOT Métropolitain et du SDRIF avec une sorte d’alignement des planètes car cela été porté, peu ou prou, par les mêmes équipes.

Concernant le NIMBY, il est clair que nous assistons à des tentations de refermer la ville sur elle-même et à un phénomène de muséification qui est inquiétant. Paris est une ville de grandes possibilités et elle appartient aux Parisiens évidemment, mais aussi à la France et au monde. Le poids prépondérant de la propriété privée soulève des questions face à cela.

Prenons le sujet de l’activité économique. L’un des objectifs du PLU est que Paris reste une capitale économique avec la prise de compte de nouveaux modes de travail et de nouveaux types d’entreprises, comme celles de l’ESS. Paris est la première ville de France à reconnaître l’ESS : nous allons protéger les activités de l’ESS partout à Paris. Mais le sujet, c’est aussi et surtout le tertiaire : Paris est une ville où le bureau tombe du ciel, alors que l’immobilier tertiaire est en panne partout en France, à Paris, il atteint des sommets.

Suite à la crise COVID, les entreprises veulent moins de bureaux, mais du bureau plus central, donc dans le triangle d’or. Mais il n’est pas question que Paris capte toute l’attractivité économique de la métropole.

Avec le PLU, nous avons essayé de mettre cette attractivité parisienne au service du logement et de la réponse à la crise. C’est la règle de mixité fonctionnelle : à partir du moment où on rénove ou créé 5’000 mètres carrés de bureaux à Paris, il faut réaliser au moins 10% de logement, dans les secteurs en carence. Ce type de dispositif est très important car on ne sait plus faire autrement. Nous parlions d’Haussmann : le bâtiment haussmannien est un bâtiment qui permet une grande mixité d’usage, c’est quelque chose que nous ne savons plus faire… pour des questions qui peuvent aussi être légitimes de règlementations, de sécurité incendies. A Paris, face à l’impératif de continuer à accueillir et de loger les gens, nous devions trouver des solutions pour produire autrement.

Si la parcelle n’est plus la bonne échelle, avons-nous, en tant que professionnels, les bons outils ? Vous avez très peu parlé des ZAC et des OAP, or c’est dans ces espaces qu’ont pu être portés les grands projets de logement récents … sait-on vraiment produire à une plus petite échelle ?

Nous avons un énorme objectif de production de logements à Paris : au moins 3’000 par an. Il va donc falloir mobiliser l’ensemble des ressources, d’autant que, comme vous le disiez, la production en ZAC n’est plus si pertinente. Pour des questions carbone et de protection du patrimoine, le PLU bioclimatique est organisé de telle manière que tout projet doit d’abord être pensé comme une réhabilitation, et puis dans les cas exceptionnels, une démolition reconstruction pourra être envisagée. Face à ces contraintes, il n’y a pas trente-six solutions : il faut surélever, faire évoluer la quatrième façade. C’est très visible dans les schémas de ce qui est autorisé par les nouvelles règles du PLU bioclimatique par rapport au PLU précédent : on perd en constructivité à peu près partout, sauf en hauteur. Surélever pour faire du logement permettra d’ailleurs d’obtenir de la surface supplémentaire, une sorte de bonus, qui pourra également être déclenché si vous contribuez à la débitumisation de la cour de l’immeuble.

Quelles conclusions tirer de tout cela ?

C’est un PLU qui, selon moi, est résolument optimiste. Ce n’est pas un PLU qui a vocation à rassurer les propriétaires et qui souhaite figer les possibles. Bien au contraire, il dit :

 Ok la situation est complexe, mais Paris est une ville magnifique et qui le restera, quoi qu’il arrive, alors comment faire pour atteindre nos objectifs avec l’aide de tous les Parisiens et toutes les Parisiennes ? 

Si je devais nommer le type d’urbanisme que porte le PLU de Paris, cela serait, de l’urbanisme positif !

Mais un bon règlement ne suffit pas. Maintenant que le PLU est voté, l’enjeu, c’est de le faire vivre, de passer de la règle à l’action. Cela suppose une mobilisation collective : des habitants, des professionnels, des promoteurs, des bailleurs sociaux, mais aussi des outils publics capables d’ouvrir des perspectives là où le marché est bloqué. C’est le sens de mon engagement aujourd’hui à la tête de la Foncière du Logement Abordable de Paris et Saint-Ouen.

La Foncière est là pour accompagner concrètement les dynamiques de transformation urbaine que le PLU permet. Acquérir, réguler, recomposer, produire autrement. Elle agit là où les logiques classiques ne suffisent plus. L’ambition est de démontrer, opération après opération, que l’on peut construire du logement abordable sans renoncer aux exigences environnementales, architecturales et sociales que Paris s’est donné.

Transformer la ville, aujourd’hui, cela veut dire : faire avec l’existant, penser la densité comme un outil de justice et de résilience, et créer les conditions concrètes d’un urbanisme à la fois désirable, soutenable et partagé. C’est une tâche immense, mais c’est ce qui rend ce moment passionnant.