Etats-Unis : les règles qui ont créé une crise du logement sans précédent
Saviez-vous que les Etats-Unis connaissent, comme nous, une crise du logement sans précédent avec une pénurie estimée à 4 millions d’unités ?
La hausse des inégalités patrimoniales est essentiellement liée aux restrictions artificielles de l’offre de logement, notamment en milieu urbain.
Selon le Global Wealth Report 2024 d’Allianz1, les Français sont rentrés cette année dans le top 10 mondial des nations les plus riches du monde, en termes de patrimoine financier et immobilier net (i.e. après déduction des éventuelles dettes). Plus précisément, avec un patrimoine moyen (tel que défini ci-dessus) de 214’980 euros, nous avons gagné 3 places et remplacé le Japon en dixième position du classement. En revanche, sur la base de notre seul patrimoine financier, nous ne sommes que 16e.
Début 2021, le patrimoine des Français était composé à 62% d’immobilier — essentiellement (83%) leur résidence principale et plus marginalement des résidences secondaires et autres investissements locatifs2. Si cette proportion est plus élevée au sein de la classe moyenne supérieure (l’immobilier représente plus de 70% du patrimoine des ménages situés entre le 5e et le 8e décile de patrimoine brut), ce sont logiquement les plus riches qui en détiennent le plus en valeur absolue (le patrimoine immobilier moyen des 10% les plus fortunés atteignait presque 800’000 euros) et, symétriquement, les plus modestes qui en détiennent le moins (les 10% les plus pauvres n’en détenaient pas du tout).
L’essentiel de la hausse des inégalités patrimoniales que nous observons depuis le début des années 2000 s’explique par la hausse des prix de l’immobilier3 et, en particulier, par la bulle
des années 2001-2007 et la stabilisation des valorisations à des niveaux historiquement élevés qui a suivi4. En moyenne et sur 20 ans (1998-2018), la valeur du patrimoine immobilier des propriétaires français a augmenté de 141% ce qui, schématiquement, a créé deux types de ménages : ceux qui étaient déjà propriétaires avant la hausse et se sont considérablement enrichis et les autres, pour qui accéder à la propriété est devenu extrêmement difficile et même, trop souvent, impossible.
Pour ces derniers, c’est la double peine : non seulement ils n’ont pas profité de l’explosion des prix mais ils ont dû, par la suite, trouver à se loger dans un marché désormais hors de prix — ce qui s’est traduit, pour eux, par un taux d’effort beaucoup plus important que par le passé : les propriétaires non-accédants consacrent 9% de leurs revenus à leur résidence principale contre 27% pour les propriétaires accédants et 28% pour les locataires du parc privé5. En conséquence de quoi, après prise en compte de l’inflation, le patrimoine moyen des 10% les plus modestes de 2018 est 58% moins élevé que celui de leurs homologues de 19983.
Cette hausse spectaculaire du coût du logement trouve son origine dans la conjonction de trois phénomènes.
Le premier est structurel et tient à la fois aux grandes évolutions de notre société (décohabitation) et à la concentration spatiale de l’activité économique et donc de la population. Ce sont des tendances lourdes qu’on observe dans le monde entier depuis des décennies6 et elles se traduisent toutes par un accroissement de la demande de logement, notamment à proximité des grandes zones d’emploi (i.e. la métropolisation) et des littoraux (littoralisation).
Le second, plus conjoncturel, est directement lié à la politique monétaire des banques centrales au cours des dernières décennies et, en particulier, les phases de taux bas post bulle Internet
(2001-2006) et post crise des subprimes
(2009-2022)7. Sur le marché de l’immobilier, la baisse des taux d’intérêt pilotée par les banques centrales a eu pour effet d’accroître substantiellement le pouvoir d’achat immobilier des ménages — quitte à emprunter sur des durées beaucoup plus longues — et notamment des ménages aisés qui ont pu alors se constituer des patrimoines locatifs considérables.
En principe, ce qui précède aurait dû provoquer une hausse de la construction de logements neufs dans les secteurs métropolitains et littoraux, mais un troisième phénomène est venu empêcher l’offre de logement de s’ajuster — en l’occurrence, le phénomène NIMBY qui se traduit par la pression politique exercée par des riverains sur nos élus locaux afin que nos règlements d’urbanisme (les PLUs mais aussi un certain nombre de pratiques extra légales
) gèlent l’offre de logements neufs à proximité de chez eux. Or, un marché qui ne peut pas s’ajuster par les quantités s’ajuste par les prix : au cœur de nos métropoles et dans les premières couronnes bien desservies, cette raréfaction de l’offre s’est matérialisée par une hausse spectaculaire des prix de l’immobilier (2000-2008) puis, par une stabilisation de ces derniers à des niveaux historiquement élevés.
C’est de cette façon que nous avons créé, sans bien sûr le vouloir, une véritable forme de séparatisme territorial et social avec, d’une part, les possédants, celles et ceux qui ont eu la chance d’être propriétaires au bon moment, qui ont souhaité — légitimement — préserver leur cadre de vie et la valeur de leurs investissements et ont usé, pour ce faire, de leur poids politique en profitant notamment de notre organisation territoriale qui instaure une dichotomie entre la ville vécue (la zone urbaine fonctionnelle) et la ville politique (la commune).
Et d’autre part, les autres : celles et ceux qui n’ont d’autre tort que d’être arrivés trop tard — notamment parce qu’à l’époque des faits, ils étaient bien trop jeunes pour être propriétaires. Pour eux, se loger et gagner leur vie se résume à un arbitrage entre petites surfaces hors de prix mais proches de leur travail (d’où les taux d’effort évoqués plus haut) et accepter de s’éloigner à la recherche de mètres carrés plus accessibles mais au prix de trajet de plus en plus long et coûteux, et quitte à se priver de nombreuses opportunités d’emploi.
C’est de cette façon que nous en sommes arrivés au stade où, selon l’Ancols, sept ménages français sur dix sont désormais éligibles au logement social et plus de la moitié (54%) peuvent prétendre à un logement PLUS, c’est-à-dire à un HLM au sens strict du terme8. Pire encore : alors que les aides aux logements coûtent désormais plus de 26 milliards d’euros par an à la collectivité9, les différentes études menées sur les aides personnelles au logement (APL) tendent à démontrer qu’elles profitent avant tout aux bailleurs10, tout porte à croire que le parc social ne bénéficie que partiellement aux plus modestes tout en réduisant la mobilité de ses locataires11 et la Fondation Abbé Pierre estime à 600’000 le nombre de ménages qui vivent désormais dans des taudis
12.
Revenons au Japon, à qui la France a volé la dixième place du classement d’Allianz. Au lendemain de l’explosion de la bulle immobilière des années 1980, les économistes japonais ont estimé que la politique monétaire et les règles d’urbanisme qui empêchaient le marché de s’adapter à la demande étaient les deux principales causes de ce phénomène qui avait propulsé six magnats de l’immobilier japonais dans le top 10 du premier classement des milliardaires de Forbes (1987). Au cours de la décennie qui a suivi, culminant avec la Loi sur les mesures spéciales de renaissance urbaine de 2002, les gouvernements successifs ont donc restructuré les règlements d’urbanisme et, notamment, simplifié le processus de rezonage.
C’est ce qui fait que les grandes villes japonaises, dernières zones de croissance dans un pays en déprise démographique, ont su s’adapter en construisant les logements nécessaires à cette évolution de la géographie. À Tokyo, par exemple, il n’existe pas de mouvement NIMBY et les prix de l’immobilier, si l’on omet la hausse observée dans l’ancien en 2023 (qui a depuis été corrigée), sont globalement stables depuis 30 ans.
C’est donc en grande partie à cela que nous devons cette 10e place : le patrimoine des Français qui ont la chance d’être propriétaires est massivement composé d’immobilier et la raréfaction artificielle des logements là où ils sont les plus recherchés fait que, même lorsque les prix baissent, ils baissent moins qu’au Japon. C’est une excellente nouvelle pour bon nombre de Français aisés mais, pour les primo-accédants, ceux qui rêvent de le devenir et ceux qui n’espèrent même plus accéder un jour à la propriété, cette dixième place a aujourd’hui un goût amer. Il est sans doute temps, en France, de procéder aux recalibrages des plans locaux d’urbanisme en zone tendue afin de remettre les outils de planification sur de bons rails et d’en faire les outils d’une réponse qualitative à la demande plutôt que les verrous qui ferment les portent des centres urbains aux plus modestes.
Notes :
directeur(celui des main refinancing operations) de la Banque centrale européenne.