Je viens d’acheter un terrain grevé de servitudes pour y faire bâtir une maison. Avant de démarrer mon projet, comment savoir si les servitudes attachées à mon terrain vont avoir un impact sur l’instruction des règles d’urbanisme relatives à mon projet ?
Quels sont les documents réglementaires qu’il faut prendre en compte ? Comment les règles relatives aux servitudes s’articulent-elles avec les autres réglementations en matière d’urbanisme ? Certaines prévalent-elles sur d’autres ? A quelle juridiction dois-je me référer en cas de litige ?
Découvrez quelles sont les différentes règlementations qui peuvent s’appliquer à votre projet de construction et leur relation avec les règles de droit privé pour avancer sereinement dans l’élaboration de votre projet.
1. Quelles sont les règles d’urbanisme applicables dans ma commune ?
La plupart des projets immobiliers nécessitent une autorisation d’urbanisme pour être réalisés. L’objectif des autorisations d’urbanisme est de sanctionner le respect de légalité urbanistique (Art. L421-6 du Code de l’urbanisme).
📕 Article L421-6 du Code de l’urbanisme
« Le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords et s’ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d’utilité publique […] ».
Les autorisations d’urbanisme doivent respecter différentes législations prévues par le Code de l’urbanisme, les documents locaux d’urbanisme mais aussi d’autres règles, de portée urbanistique, présentes dans d’autres Codes, tel que le Code rural par exemple.
👉 A défaut de Plan Local d’Urbanisme ou de Carte Communale, le Règlement National d’Urbanisme est applicable. Il se trouve aux articles L111-1 à L111-34 du Code de l’urbanisme. Certaines de ses dispositions sont d’ordre public et restent applicables à l’ensemble du territoire.
Il faudra alors veiller au respect de la législation visant la préservation du patrimoine, comme la protection des monuments historiques et de leurs abords, des Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine (PVAP) et Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV).
Mais également des règlementations environnementales telles que les Plans de Prévention des Risques Naturels (PPRN) prévus par le Code de l’environnement (art. L562-1 et suivants).
2. Droit privé et urbanisme
Une autorisation d’urbanisme est délivrée sous réserve du droit des tiers (Art. A424-8 du Code de l’urbanisme). Cela signifie que le seul fait d’avoir obtenu un permis de construire ne suffit pas à être en règle avec toutes les législations, mais seulement avec celles mentionnées à l’article L421-6 du Code de l’urbanisme.
Il s’agit là du principe d’indépendance des législations.
📕 Article A424-8 du Code de l’urbanisme :
« […] Le permis est délivré sous réserve du droit des tiers : il vérifie la conformité du projet aux règles et servitudes d’urbanisme. Il ne vérifie pas si le projet respecte les autres réglementations et les règles de droit privé. Toute personne s’estimant lésée par la méconnaissance du droit de propriété ou d’autres dispositions de droit privé peut donc faire valoir ses droits en saisissant les tribunaux civils, même si le permis respecte les règles d’urbanisme ».
C’est à dire, qu’au-delà des aspects cités à l’art. L421-6 du Code de l’urbanisme ( « l’utilisation des sols, de l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement et l’aménagement des abords »), il revient au pétitionnaire lui-même de d’assurer que son projet est conforme avec le Code civil, les servitudes de droit privé éventuelles et les autres législations (Code rural, Code du patrimoine, Code de l’environnement, …).
En effet, théoriquement le service instructeur est tenu d’ignorer les règles de droit privé dans le cadre de l’instruction d’une autorisation d’urbanisme.
👉 Exemple :
Le requérant conteste un permis de construire car la construction projetée entraverait sa jouissance des droits à l’usage des stationnements mentionnés dans le contrat de bail commercial dont il est preneur. Parce que ces droits trouvent leur origine dans un acte contractuel de droit privé, le moyen ne peut être retenu par le juge administratif (CAA de Bordeaux, 31 aout 2018, n°16BX01694).
📕 Jurisprudence :
Alors qu’un syndicat de copropriétaires s’appuyait sur l’empiétement d’un mur mitoyen sur sa propriété pour attaquer un permis de construire, le Conseil d’État a considéré que « dès lors que le permis de construire est accordé sous réserve des droits des tiers, le moyen tiré de la méconnaissance d’une servitude de droit privé ne saurait être utilement invoqué à l’encontre dudit permis » (10 juillet 1996, N°92016).
Par ailleurs, la constitution d’une servitude de droit privé ne dispense pas de l’obtention d’une autorisation d’urbanisme si cette dernière est requise pour les travaux envisagés.
👉 Exemple :
Imaginons que l’on souhaite créer une fenêtre dans un mur aveugle qui se trouve à 1m de la limite de propriété. Le Code civil imposant une distance d’au moins 1,9m entre une vue droite et la limite de propriété, il est nécessaire de conclure une servitude conventionnelle de vue avec son voisin pour avoir le droit de créer cette fenêtre. Une fois cette servitude conventionnelle établie, on sera en règle avec le droit privé, mais pas avec le droit de l’urbanisme. En effet, dès lors que l’ajout d’une fenêtre modifie l’aspect des constructions, une autorisation d’urbanisme est requise – au titre de l’article R421-17 du Code de l’urbanisme. Il faudra alors effectuer une déclaration préalable, qui constitue un type d’autorisation d’urbanisme.
En savoir plus : 📰 Voir et être vu : tout comprendre aux servitudes de vue et de jour
2.1. Quelle hiérarchie entre PLU et servitude de droit privé ?
Le projet ne pourra faire valoir une constructibilité plus permissive que celle prévue par les documents d’urbanisme applicables.
👉 Par exemple, une servitude de vue ne peut pas permettre une implantation de la construction avec vues à une distance inférieure de celle prescrite par le Plan Local d’Urbanisme le cas échéant.
Attention, il est possible de mettre en place une servitude de droit privé plus tolérante que le PLU en vigueur. Mais celle-ci ne s’appliquera que dans la limite des règles du PLU.
👉 Exemple :
– Le PLU impose une distance minimale de 5m entre la limite latérale et un mur comportant des baies principales.
– Il existe une servitude conventionnelle de vue qui impose que cette distance soit d’au minimum 3m.
– Le propriétaire du fonds servant ne pourra édifier une construction en deçà de la règle des 5m imposée par le PLU.
→ Dans ce cas, le PLU prévaut.
En cas d’évolution des règles PLU vers des règles plus permissives, la servitude perdurera et pourra ainsi être mise en œuvre.
Il ne faut donc pas faire abstraction du droit privé lors de la conception d’un projet : lorsque qu’il existe une ou plusieurs servitudes de droit privé plus restrictives que les règles d’urbanisme, ces servitudes prévalent.
👉 Reprise de l’exemple précédent :
– Il existe une servitude conventionnelle de vue qui impose que cette distance soit d’au minimum 3m.
– Si le PLU évolue vers une distance de 2m, le propriétaire ne pourra choisir une implantation en deçà de 3m.
→ Dans ce cas, c’est la servitude de droit privé qui prévaut.
Les servitudes de droit privé ne sont pas toujours visibles dans les titres de propriété ou dans les relevés d’état hypothécaire des fonds concernés. En effet, certaines servitudes sont dites légales, c’est à dire qu’elles sont directement prévues par le Code civil.
Le projet doit être également conforme au Code civil. Par exemple, en matière de vues, de jour et d’ouvertures, le Code civil prévoit des distances minimales à respecter entre les fenêtres et la limite de propriété.
En savoir plus : 📰 Comment créer une servitude de droit privé ?
3. En cas de litige, quels tribunaux saisir ?
3.1. Saisine du tribunal administratif
Un recours portant sur une décision administrative relative à une autorisation d’urbanisme (comme un refus ou une acceptation de permis de construire) doit être faite devant les tribunaux administratifs.
👉 Exemple :
Si l’on demande au juge administratif de sanctionner la légalité d’un permis de construire délivré pour une construction qui génère une vue droite en méconnaissance des dispositions du Code civil, par le principe d’indépendance des juridictions, le juge conviendra que le moyen n’est pas opérant. Le PC est illégal au regard du code civil, mais pas de la législation urbanistique définie à l’article L421-6 du Code de l’urbanisme.
3.2. Saisine du tribunal judiciaire
En cas de violation d’une servitude de droit privé, les tribunaux civils sont compétents. La requête d’une personne lésée par la méconnaissance de dispositions de droit privé ne peut être reçue devant le juge administratif. Elle devra être entendue par le tribunal judiciaire.
📕 Jurisprudence :
Dans la décision N°68107 du 12 mai 1989, le Conseil d’État a considéré « qu’il n’appartient à la juridiction administrative ni de se prononcer sur l’aggravation ou la création des servitudes par des personnes privées sur des fonds privés ni de veiller au respect par des copropriétaires d’un règlement de copropriété, dès lors que ce règlement n’a pas été approuvé par l’autorité administrative ».
→ De cette manière, « le moyen tiré de la méconnaissance de ces règlements de droit privé par le bénéficiaire du permis ne peut qu’être rejeté ».
3.3. Cas particulier
Toutefois, la Cour de cassation a arrêté que le juge judiciaire empiéterait sur la compétence du juge administratif s’il ordonnait la démolition de logements sociaux présentant le caractère d’ouvrage public, même si cette démolition fait suite à la méconnaissance d’une servitude de droit privé, en l’occurrence d’une servitude non aedificandi (Cour de cassation, 16 mars 2023, N°21-22.693).