C’est la redondance (le superflus, et non la sobriété) qui est la clé de la résilience, de la robustesse et de l’antifragilité.
Quand moins, c’est fragile.
Car au sein des systèmes vivants, la maxime du moins c’est mieux
crée, bien souvent et malgré ses bonnes intentions, de la fragilité.
Une table est plus robuste avec quatre pieds plutôt que trois, comme le montre la pratique, et pourtant, en théorie, trois pieds suffisent…
Dans une optique de sobriété, le 4ème pied est-il superflus
?
Au vu de la fréquence des pannes du métro parisien, les habitués savent que pour aller d’un point A un un point B, mieux vaut deux ou trois options de trajet qu’une seule ; et pourtant, là encore, en théorie, une seule suffit…
Dans un lieu bondé, soumis à des pics de fréquentation, comme un stade, un hall d’aéroport ou une salle de spectacle, mieux vaut une multitude de portes de sortie qu’une seule ; même si, en théorie, le débit d’une seule grande porte pourrait suffire… (on sait ce qui se passe en cas de panique).
Lorsque vous portez un projet de construction, vous n’avez besoin que d’un seul foncier, en théorie. Mais lorsque celui-ci est unique, alors son prix monte.
Les prix ne correspondent à la valeur réelle des fonciers (emplacement, qualités…) que lorsque la rareté
La rareté foncière n’est pas une fatalité : elle doit être combattue
ne s’en mêle pas pour engendrer la spéculation.
Et pourtant, la sobriété foncière n’est-elle pas une bonne chose ?
En réalité vous avez besoin d’un foncier, celui sur lequel vous allez faire bâtir. Mais aussi d’une multitude d’autres fonciers disponibles, pour que celui sur lequel vous porterez votre choix ne soit pas à un prix exorbitant.
Vous avez plus de chance de trouver un restaurant pour vous accueillir en centre-ville qu’ailleurs car les options y sont multiples. Si elles sont en quantités trop faibles, il vous faudra réserver pour être certain de ne pas repartir le ventre vide. Et pour être sûr d’avoir votre place, il vous faudra réserver suffisamment en avance…
De la même façon, si vous déménagez dans une ville parce que vous y avez trouver un emploi qui vous convient, ainsi que votre conjoint, vous vous sentirez plus en sécurité s’il s’y trouve d’autres options d’emploi, pour vous et votre conjoint, au cas où celui de l’un ou l’autre ne convienne pas.
Vous avez besoin, pour prendre le risque d’assumer le coût du déménagement, de pouvoir vous retourner ; et pourtant, en théorie, deux emplois suffisent.
Ces exemples nous montrent en quoi la sobriété, qui entend s’ériger en réflexe pour ajuster nos comportements, est glissante.
Nous devrions nous méfier :
1/ non seulement de la sobriété vorace
Sobriété ou prodigalité ?
, c’est-à-dire de la sobriété qui crée une économie consciente qui engendre elle-même une consommation ultérieure inconsciente ;
2/ mais également de la sobriété fragile qui supprime, sans le savoir, les degrés de liberté, les options et les marges de sécurité dont une ville a besoin pour bien vivre avec le hasard, les aléas, etc.
La redondance est une gestion des risques

Source : tobiashagg
Un économiste jugerait peu rentable de conserver deux poumons et deux reins. Songez aux coûts nécessaires pour faire traverser la savane à des organes d’un tel poids !
Au final, cette optimisation nous tuerait au premier accident, à la première aberrationnous dit Nassim Taleb, l’auteur du concept d’antifragilité, avec le verbe qu’on lui connait…
La nature construit avec de la redondance ; les humains construisent avec de l’efficacité. C’est pourquoi la nature est antifragile et les humains sont fragilespoursuit-il.
J’ai pris une série d’exemples montrant comment, contrairement aux systèmes naturels qui prévoient des marges d’adaptation, notre quête parfois entêtée de sobriété
Le piège de la sobriété simple
et d’optimisation peut rendre les structures vulnérables aux chocs inattendus.
Si vous optimisez quelque chose, vous le rendez plus fragile, nous dit Nassim Taleb.
Poursuivons avec lui :
La redondance est ambiguë, car elle peut sembler être un gaspillage si rien d’inhabituel ne se produit. Sauf que quelque chose d’inhabituel se produit — en général.
La redondance est comme une assurance : elle n’est pas censée être utilisée. On n’en a pas besoin jusqu’au jour où on en a besoin, et quand ce jour arrive, on en a vraiment besoin.
Les couches de redondance sont la caractéristique centrale de la gestion des risques dans les systèmes naturels.
Ainsi,
Tout ce qui est vivant possède un certain degré de redondance, sinon il serait trop fragile face à l’inconnu.
L’opposé de la redondance, c’est l’optimisation naïve. Le problème avec l’optimisation, c’est qu’elle rend les systèmes fragiles face à l’inconnu et à l’imprévu.
C’est cette optimisation naïve dont nous devrions nous méfier : cette optimisation candide qu’introduisent toutes les politiques comportementales
de sobriété, qui cherchent à modifier nos réflexes non seulement dans la vie courante, mais également dans certaines pratiques professionnelles comme l’urbanisme, au prétexte que ce serait la façon la plus simple de bâtir des territoires et une société soutenables.
Mais les choses sont subtiles.
L’important est d’avoir du surplus où cela compte — pas de l’accumulation aveugle.
Le foncier par exemple. Son marché dysfonctionne dès qu’il devient trop rare : pour bien faire, nous avons sans doute besoin de 10 fois plus de foncier constructible que ce que nous n’en utiliserons en réalité…
Une armée bien préparée a toujours plus de munitions que nécessaire. Celui qui optimise trop finit par manquer du minimum vital.
Les banquiers veulent éliminer la redondance dans l’économie. C’est comme vouloir retirer un rein pour gagner du poids.
Ou fermer une porte sur deux à l’aéroport de Roissy CDG pour faire des économies d’énergie… Bref, je crois que, grâce à Nassim Taleb, vous avez compris l’idée de redondance !
Lindy