La servitude de passage est un outil de droit privé abondamment utilisé dans le cadre des divisions pavillonnaires, notamment lorsque la division donne lieu à une construction en second front.
Se pose alors le choix du fonds dominant et du fonds servant : laquelle des deux parcelles conservera le passage (fonds servant) et laquelle bénéficiera seulement d’un droit d’usage par le biais de la servitude (fonds dominant) ?
1. Les usages
Les usages sont l’un des éléments à prendre en considération afin de choisir qui sera le fonds servant. En effet, il semble logique que le propriétaire qui utilise le plus le passage en soit propriétaire, notamment pour des raisons de praticité d’entretien.
Cependant, ce n’est ce que dit le Code civil, qui prévoit que la charge d’entretien du passage incombe au propriétaire du fonds dominant, en considérant que ce dernier utilise ce passage sans en être le propriétaire. En cas de communauté d’usage, les charges peuvent être réparties entre les fonds.
Dans tous les cas, la convention de servitude peut prévoir une réparation différente des charges.
Ainsi, bien que les usages soient l’un des éléments susceptibles de conditionner le choix, ceux-ci ne sont pas déterminants : une flexibilité permet d’envisager sereinement toutes les possibilités.
2. Les règles qui conditionnent l’emprise au sol autorisée
Lorsque la division parcellaire donne lieu à la création d’un lot à bâtir, et parce que la valeur de ce dernier sera fonction des droits à construire qu’il octroie, le critère clé dans le répartition des fonds servant et dominant est son impact sur l’emprise au sol qui sera autorisée par les règles du document d’urbanisme (règle d’emprise au sol, coefficient de pleine terre ou de biotope, …).
Tenant compte de ces éléments, selon le contexte, on pourra privilégier de laisser la contenance cadastrale la plus grande au terrain destiné à accueillir la construction nouvelle. En effet, dans le cas où la règle d’emprise au sol étant calculée au prorata de la surface du terrain, plus celle-ci est grande, plus l’assiette permise pour la construction l’est aussi. Et donc, plus la valeur du terrain augmente.
👉 Attention à l’assiette d’instruction : Ce raisonnement est applicable lorsque l’instruction de l’autorisation d’urbanisme se fait à l’échelle de la parcelle détachée.
Il ressort des dispositions de l’art. R123-10-1 que les règles édictées par le PLU doivent s’entendre par rapport à l’ensemble du projet et non lot par lot.
En effet, par défaut, un permis de construire est instruit au regard des règles applicables à l’échelle de l’unité foncière (c’est à dire des parcelles contiguës et appartenant à un même propriétaire) et non à l’échelle de chacune des parcelles composant l’unité foncière, sauf si le règlement prévoit une disposition contraire.
De cette manière, pour que l’instruction soit faite uniquement sur la parcelle détachée, il est nécessaire que le propriétaire soit distinct de celui du reliquat.
📕 R151-21 du Code de l’urbanisme Dans les zones U et AU, le règlement peut, à l’intérieur d’une même zone, délimiter des secteurs dans lesquels les projets de constructions situés sur plusieurs unités foncières contiguës qui font l’objet d’une demande de permis de construire ou d’aménager conjointe sont appréciés comme un projet d’ensemble et auxquels il est fait application de règles alternatives édictées à leur bénéfice par le plan local d’urbanisme.
Ces règles alternatives définissent notamment les obligations faites à ces projets lorsque le règlement prévoit sur ces secteurs, en application de l’article L. 151-15, qu’un pourcentage des programmes de logements doit être affecté à des catégories de logement en précisant ce pourcentage et les catégories prévues.
Dans le cas d’un lotissement ou dans celui de la construction, sur une unité foncière ou sur plusieurs unités foncières contiguës, de plusieurs bâtiments dont le terrain d’assiette doit faire l’objet d’une division en propriété ou en jouissance, l’ensemble du projet est apprécié au regard de la totalité des règles édictées par le plan local d’urbanisme, sauf si le règlement de ce plan s’y oppose.
👉 Par exemple, la parcelle mère bénéficie d’une surface initiale de 700m2. La règle d’emprise au sol prescrite par le PLU est de 50%. Dans ce contexte, la parcelle de la maison initiale peut être réduite à 300m2 afin de laisser 400m2 pour le lot à construire, bien que 100m2 soit dédié au passage et grévé de servitude permettant la desserte de la première maison. Ainsi, l’emprise au sol de la parcelle détachée sera calculée sur la base des 400m2, soit 200m2. Alors que si le passage avait été conservé par la première maison, l’emprise au sol aurait été calculée sur la base de 300m2 et n’aurait pu être que de 150m2.
3. Impact sur le coût de raccordement aux réseaux
Un autre élément à prendre en considération lors de la répartition du fonds servant et dominant est la création des réseaux destinés à alimenter le lot à construire.
Dans le cas où la parcelle destinée à accueillir la nouvelle construction est éloignée du domaine public, le gestionnaire du réseau (le plus souvent Enedis) peut préconiser une extension du réseau public d’électricité sur le domaine privé afin de permettre le raccordement.
Cette extension ne peut se faire sans que le propriétaire du terrain où passera l’extension n’ait signé une convention de servitude avec Enedis ou avec le syndicat départemental d’électrification (articles R323-1 et suivants du Code de l’énergie). Attention, cette servitude se distingue d’une simple servitude conventionnelle de tréfonds qui aurait pu être jointe à la servitude de passage. Il s’agit d’une servitude d’utilité publique, obligatoirement conclue entre le gestionnaire du réseau et le propriétaire du terrain d’assiette (dans notre cas, le propriétaire du fonds servant d’une servitude de passage).
L’extension du réseau sur le domaine privé peut générer un surcoût, par rapport à un simple raccordement. En règle générale, la contribution d’extension sur le domaine privé est à la charge du demandeur. Les coûts afférents à l’extension peuvent, selon les cas, être en partie supportés par le syndicat départemental d’électrification. Il convient de se rapprocher du syndicat local pour obtenir plus de précisions à ce sujet.
Ainsi, si le lot à construire est situé en second rang, lui attribuer le passage en pleine propriété lui permettra d’être situé au droit du domaine public et ainsi de faciliter son raccordement, notamment en évitant une extension du réseau public.
3.1. Prévenir les litiges
Les litiges sont nombreux au sujet du raccordement électrique d’une parcelle destinée à accueillir une maison individuelle.
Ces litiges reposent sur le fait que la norme NF C 14-100 imposerait, pour des questions de sécurité (l’usage des services de secours est de rechercher le coffret en limite de propriété) et d’harmonisation du territoire national, que le coupe circuit principal individuel (CCPI) et la dérivation individuelle se trouvent sur la parcelle à desservir sans empiéter sur la parcelle d’un tiers. Ce critère rendrait obligatoire l’extension du réseau public afin de positionner le coffret en limite de propriété (dès lors que le câble de branchement en zone privative fait plus de 30m, ce qui est souvent le cas lorsqu’une parcelle enclavée en second rang est raccordée).
Cette norme n’est plus obligatoire (l’article 1 de l’arrêté du 22 octobre 1969 qui l’instituait a été abrogée par l’Arrêté du 3 aout 2016). Il ne semble pas qu’une autre norme alternative à celle-ci existe (voir CA Paris, 15 février 2024 n°22/04490). Toutefois, il semblerait qu’Enedis continue de l’appliquer.
Par ailleurs, la Cour d’appel de Paris a considéré, dans la décision du 15 février 2024, que le texte de la norme NF C 14-100 était clair sur le fait que l’accessibilité du coupe circuit principal individuel (CCPI) depuis la voie publique est impérative. Cependant, la Cour constate que le texte ne mentionne pas explicitement que le coffret doit être situé sur la propriété raccordée sans empiéter sur la parcelle d’un tiers.
Ainsi, il semble qu’il y ait un conflit d’interprétation sur certaines points (5.1.2 et 8.1) de la norme NF C 14-100 : l’obligation de la position du coupe circuit principal individuel (CCPI) sur la parcelle raccordée n’est pas avérée, en revanche il est clair que ce coffret doit impérativement être accessible depuis la voie publique.
4. Conséquences de la servitude : création de vues et père de famille
Les divisions foncières peuvent générer des servitudes par destination du père de famille. Il convient d’analyser la situation avant de diviser afin d’avoir conscience des servitudes susceptibles de découler du projet de division.
Les servitudes par destination du père de famille peuvent porter sur des plantations, des surplombs, des écoulements naturels matérialisés par un ouvrage apparent, des vues, etc.
Il sera possible, pour certaines d’entre elles qui ne seraient pas désirées, de mentionner explicitement dans l’acte de division rédigé par le notaire que les propriétaires s’y opposent.
La servitude de passage vaut servitude de vue : là encore l’emplacement du passage peut donner droit à la création de vues selon les configurations (réfléchir à la configuration).
Il faut garder à l’esprit que, quelle que soit la situation, les préférences particulières du propriétaire initial peuvent entrer en ligne de compte, et ce malgré les critères de choix précédemment explicités.
Notamment, s’il est propriétaire occupant de la maison restante et s’il a réalisé des aménagements valorisant sa propriété sur la partie du terrain qui permettra le passage, il se peut qu’il désire garder la propriété du chemin grévé de servitude.
Dans ce cas, il conviendra de rédiger la convention de servitude afin qu’elle s’adapte aux aménagements et aux usages effectifs des fonds.