En Californie, le NIMBY est une forme de ségrégation sociale

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4 min de lecture.  |  Publié le 04/09/2024 sur | Mis à jour le 04/09/24

@joshhild | unsplash.com

Autrefois très diverse et accueillante, la région de la baie de San Francisco fait aujourd’hui face à une des crises du logement les plus sévères des États-Unis : au premier trimestre 2024, selon les données recueillies par la California Association of Realtors, le prix médian d’une maison y atteignait $1.2 million de telle sorte que seul un ménage sur cinq pouvait espérer en acquérir une. C’est, bien sûr, une conséquence de l’attractivité des secteurs résidentiels situés à proximité des emplois très bien rémunérés de la Silicon Valley mais aussi, selon un nombre grandissant d’observateurs, du trop faible nombre de permis de construire accordés qui crée une rareté artificielle dans un marché où la demande est énorme en plus d’être solvable : ces 20 dernières années, on ne compte en effet que 1 à 4 logements autorisés chaque année pour 1’000 habitants à San Francisco contre, par exemple, 5 à 12 pour Houston.

Il se trouve que le processus d’autorisation locale repose très largement sur le principe du Community Engagement qui prend la forme d’auditions publiques durant lesquelles les résidents du voisinage sont invités à s’exprimer sur les projets qui leur sont soumis. Et il se trouve aussi que ces interventions sont filmées. C’est ce qui, en 2018-19, a donné l’idée à deux chercheuses australiennes de visionner ces vidéos afin d’estimer le profil des intervenants et d’analyser de façon systématique1 qui tend à s’opposer aux nouveaux projets de construction — la posture NIMBY (Not in My BackYard) — et qui tend à les soutenir — YIMBY (Yes, In My BackYard). Au total, elles ont recensé 720 interventions d’environ 550 participants.

Premier constat : le profil estimé des participants dans leur ensemble est très largement biaisé par rapport à la population de San Francisco. Les intervenants lors de ses auditions sont âgés (plus de 40 ans avec un pic de sur-représentation dans la tranche 60-70 ans), ils sont blancs, au sens américain de ce terme, et leur accent laisse supposer, nous disent les auteures, qu’ils sont nés aux États-Unis.

Deuxième constat : cette population sur-représentée tend à s’opposer beaucoup plus aux projets étudiés (NIMBY) que les autres intervenants. À l’inverse, les défenseurs du YIMBY sont, en moyenne, nettement plus jeunes et plus divers d’un point de vue ethnique ; ce que les auteures interprètent comme le résultat des difficultés qu’ils ont eux-mêmes rencontré pour se loger ou une forme d’intolérance aux inégalités socio-économiques.

Troisième constat, enfin : selon les auteures, ces personnes plutôt âgées et plutôt blanches qui dominent les débats et s’opposent généralement aux projets qui leurs sont proposés se soucient davantage de la valeur de leur propriété et d’autres considérations personnelles que du bien commun.

Ainsi, le cadre institutionnel en vigueur dans la région de la baie de San Francisco semble être en train d’opérer une forme de ségrégation sociale avec, d’un côté, des propriétaires plutôt aisés qui ont sans doute bénéficié du boom immobilier du début des années 2000 et, de l’autre, des jeunes et des nouveaux arrivants qui sont économiquement exclus des voisinages les plus recherchés.

Nous vous parlions, récemment, du boom des Accessory Dwelling Units (ADUs) dans le comté de Los Angeles : il est sans doute significatif que les villes qui accordent le plus de permis de construire pour ces unités de logement abordables (San Fernando, Rosemead, Temple City, Sierra Madre…) sont toutes situées dans les zones les moins attractives et les moins chères — c’est-à-dire en retrait de la côte et éloignées des principales zones d’emploi.

La planification et les règles d’urbanisme ont largement contribué, aux États-Unis comme ici en France, à l’accroissement des inégalités patrimoniales que nous observons depuis le début des années 2000 : ceux qui ont eu la chance de devenir propriétaires à temps ont vu la valeur de leurs biens s’apprécier lors du boom des années 2000-10 et, depuis, cherchent à préserver la valorisation de leur capital immobilier au dépens des moins aisés, et notamment des plus jeunes, qui éprouvent aujourd’hui les pires difficultés à se loger dignement à une distance raisonnable de leur lieu de travail.

Qu’il soit conscient ou pas, c’est une forme d’égoïsme générationnel qui est pointée du doigt par des chercheurs et par les tenants du mouvement YIMBY outre-Atlantique. En France, en revanche, cette critique semble plus feutrée et confidentielle. La crise du logement que traverse notre pays ne relève pas seulement des taux élevés, des coûts de construction en hausse et des politiques nationales : elle résulte également en grande partie des règles d’urbanisme locales qui tendent à privilégier les possédants déjà installés au détriment des nouveaux venus, à commencer par les plus jeunes.


Notes :

  1. McNee, G., Pojani, NIMBYism as a barrier to housing and social mix in San Francisco. J Hous and the Built Environ 37, 553–573 (2022).
    https://doi.org/10.1007/s10901-021-09857-6