Ce que le parc de logements sociaux nous apprend sur la vacance des logements dans le privé

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7 min de lecture  |  Publié le 06/09/24

Stefano Anzini | Wikipédia

Sur les quelques 37.82 millions de logements identifiés par l’Insee au 1er janvier 2023, un peu moins de 3.09 millions — soit 8.16% du parc total — étaient vacants1 ; c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas habités lorsque l’agent recenseur s’est présenté. C’est un phénomène qui n’est pas nouveau — le taux de vacance du parc français atteignait déjà 7.81% en 1983 — et qui n’est pas propre à la France, mais, dans un contexte de crise du logement, il suscite tout à fait légitimement un regain d’intérêt.

Un aspect intéressant et rarement évoqué de la vacance, c’est celui qui concerne notre parc social — soit 5.32 millions de logements au 1er janvier 2023, un peu plus de 14.1% du parc total2. Ce qui rend cet angle d’analyse intéressant, c’est que, non seulement nous disposons de données très fiables sur son état, mais aussi — et surtout — que le logement social affiche des taux de vacance très inférieurs à ceux du parc privé ; ce qui amène à se demander les paramètres qui expliquent cet écart et dans quelle mesure ils pourraient nous donner des enseignements utiles à la lutte contre la vacance des logements dans le parc privé.

Les principales spécificités du parc social qui seraient de nature à expliquer son faible taux de vacance sont au nombre de trois :

  • Par vocation, les bailleurs sociaux offrent des loyers significativement plus attractifs que ceux pratiqués dans le secteur libre — au 1er janvier 2023, comptez 6.27 euros/m² pour la France entière, 7.38 euros/m² en Île-de-France. Il en résulte que, toutes choses égales par ailleurs, les logements du parc social sont très recherchés : au 31 décembre 2022, on comptait 4.26 demandes par logement disponible au cours de la même année ;
  • Par ailleurs, les logements sociaux sont d’autant plus attractifs qu’ils sont largement concentrés dans les zones les plus tendues du territoire, là où la pénurie est la plus intense. Plus d’un quart du parc, par exemple, est situé en Île-de-France et les dix plus grandes communes françaises abritent à elles seules 11.6% du parc social national contre 9.6% des logements ;
  • Enfin, nous avons affaire à un parc qui a toutes les chances d’être très disponible parce qu’il est relativement récent — une quarantaine d’années en moyenne — et activement entretenu par des bailleurs qui disposent de moyens considérables et ne sont, naturellement, pas soumis aux aléas de la vie des particuliers : les bailleurs sociaux n’ont pas de problèmes de succession, ne sont pas accueillis dans des établissements médicalisés et ne sont pas mutés à l’étranger.

Or, au 1er janvier 2023, 121’276 logements sociaux étaient vacants au sens du Répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux (RPLS) — c’est-à-dire qu’ils étaient proposés à la location mais pas habités — auxquels s’ajoutaient 141’082 logements vides ; ce qui signifie qu’ils n’étaient pas proposés à la location parce qu’en attente de travaux, de vente ou de démolition. Au total et pour comparer ce qui est comparable, notre parc social était donc vacant (au sens de l’Insee) à 4.93% — 2.28% au titre d’une vacance purement frictionnelle et 2.65% pour des raisons qui tiennent à l’entretien et l’évolution du parc3.

Naturellement, ce taux de vacance moyen de 4.93% varie considérablement en fonction de la géographie. Dans les zones éloignées des grands pôles d’emploi, on observe couramment des taux supérieurs à 10% — et parfois beaucoup plus dans certaines petites communes rurales — tandis que dans les régions tendues, il tend naturellement à être significativement moins élevé : à Paris, par exemple, il est à peine supérieur à 4% et on observe même des taux de vacance du parc social inférieurs à 3% dans des communes comme Aix-en-Provence, Montpellier, Annecy ou La Rochelle.

Quoiqu’il en soit, le parc social se caractérise bien par des taux de vacance considérablement plus bas que ceux que l’on observe sur l’ensemble du parc de logements. Même si les données commune par commune reflètent, bien sûr, une très grande variété de particularités locales, les moyennes nationales donnent des ordres de grandeur relativement robustes : un taux de vacance de l’ordre de 5% dans le parc social contre un peu plus de 8% pour l’ensemble des logements.

De là, on peut légitimement se demander si les performances du parc social peuvent constituer un objectif raisonnable : peut-on espérer atteindre un taux de vacance de 5% sur l’ensemble du parc et, ainsi, mobiliser un gisement d’environ 1.2 million de logements supplémentaires ? Répondre à cette question de façon conclusive demanderait une analyse détaillée du stock existant ce qui, à l’évidence, est une tâche considérable. Néanmoins, sur la base du peu d’informations dont on dispose aujourd’hui4, tout porte à croire que non, et ce, pour au moins trois raisons.

La première — nous venons de l’évoquer — c’est la géographie. Il se trouve que, pour des raisons aussi évidentes que légitimes, notre stock de logements sociaux est généralement situé là où la demande de logement est forte et où la construction de logements neufs marque le pas, notamment là où les règlements d’urbanisme empêchent l’évolution des tissus bâtis existants. Or, le parc national est le résultat d’une histoire bien plus ancienne : il existe, aujourd’hui en France, un nombre considérable de logements situés dans des zones en déclin économique et démographique qui ne répondent tout simplement plus à aucune demande. Autrement dit, et au risque de dire les choses de façon un peu brutale, les seules façons de réduire cette part de la vacance, seraient de forcer nos compatriotes à s’y installer ou de détruire les logements concernés.

La seconde, c’est l’état général du stock. Même s’il est sans doute perfectible à bien des égards, notre parc social a été conçu pour répondre à des besoins modernes et bénéficie, depuis des décennies, de moyens considérables alloués par la puissance publique5. C’est ce qui lui permet d’être disponible à plus de 97%. Tel n’est pas le cas du parc général et, notamment, d’une part importante des logements privés vacants de longue durée situés dans les cœurs historiques de nos villes. Petits, vétustes, de qualité médiocre6 — et même, parfois, dangereux ou impropres à l’habitation7 — ils sont, là aussi, le résultat d’une histoire longue et des moyens limités de leurs propriétaires. Il est sans doute possible d’en réhabiliter une partie mais ce sera au prix d’investissements considérables, au cas par cas et, bien sûr, si les règlements d’urbanisme le permettent.

Restent, enfin, les caractéristiques spécifiques du parc social : il est intégralement détenu par des acteurs institutionnels, n’a vocation à proposer que des résidences principales et — par définition — il offre des conditions tarifaires beaucoup plus attractives que le secteur libre ce qui, sans surprise, se traduit par une mobilité résidentielle notoirement faible8 et donc, moins de vacance frictionnelle. Le parc général, pour sa part, est détenu à environ 80% par des personnes physiques sujettes aux aléas de la vie, fournit de nombreux autres services qui sont susceptibles de générer de la vacance — les locations touristiques, par exemple — et ne peut matériellement pas s’aligner sur les conditions tarifaires du secteur social9.

En conséquence de quoi, viser un taux de vacance de 5% pour l’ensemble du parc serait outrageusement optimiste. Il est tout à fait possible, en principe, de réduire ce taux à moins de 8% — notamment en réhabilitant massivement les logements anciens, inadaptés et dégradés de nos centres-villes, en priorisant les secteurs en tension — mais ce sera au prix d’investissements importants et à condition que les règlements d’urbanisme ne s’y opposent pas.


Notes :

  1. Camille Freppel, 37.8 millions de logements en France au 1er janvier 2023, Insee Focus n°309, octobre 2023.
  2. Nous utilisons ici et dans le reste de cet article les données du Répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux (RPLS).
  3. Toujours selon le RPLS, un peu moins de 4% des logements du parc social qui ont fait l’objet d’un Diagnostic de performance énergétique (DPE) étaient classés dans les catégories F et G — les fameuses passoires énergétiques — et ne peuvent plus, en principe, être reloués à moins d’être rénovés.
  4. Voir, en particulier, ce remarquable rapport de l’IGF : Anne Boquet, Jean-Louis Helary, Paul Sauveplane et Alain Weber, Évaluation de politique publique — Mobilisation des logements et des bureaux vacants, janvier 2016.
  5. Pour prendre un exemple d’actualité, la loi de finances pour 2024 prévoit une enveloppe de subvention de 400 millions d’euros pour la rénovation énergétique du parc social.
  6. C’est, de façon très claire, le profil-type de la vacance longue (un an ou plus) des logements détenus par des personnes physiques que dresse le Service des Données et Études Statistiques (SDES). Voir Béatrice Boutchenik et Benoit Mathieu, Les déterminants de la vacance longue durée des logements détenus par les personnes physiques, Service des Données et Études Statistiques (SDES), décembre 2023.
  7. Le drame de la rue d’Aubagne, à Marseille en 2018, est malheureusement une illustration. Suite à l’effondrement des deux bâtiments concernés, la municipalité avait fait évacuer pas moins de 578 immeubles dangereux. Notez par ailleurs que le n°63, qui faisait partie du parc social, était fort heureusement vide au sens du RPLS. Cette vacance a sans doute sauvé quelques vies.
  8. En 2017, l’Insee évaluait le taux de mobilité résidentielle des locataires du parc social à 20.8% contre 48.5% dans le secteur libre.
  9. C’est une tautologie : les bailleurs sociaux bénéficient de conditions économiques exceptionnellement favorables (subventions, fiscalité allégée, conditions d’emprunt etc.) parce qu’ils remplissent une mission de service public.

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