L’optimisation des espaces : des territoires aux logements
Je suis un urbaniste passionné… et très énervé par la situation actuelle de la construction en France, et tout ce qui en découle : la crise du logement et notre incapacité […]
La fin de l’entreprise providence
correspond — aussi — au début de la ville providence
.
Selon l’Insee1, sur 100 salariés du privé en 2021, seuls 81.2 continuaient à travailler pour la même entreprise un an plus tard — cette mobilité du travail est en hausse de 1.8 points depuis 2018 et touche presque tous les secteurs.
Les garanties
et la communauté
qu’offraient l’entreprise dans laquelle on pouvait faire carrière toute une vie se sont déplacées : ce sont aujourd’hui les (grandes) villes, et la multitude d’opportunités qu’elles offrent, qui jouent ce rôle important.
Il est difficile de comprendre le phénomène de métropolisation — mondial, mais que la France ne connaît que depuis le début des années 2000, et plus intensément encore depuis les années 2010 — sans le relier, effectivement, aux profonds changements qui s’opèrent dans le monde des entreprises tels qu’ils sont notamment décrit dans cet article de Jean-Pierre Bouchez : Management : la fin de l’entreprise communautaire2.
Depuis une dizaine d’années, on assiste, en France et dans nombre de pays occidentaux, à la fin d’un modèle de grande entreprise qui a dominé pendant des décennies le monde industriel et tertiaire, singulièrement durant la période des
trente glorieuses.Cette forme, que l’on peut qualifier de
communautaire, se réfère à certaines grandes organisations bureaucratiques caractérisées notamment par des carrières longues, souvent sécurisées, accompagnées d’avantages sociaux importants favorisant l’intégration durable de ses membres, sur fond d’une culture collective globalement partagée. L’expressionentreprise-providencepeut être également mobilisée pour la caractériser.
Une hypothèse : la taille de la ville dans laquelle vous avez aujourd’hui besoin de vivre pour assurer la sécurité financière de votre foyer est proportionnelle à l’idée que vous vous faites du nombre de job que vous occuperez dans une vie
.
Selon les domaines et les secteurs bien sûr, le bassin d’emploi qui sera en capacité de vous fournir le volume d’opportunité d’emplois suffisant pour vous permettre de ne pas avoir à déménager tous les 4 matins pour trouver l’emploi qui sera l’étape suivante de votre parcours professionnel, se situe de plus en plus au sein d’une grande aire métropolitaine.
Mais pourquoi les Français, employés et entreprises, s’entassent-ils tous dans les mêmes endroits, les mêmes lieux, les mêmes villes dans lesquelles l’immobilier est trop cher, dans lesquelles les conditions de circulation sont difficiles ?
Tout simplement parce que, comme le décrit cet article, d’autres organisations sociales communautaires, ultra-stables, qui assuraient la sécurité des employés comme des employeurs sur le long terme, sont en train de se défaire, et que c’est la ville, la métropole, les grandes conurbations urbaines, qui reprennent le flambeau en offrant aux individus la possibilité de se retourner au moment où ils en auront le besoin, et la possibilité d’un parcours.
Mais pourquoi la France n’a-t-elle pas connu le phénomène des grandes métropoles — exception faite de Paris — avant ? Parce que notre pays, sans doute, a été champion dans la construction de ces grandes institutions providences que furent les employeurs publics et privés au cours des dernières décennies.
En 2024, lorsqu’un employé signe un contrat en CDD ou en CDI dans une TPE, une PME ou une grande entreprise en quittant Paris pour Lyon par exemple, au moment du premier enfant, il signe
en réalité bien plus avec la providence
(le bassin d’emploi) et la communauté
(les opportunités de rencontre, culturelles, sociales) de la métropole lyonnaise – dans laquelle il va s’installer, s’enraciner, construire sa vie sociale et bénéficier d’une multitude d’opportunités d’emplois à l’avenir — qu’avec la providence
et la communauté
de l’entreprise qui lui offrira son 1er job lyonnais — pour 2 ans ou 3 ans, sans doute.
Selon une étude de l’Ifop3, 71% des personnes ayant de 18 à 29 ans ont déjà vécu plusieurs changements d’emploi, contre 53% pour les plus de 40 ans
. Pôle Emploi estime4 par ailleurs que les jeunes actifs d’aujourd’hui changeront en moyenne 13 à 15 fois d’emploi au cours de leur vie
.
Une vraie révolution dans un pays qui a connu des époques où une part significative des employés conservait son emploi à vie5, au sein de grandes institutions publiques ou privées6, qui n’a pas encore trouvé sa traduction territoriale. A nous, urbanistes, de faire en sorte que cette nouvelle providence, offerte par les territoires rassemblant les options et tout ce dont les ménages ont besoin pour vivre, soit demain accessible au plus grand nombre et non seulement aux plus privilégiés d’entre nous.
Notes :
l’entreprise communautaire, Le Monde, 10 novembre 2024. L’article est également disponible ici.
L’emploi à vie est mort, vive l’employabilité !, 2014.
La part des salariés qui ont plus de 10 ans d’ancienneté dans leur emploi est de 44% en France contre 32% au Danemark et au Royaume-Uni, 26% aux États-Unis. (George Asseraf et Yves Chassard, Promouvoir la mobilité sur le marché du travail)