Le “trou” floral : un effet rebond du changement climatique

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Publié le 11/06/25
Mis à jour le 11/06/25
8min de lecture
Le “trou” floral : un effet rebond du changement climatique
natureloving | flickr.com

Lagerstroemia indica, cultivar ‘Purple Magic’

  • 1. Le beau lila des Indes (Lagerstroemia indica)
  • 2. L’increvable buddleia de Weyer (Buddleja x weyeriana Weyer)
  • 3. Le robuste paliure (Paliurus spina-christi)
  • 4. L’extravagant savonnier élégant (Koelreuteria bipinnata)

L’expression n’a rien à voir avec un genre de  trou normand  à base d’un élixir de fleurettes façon Chartreuse ou Génépi ! Elle correspond à un manque de floraisons dans nos paysages — à certaines périodes de l’année — et est employée par les apiculteurs qui en constatent les effets sur la miellée.

Elle prend tout son sens en cette année 2025 marquée par un hiver doux et un démarrage printanier précoce sur quasiment tout le territoire.

Au bilan, des floraisons riches bien avancées : le tilleul Le tilleul oublié Le tilleul oublié a déjà fleuri dans le Sud, et pointe en Bretagne, idem pour les ronces. Mi-juin, les grandes floraisons seront partout terminées laissant place à un long été à rares fleurs.

C’est bien connu, le réchauffement climatique a avancé les vendanges de 3 semaines. C’est idem pour les floraisons des arbres mellifères comme le relève un apiculteur du Vexin1 qui tient à jour un journal phénologique2 depuis 10 ans.

Les chercheurs anglais le confirment3 : si l’avancée diffère selon les végétaux, (forte pour les herbes et les arbres tardifs, moindre pour les précoces) elle est de l’ordre du mois4 pour les principales floraisons. Leurs travaux relèvent également des variations liées aux variations climatiques géographiques (les floraisons sont ainsi en moyenne plus précoces de 6 jours dans le sud que dans le nord du Royaume-Uni) et locales (dans les zones urbaines, les premières floraisons sont plus précoces de 5 jours que dans les zones rurales). Restent quasi inamovibles les floraisons guidées par le photopériodisme5 des jours courts comme celle du lierre qui, du coup en devient stratégique, comme dernière ressource massive avant l’hiver.

La mécanique à l’œuvre est implacable : les floraisons de quantité de végétaux sont dirigées par les sommes de températures reçues par les bourgeons floraux (au-delà d’un seuil propre à chacun) : plus ça chauffe, plus la somme nécessaire pour fleurir est vite atteinte. On entrevoit la situation à +3°C en 2100 !

La traduction en est simple : si 75% de nos floraisons, qui avaient lieu sur 5 mois , se déroulent maintenant sur 4 mois, c’est bien 15% de ressources en moins pour la biodiversité Nature en ville : les jardiniers urbains au secours de la biodiversité ? Nature en ville : les jardiniers urbains au secours de la biodiversité ?  !

Ceux qui dépendent des pollens La fleur et le ver de terre La fleur et le ver de terre et nectars sont les premiers concernés, ceux qui comptent sur les fruits Les haies de nos jardins participent à la sélection naturelle des végétaux adaptés au climat de demain Les haies de nos jardins participent à la sélection naturelle des végétaux adaptés au climat de demain ensuite !

Le trou floral est bien  l’éléphant dans la pièce  que les scénarios de transition climatique et les plans d’adaptation ne ciblent pas.

Partout, les flores locales souffrent en fleurissant plus tôt, et moins longtemps : elles ne suffiront pas seules à rabibocher les ressources dans nos paysages qui nourrissent moins et mal Biodiversité : vers un nutri-score de nos plantations ? Biodiversité : vers un nutri-score de nos plantations ? les pollinisateurs et autres mangeurs de fleurs.

Il nous faut maintenant planter une palette enrichie : arbres Arbres et nutri-score urbain Arbres et nutri-score urbain et arbustes en priorité, pour des fleurs quand il n’y en a — et n’en aura — plus : de juin à octobre, de la fin des floraisons des tilleuls ou châtaigniers à l’arrivée de celle du lierre Le lierre : protecteur ou destructeur des murs ? Le lierre : protecteur ou destructeur des murs ? .

Pour exemple, voici quatre champions qui gagneraient à enrichir nos plantations pour combler le trou floral.

1. Le beau lila des Indes (Lagerstroemia indica)

Originaire d’Asie (Chine, Inde et Asie du Sud-Est), il assure 100 jours de pollen du mois de juillet à septembre. Ce petit arbre (ou un arbuste à port arborescent, selon sa conduite culturale) de la famille des Lythraceae peut atteindre entre 3 et 8 mètres de haut. Il préfère les sols bien drainés, neutres ou légèrement acides, et se plaît en exposition ensoleillée. Il résiste bien aux conditions urbaines et à la sécheresse.


Chiring chandan | commons.wikimedia.org
Floraison de lilas des Indes : ses panicules terminales peuvent être de couleur rose, rouge, violette ou blanche selon les cultivars.


Uliako Auzo Elkartea | commons.wikimedia.org
L’écorce du lilas des Indes est lisse. Elle s’exfolie avec l’âge et offre en elle-même un intérêt ornemental avec ses teintes cuivrées.


bergerac.fr
Exemple d’utilisation du lilas des Indes (conduit sur tiges) en alignement dans l’espace public, place Gambetta à Bergerac.

2. L’increvable buddleia de Weyer (Buddleja x weyeriana Weyer)

Cet arbuste ornemental de la famille des Scrophulariaceae offre 100 jours de nectar de juin à août. C’est un hybride issu du croisement entre deux autres espèces de buddleia (Buddleja davidii et Buddleja globosa), développé pour ses qualités esthétiques et son attrait pour les pollinisateurs. Il peut atteindre entre 3 et 4 mètres de haut et autant d’envergure et demande une taille franche en fin d’hiver pour encourager une floraison abondante.


Petr Beránek | flickr.com
La floraison du buddleia de Weyer s’organise en panicules sphériques, composées de petites fleurs tubulaires, souvent de couleur jaune orangé, parfois rose ou crème selon les cultivars (en photo, le cultivar ‘Sungold’).


John Hagstrom | flickr.com
Le feuillage buddleia de Weyer , avec ses feuilles simples lancéolées, de 10 à 20 cm de long, est d’un vert grisâtre, légèrement duveteux. Elles peuvent rester en hiver dans les climats doux.


David J. Stang | commons.wikimedia.org
Port arbustif d’un jeune buddleia de Weyer sous couvert d’un arbre : s’il préfère une situation ensoleillée, il est très plastique dans ses exigences et s’adapte à toutes les situations de culture du moment que le sol est bien drainé.

3. Le robuste paliure (Paliurus spina-christi)

Originaire du bassin méditéranéen, du Moyen-Orient et de l’Asie occidentale, cet arbuste de la famille des Rhamnaceae offre une floraison estivale ( juin et juillet), même dans les environnements les plus secs. Il développe un système racinaire profond et étendu, typique des plantes xérophiles6, pour trouver sa ressource en eau. D’une hauteur comprise entre 3 et 6 mètres il est caractérisé par son écorce portant des épines robustes et acérées (son nom latin lui vient de la légende selon laquelle la couronne d’épines du Christ aurait été faite avec les rameaux du paliure) qui en fait un candidat idéal pour les haies défensives.


Krzysztof Ziarnek, Kenraiz | commons.wikimedia.org


Krzysztof Ziarnek, Kenraiz | commons.wikimedia.org
Les fleurs du paliure sont discrètes : petites, jaune verdâtre, elles sont organisée en en cymes axillaires. Elles sont très nectarifères et attirent beaucoup d’insectes pollinisateurs (ici un cétoine doré Cetonia aurata sur la seconde photo).


esta_ahi | flickr.com
Les rameaux du paliure et ses épines acérées : au Moyen-Orient et dans le bassin méditérannéen ses branches épineuses sont utilisées pour protéger le bétail contre les prédateurs.


Ondřej Michálek | flickr.com
Port arborescent spontané d’un paliure en milieu naturel (Bogoslovets, Macédoine du Nord)

4. L’extravagant savonnier élégant (Koelreuteria bipinnata)

Arbre spectaculaire à la floraison généreuse d’août à septembre, le savonnier élégant peut atteindre 6 à 12 mètres de hauteur avec un houppier étalé, de forme ronde et régulière. Il s’adapte à tous les sols, même pauvres, du moment qu’ils sont bien drainés et résiste bien au sec et aux pollutions urbaines. C’est un arbre qui présente un intérêt en toute saison avec son feuillage composé, sa floraison spectaculaire en plein coeur de l’été, sa fructification étonnante avec sa multitude de petites  lanternes  colorées de rouge, ses couleurs automnales éclatantes et son port régulier et graphique en hiver.


Maria /Amethist | flickr.com
La floraison du savonnier élégant est composée d’une myriade de petite fleurs jaunes, réunies en grandes panicules terminales de 30 à 50 cm. La floraison est très spectaculaire et ses fleurs sont très attractives pour les abeilles et les autres pollinisateurs.


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Fructification en capsules gonflées, en forme de lanternes, de 4 à 6 cm, passant du vert au rose-rouge puis au brun à maturité. Ces capsules, contenant des graines noires, persistent sur l’arbre en hiver et sont très décoratives.


Maggie | flickr.com
Le feuillage du savonnier élégant : des feuilles bipennées (doublement divisées), de 30 à 60 cm de long, composées de nombreuses folioles ovales à marge plus ou moins dentée selon le type, vert moyen. Il tourne au jaune vif en automne.


Steve Attwood | flickr.com
Port rond et régulier d’un sujet âgé de savonnier élégant en pleine floraison dans un parc urbain.

Notes :

  1. Voir le calendrier des floraisons dans les Yvelines (Vexin), tenu depuis 2015 par l’apiculteur Alexandre VALGRES installé à Brueil-en-Vexin dans le Parc Naturel Régional du Vexin Français.
  2. La phénologie est l’étude des événements biologiques périodiques des organismes vivants, comme la floraison, la feuillaison, la fructification ou la migration chez les animaux, en relation avec les facteurs environnementaux, notamment le climat et les saisons. Elle observe et enregistre les dates et les conditions de ces phénomènes pour comprendre leur variation dans le temps et leur lien avec les changements environnementaux, comme la température.
  3. Büntgen, Ulf, Alma Piermattei, Paul J. Krusic, Jan Esper, Tim Sparks, and Alan Crivellaro.  Plants in the UK Flower a Month Earlier under Recent Warming.  Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences 289, no. 1968 (February 2022). doi: 10.1098/rspb.2021.2456
  4. L’étude se base sur les observations de 419 354 dates de première floraison de 406 espèces végétales au Royaume-Uni entre 1753 et 2019 et démontrent un avancement moyen de près d’un mois (26 jours) après 1986 par rapport à la période précédente (p
  5. Le photopériodisme est la réponse physiologique des organismes, notamment des plantes, à la durée relative du jour et de la nuit (photopériode). Cette réponse influence des processus comme la floraison, la germination ou la dormance. Par exemple, certaines plantes, dites  de jour long , fleurissent quand la durée du jour dépasse un seuil, tandis que les plantes  de jour court  fleurissent quand la nuit est plus longue.
  6. Une plante xérophile (ou xérophyte) est une espèce végétale adaptée à des environnements arides ou secs, où l’eau est rare ou difficilement accessible. Ces plantes ont développé des caractéristiques physiologiques et morphologiques spécifiques pour survivre à la sécheresse, comme des feuilles réduites, des cuticules épaisses, des racines profondes, des tissus de stockage d’eau (comme les cactus et plantes grasses), ou une capacité à limiter leur transpiration.
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