Une utopie peut en cacher une autre

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3 min de lecture  |  Publié le 13/01/2022 sur | Mis à jour le 23/05/23

Philippe Bihouix : « la vraie ville « smart », c’est celle qui repose avant tout sur l’intelligence de ses habitants »

Dans une longue interview accordée au média GoodPlanet Mag, l’ingénieur Philippe Bihouix déploie sa vision de la ville. Il revient sur la nécessité d’interdire l’artificialisation des sols, sur la densification, sur les smart cities et sur ce à quoi pourrait ressembler la ville de demain.

Une ville dense peut-elle être “écolo” ?

Voici quelques extraits qui explicitent sa pensée :

  • « Nous avons voulu montrer que le Zéro Artificialisation Nette est un objectif louable, mais qui sera très difficile à mettre en œuvre et à atteindre si on n’agit pas sur d’autres paramètres que la simple occupation au sol du bâti et des infrastructures. »
  • « La population augmente de 150 000 à 200 000 personnes par an, soit une croissance assez faible d’environ 0,3 %. Or, il faut savoir que pour un habitant de plus, on met en chantier deux logements, soit 350 000 logements par an. »
  • « Les métropoles deviennent des repoussoirs en grossissant trop et trop vite. »
  • « Densifier mobilise beaucoup de ressources pour construire plus haut, fonder en profondeur, adapter les infrastructures et les réseaux autour »
  • « La ville dense n’est donc pas si écolo que ça. »

Et de conclure sur une critique acerbe de la smart city, jugée par Philippe Bihouix comme « un peu trop théorique, difficilement déployable ». Mais que se cache-t-il derrière un tel réquisitoire ?

Une position anti-métropole ou anti-sociale ?

La smart city est une utopie à laquelle je n’ai jamais adhéré. Maintenant qu’elle est passée de mode, certains s’en serve encore, comme repoussoir, et à force d’amalgame, pour en défendre une autre… complètement inverse.

  1. La densification des villes n’implique pas nécessairement la hauteur, comme l’affirme Philippe Bihouix ;

    C’est un amalgame (l’exemple de Tokyo, plus grande métropole de la planète … constituée essentiellement de maisons) intentionnel, au milieu des autres.
  2. Affirmer que c’est l’intelligence des habitants qui sera la source d’une ville « vraiment smart » et, en même temps, affirmer que c’est la métropolisation qui fait monter les prix de l’immobilier … est contradictoire.

    Les prix hauts de certaines métropoles, comme de certains territoires littoraux, sont en réalité le reflet d’arbitrages « intelligents » d’acteurs réels, d’habitants et d’organisations qui sont prêts à payer cher le service qui est rendu par ces territoires : non seulement des m2 habitables, mais également un accès aisé à tout un tas de choses que les habitants valorisent, intelligemment, justement.

    En construisant moins, là où les prix sont hauts, ce que préconise l’auteur, on rend plus rare ce que les habitants plébiscitent dans les faits. Et plus rare ce qui permet, aujourd’hui en 2022, de vivre en se passant de sa voiture.

    On ne peut pas, d’un côté louer l’intelligence habitante, et de l’autre déjuger les acteurs et leurs arbitrages …
  3. Affirmer, pour choquer les esprits, hors de tout contexte géographique, et sociologique, que pour un habitant supplémentaire, on met en chantier deux logements en France… tandis qu’on réside et travaille soi-même dans les lieux les plus recherchés du territoire, là où les logements manquent : c’est en réalité refuser aux autres ce qu’on a soi-même décidé pour soi-même, en vertu d’une position économique confortable…

    Personnellement je ne comprends pas qu’on puisse tenir une telle position : elle ressemble à tous les discours anti-accueil, à l’intérieur même du pays.

    Ceux qui ont la chance d’habiter les territoires les plus recherchés se mettent à nous expliquer qu’il faut « accueillir moins pour accueillir mieux » … ils nous expliquent en somme que ceux qui « veulent venir » feraient mieux de rester « là où ils sont ».

    On préfère ainsi planter des arbres pour améliorer le cadre de vie de « ceux qui y sont déjà » plutôt que de faire une place à ceux qui n’ont pas la chance, et surtout les moyens économiques, d’y être, comme si les deux étaient contradictoires.

    C’est non seulement anti-social, mais également anti-écologique, puisque cela a pour effet de repousser toujours plus loin, dans des territoires où l’on ne peut pas se déplacer en modes doux, les habitants aux revenus modestes.