Servitude de plantation : peut-on contraindre l’acquéreur d’un terrain issus de division à conserver un arbre ?
Les arbres améliorent notre cadre de vie : des servitudes peuvent-elle être utile pour assurer leur conservation ?
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Je suis propriétaire d’une maison avec un grand jardin et je souhaite diviser ce dernier afin d’en vendre une partie comme terrain à bâtir. Petit soucis : mes réseaux sont enterrés en dessous de la partie de jardin que je souhaite détacher… Que faire ? Suis-je obligé de les déplacer pour vendre ? Ou bien existe-t-il une solution permettant de les conserver en l’état ? Quelles sont alors les conséquences pour l’acquéreur du terrain ?
Dans certains cas, le déplacement des réseaux (appelé dévoiement) peut être la meilleure solution, notamment lorsque la localisation des réseaux contraint trop fortement les possibilités d’implanter une nouvelle construction. Toutefois, le dévoiement peut coûter cher et ainsi affecter la rentabilité du projet de division parcellaire.
Il arrive aussi que les réseaux ne gênent pas le potentiel de constructibilité du terrain. Dans ce cas, il est envisageable de simplement mettre en place une servitude de tréfonds. Celle-ci permet, dans le cadre d’une convention entre parties consentantes, le passage sous terrain de canalisations. Dans le cadre d’une division il est également possible, sous certaines conditions, que la servitude soit établie par destination du père de famille.
Il faut savoir qu’une servitude ne peut être conclue qu’entre deux propriétés immobilières appartenant à des propriétaires différents. Si les lots divisés ne connaissent pas de mutation (vente, démembrement de propriété), il ne sera donc pas possible de créer une servitude. La servitude devra en revanche être créée au moment de la première mutation, entre le propriétaire du fonds dominant (à qui bénéficie la servitude) et le propriétaire du fonds servant, qui supporte la présence de réseaux (alors futur acquéreur).
Si le propriétaire initial apporte ou vend le terrain détaché à une SCI dont il est associé, il s’agit d’une mutation, elle fera l’objet d’un acte notarié : la maison sera propriété du propriétaire initial, alors que le terrain sera propriété de la SCI, personne morale. Il sera donc possible de conclure une servitude.
Une servitude par destination du père de famille résulte de la configuration d’une division. L’article 692 du Code civil prévoit que la destination du père de famille vaut titre à l’égard des servitudes continues et apparentes. C’est à dire que pour ces dernières, l’acte de séparation des fonds (acte de mutation) permet de constater l’existence de la servitude.
Toutefois, concernant le passage de réseaux, seules les canalisation d’écoulement des eaux pluviales sont continues. En effet, les canalisations d’écoulement des eaux ménagères font l’objet de servitudes discontinues, c’est à dire qu’elles nécessitent une action de l’homme pour exister.
le caractère apparent d’une servitude de réseaux peut, par exemple, être matérialisé par un regard enterré. L’élément qui marque le caractère apparent de la servitude peut, soit être situé sur le fonds servant, soit être situé sur le fonds dominant à condition qu’il soit visible depuis le fonds servant.
Qu’en est-il des servitudes discontinues et apparentes ?
En cas de servitude discontinue et apparente, comme le passage d’une canalisation d’eaux ménagères avec un regard enterré apparent, la jurisprudence prévoit que l’acquisition par destination du père de famille n’est envisageable uniquement si l’acte de séparation des fonds ne contient aucune mention contraire à l’exercice de la servitude.
La servitude par destination du père de famille s’oppose aux tiers. Il n’est pas obligatoire d’officialiser par acte authentique. En revanche, il est fortement conseillé de le faire : cela permettra de définir les contours des conditions d’exercice de la servitude et ainsi de se prémunir de mauvaises surprises ou de litiges à l’avenir.
Notamment, mettre par écrit publié au service de la publicité foncière une servitude acquise par destination du père de famille permet de clarifier :
Si le caractère apparent de la servitude n’est pas respecté (par exemple, en cas d’absence de regard enterré apparent), la servitude par destination du père de famille n’est pas envisageable. Ainsi, il faudra conclure une servitude conventionnelle de tréfonds avec l’acquéreur du terrain détaché.
Il en est de même si l’acte de séparation s’oppose à l’exercice de la servitude. Toutefois, dans ce cas il paraît compliqué d’obtenir une servitude conventionnelle qui résulterait du consentement du propriétaire du fonds servant.
Concernant la servitude conventionnelle de tréfonds, celle-ci doit impérativement être conclue dans le cadre d’un acte authentique réalisé par un notaire. De la même manière que lorsqu’une servitude par destination du père de famille bénéficie d’un acte notarié, le contenu de la servitude devra permettre de définir les modalités d’exercice de la servitude.
Une servitude de tréfonds engendre une interdiction de planter et de construire sur son assiette ; en effet, les canalisations doivent rester accessibles (notamment afin de permettre l’intervention en cas de défaillance). Il est toutefois possible pour le propriétaire du fonds servant de poser un revêtement qui permette la conservation de cet accès (une pelouse, un parterre de graviers…).
En cas de dommages causés par des plantations, la charge de réparer les canalisations endommagées revient au propriétaire de ces plantations (le propriétaire du fonds servant). En effet, chacun a la responsabilité de la chose dont il a la garde (article 1242 du Code civil).
Toutefois, il est possible de prévoir une répartition différente des charges dans le contenu de la servitude.
Il est possible d’instaurer un droit de visite des réseaux enterrés. Les modalités d’exercice de cette servitude sont à préciser dans la convention de servitude. Il est notamment important de préciser la fréquence de visite ou encore les personnes autorisées à visiter.
Attention, le droit de visite ne vaut pas servitude de passage.
Lorsqu’une parcelle est enclavée, le passage est dû par le fonds servant, mais la servitude de tréfonds permettant le raccordement l’est aussi (CA Paris 14 janvier 1998, JCP N 1999 p. 1279).
En revanche, dans le cas d’une servitude de passage conventionnelle, il conviendra de se référer à ce qu’exprime le titre afin de savoir si la servitude est également valable pour le tréfonds.
Un terrain grevé d’une servitude de tréfonds, selon l’emprise et la position de cette dernière, peut voir sa valeur décroitre. En effet, le fait de devoir laisser un accès aux réseaux peut lourdement contraindre la constructibilité du terrain, en particulier si les réseaux sont situés en plein cœur du terrain, là où pourrait s’implanter la construction nouvelle. C’est notamment lorsque la perte de droits à construire est trop importante au regard de la constructibilité globale du terrain qu’il sera judicieux d’opter pour un dévoiement des réseaux existants. C’est pourquoi il est coutume de positionner les réseaux le long des limites séparatives, afin de générer le moins de contraintes possibles au fur et à mesure du temps.
De cette manière, il est important de concevoir le projet de division en ayant à l’esprit le positionnement de la servitude de tréfonds. Le propriétaire du fonds servant doit ainsi prendre en compte la servitude tout au long de son projet, afin d’assurer l’accessibilité des réseaux de son voisin.
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