Dans cet article je m’attaque à l’une des notions théoriques de l’urbanisme organique les plus difficiles à saisir : l’évolution incrémentale du tissu urbain
Qu’est-ce qu’un tissu urbain à fine granularité ?
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1. Une forme de rationalité fondée sur l’itération
Un processus incrémental repose sur une logique d’ajustement progressif, fondée sur le dernier état connu du système.
Chaque étape n’exécute pas un plan, elle teste une option — dans les conditions présentes, telles qu’elles résultent des itérations précédentes.
Ainsi, chaque transformation n’est pas une finalité, mais devient le point de départ de la suivante. La trajectoire globale n’est pas prédéterminée, elle émerge d’une série de micro-ajustements successifs
Ce qui se passe au Vietnam mérite d’être étudié dans toutes les écoles d’urbanisme
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Ce type d’évolution relève de ce que l’on appelle, en théorie des systèmes complexes, une exploration adaptative.
Elle est proche des logiques d’optimisation locale en mathématiques, des algorithmes évolutionnaires en informatique, ou encore des modèles apprenants
en ingénierie des systèmes.
2. Une fabrique urbaine sans image finale
Transposé à l’urbain, ce cadre donne lieu à une méthode de production spatiale fondée non sur la projection (un dessin, un plan, un projet, une image) mais sur la transformation étape par étape du tissu urbain.
Il ne s’agit plus de concevoir
ou d’ imaginer
un quartier, un secteur, mais de créer les conditions dans lesquelles les formes urbaines et leurs propriétés peuvent émerger, évoluer, s’ajuster.
L’espace est fabriqué par une série d’interventions ponctuelles et successives — extensions, divisions, surélévations, densification
Fine granularité, optionalité et densification
, changements d’usage — dont la cohérence ne vient pas d’un dessin préalable, mais de leurs interactions et optimisations successives.
3. Trois conditions structurelles pour rendre l’incrémental opératoire
Pour que cette logique fonctionne, trois conditions doivent être réunies :
A/ Une granularité suffisamment fine
Sans parcelles de petite taille, sans unités foncières autonomes, sans capacité de décision autonome, aucune transformation locale n’est possible. La forme urbaine doit être composée d’entités de petite taille capables de muter indépendamment.
B/ Une capacité d’action distribuée
L’incrémentalité suppose que le droit de transformer la ville
Et si la clé de l’adaptabilité d’une ville était… le village ?
soit partagé entre une diversité d’acteurs. Cela implique une part significative d’autopromotion, c’est-à-dire de projets portés par les habitants eux-mêmes, ainsi qu’une ingénierie d’accompagnement éventuelle.
C/ Un système réglementaire dual
Il ne s’agit pas d’assouplir l’ensemble des règles mais de distinguer les règles fondamentales (capacité, sécurité, salubrité) de celles qui doivent rester souples pour permettre les évolutions (volumétrie, organisation interne, affectation). C’est en particulier cette distinction qui rend possible la densification douce
La densification douce : mode d’emploi
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En résumé : l’incrémental ne se dessine pas, il s’adapte.