Notre peur de l’IA repose en partie sur un malentendu : nous comparons l’IA et ses prouesses à celles d’un individu isolé.
Pourtant, les plus grands accomplissements humains ne sont pas nés d’individus, ni même d’équipes, mais d’apprentissages collectifs et distribués, étalés sur le temps long.
René Char le résume admirablement :
L’homme est capable de faire ce qu’il est incapable d’imaginer.
Parce que l’homme seul, et son intelligence, ne sont pas la mesure de ce qu’une société peut produire.
Or ce qui fait progresser l’IA aujourd’hui, cela fait 1000 ans que nous l’apprenons à travers nos villes l’apprennent : un apprentissage supervisé (par les savoir-faire), non supervisé (par les usages) et par renforcement (par les performances réelles).
1. Les progrès récents de l’IA nous rappellent comment les villes ont toujours appris
Les IA progressent parce qu’elles accumulent de l’expérience à travers des patterns qu’elles testent, corrigent, stabilisent, réajustent — exactement comme le font les systèmes d’apprentissage dits énactifs ou par renforcement.
Nous redécouvrons donc avec l’IA, en miroir, ce que nos villes on toujours été : un système d’apprentissage incrémental et massif
La magie de l’apprentissage distribué : comment l’art de bâtir les villes devient – aussi – une science
, opéré par des milliers d’habitants et de bâtisseurs partageant, transmettant et augmentant de façon continue une base de modèles
et de patterns
.
2. L’exemple du patio andalou : un modèle multiséculaire
Les recherches de Carmen Galán-Marín et al. (Université de Séville, 2020–2023)1 montrent que les patios andalous abaissent la température intérieure
Cours intérieures : une technique traditionnelle de climatisation passive des villes… qui révèle les limites de nos modèles de simulation du climat urbain
de 6,8 à 14,3 °C lors des épisodes de chaleur extrême.
Un dispositif passif d’une efficacité exceptionnelle — et pourtant toujours très mal prédit par nos modèles numériques.
Le patio n’a pas été dessiné d’après un calcul.
Il n’a pas été inventé par un concepteur à l’occasion d’un projet.
Il a été (littéralement) découvert bien avant que la microclimatologie n’apparaisse.
Il est le fruit d’un patient et long processus de R&D distribuée
Les villes anciennes sont-elles vraiment le résultat d’un urbanisme « low tech » ?
, fondé sur des milliers de tests in situ :
- observer ce qui fonctionne,
- ajuster ce qui échoue,
- transmettre ce qui résiste au temps.
3. L’IA (incarnée dans la ville) plus forte que l’IA (numérique)
L’urbanisme, parce qu’il est incrémental et récursif, fonctionne comme un gigantesque système de machine learning : chaque construction est une itération, chaque modification produit un retour d’expérience, chaque transformation engendre un test de performance dans le monde réel.
Ce que l’IA tente aujourd’hui de reproduire dans le monde numérique, nos villes le déploient dans le monde réel depuis mille ans : un apprentissage désynchronisé, distribué, cumulatif.
Un apprentissage que nous avons pourtant décidé d’interrompre.
Quand ?
Au moment où nous avons décidé de livrer les clés de nos villes au seul génie de quelques individus éclairés.
Des individus intelligents, mais isolés…
Notes :
- Galán-Marín, C., Rivera-Gómez, C., Lizana, J., Roa-Fernández, J., Diz-Mellado, E., & López-Cabeza, V. (2022). Enhancing urban microclimates towards climate-resilient cities: The potential of courtyards. In W. Leal Filho & E. Manolas (Eds.), Climate change in the Mediterranean and Middle Eastern region(Climate Change Management). Springer. https://doi.org/10.1007/978-3-030-78566-6_20













