Les jardins urbains peuvent-ils retrouver leur biodiversité perdue ? Ce que les fourmis nous apprennent sur l’évolution des jardins en ville

Recherches
Publié le 13/02/25
Mis à jour le 14/02/25
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Les jardins urbains peuvent-ils retrouver leur biodiversité perdue ?  Ce que les fourmis nous apprennent sur l’évolution des jardins en ville
Athirashijinair | commons.wikimedia.org

L’extension urbaine est une source majeure de pression sur la biodiversité. C’est la raison pour laquelle la stratégie identifiée comme étant prioritaire pour arrêter l’érosion de la biodiversité — à l’échelle France comme à l’échelle mondiale — est celle du land sparing1 : épargner les milieux naturels de toute nouvelle forme d’urbanisation, en poursuivant le développement des villes sur elles-mêmes.
Parallèlement, au sein des espaces déjà urbanisés, la stratégie préconisée par les instances scientifiques internationales2 nous invite à densifier progressivement nos villes tout en les végétalisant Densifier et jardiner Densifier et jardiner . Deux objectifs qui peuvent être conduits simultanément Danemark : augmenter simultanément la densité urbaine et la part du végétal en ville Danemark : augmenter simultanément la densité urbaine et la part du végétal en ville , mais qui questionnent le devenir de nos jardins et espaces verts actuels et notre capacité à comprendre le fonctionnement de nos villes comme écosystèmes.

Les jardins en ville Jardins en ville et biodiversité : tout n’est pas qu’une question de taille Jardins en ville et biodiversité : tout n’est pas qu’une question de taille , souvent perçus — parfois à tort — comme des havres de paix pour la faune et la flore, subissent des perturbations importantes lors de leur réaménagement, lesquelles affectent la biodiversité qu’ils accueillent, notamment les communautés de fourmis. Les fourmis sont considérées comme d’excellents bioindicateurs3 qui permettent d’évaluer l’état des écosystèmes et les impacts des perturbations environnementales, d’une part parce qu’elles ont des temps de génération courts et d’autre part, parce que leurs traits reflètent les caractéristiques et la santé des habitats4.

Une étude menée sur dix ans dans quatre jardins du campus de Rabanales de l’Université de Cordoue en Andalousie (Espagne)5 apporte des réponses éclairantes à une question centrale : les jardins urbains peuvent-ils retrouver une richesse en biodiversité comparable à celle des habitats naturels environnants après leur création ?

L’étude révèle que les jardins urbains, bien qu’artificiels, peuvent progressivement retrouver une biodiversité riche, mais que cela prend du temps. Les chercheurs ont comparé quatre jardins du campus d’âges différents, le plus ancien établi en 1956 à son ouverture, et, le plus récent, aménagé en 2005, à des zones naturelles et semi-naturelles environnantes. Les résultats montrent que les jardins les plus anciens abritent des communautés de fourmis davantage similaires à celles présentes dans les habitats naturels que celles qui se trouvent dans les jardins aménagés plus récemment. Le temps ainsi que la proximité avec des habitats naturels sont les deux facteurs clés identifiés par les chercheurs pour la recolonisation des jardins par les espèces locales.

Cette recherche vient par ailleurs confirmer un fait déjà identifié par de nombreux travaux scientifiques : les perturbations du milieu liées à la création et au réaménagement de jardins favorisent les espèces exotiques… du moins dans un premier temps. Le jardin le plus récent du panel étudié (Garden 1) montre une abondance d’espèces de fourmis exotiques (telles que Cardiocondyla mauritanica et Strumigenys membranifera) qui profitent des perturbations du milieu pour s’établir. Toutefois le pas de temps de l’étude — 10 ans — permet d’apprécier les dynamiques et corrige l’idée que l’on peut se faire des écosystèmes dans les jardins urbains comme dominés par des espèces exotiques au dépend de la biodiversité locale. En effet, la présence des espèces exotiques diminue avec le temps. Si les perturbations initiales liées à l’aménagement créent une fenêtre d’opportunité pour les espèces exotiques, jusqu’à être perçues comme des espèces invasives, leur population décroît progressivement au profit d’autres espèces locales au fil du temps.

La dynamique des populations de fourmis dans les jardins urbains suit ainsi les principes de la théorie de la biogéographie insulaire6. Cette théorie, formulée par MacArthur & Wilson en 1967, postule que la biodiversité résulte d’un équilibre entre les extinctions locales et les arrivées d’espèces provenant des habitats environnants. Dans les jardins urbains, analysés sous l’angle des populations de fourmis comme bioindicateurs, même si l’on observe une perte initiale de biodiversité après la création des aménagements, on observe une recolonisation progressive dans le temps qui permet aux jardins matures d’atteindre un niveau de biodiversité semblable à celle des zones naturelles voisines.

Les jardins urbains peuvent ainsi servir de refuge pour les espèces locales de fourmis, comme Lasius grandis, qui voient leurs populations augmenter au fil du temps dans les jardins. Les chercheurs ont constaté que la stabilité des conditions de milieu offertes par les jardins plus anciens est propice à l’accueil d’espèces locales et ce même si leur couvert végétal est assez pauvre et leurs modalités d’entretien très classiques (avec une grande part des surfaces dédiées à des pelouses Les espaces verts surdimensionnés sont-ils contre-productifs pour la formation d’îlots de fraîcheur urbains ? Les espaces verts surdimensionnés sont-ils contre-productifs pour la formation d’îlots de fraîcheur urbains ? ouvertes gérées de façon intensive). Les chercheurs précisent toutefois que la diversité de microhabitats dans les jardins (présence de plantes variées, plusieurs strates de végétation, présence de points d’eau et de zones ombragées) permet l’accueil d’une plus grande biodiversité : dans les situations les plus propice des jardins du campus de Rabanales de l’Université de Cordoue, ils ont pu identifier une trentaine d’espèces de fourmis, soit l’équivalent de 10% de la diversité de la myrmécofaune de la péninsule Ibérique.

La stabilité des milieux est une composante clé pour l’installation et la pérennisation des espèces natives : les jardins souffrant de stress hydrique, car non arrosés Peindre, arroser ou partager : comment préserver la ressource en eau et limiter les impacts environnementaux des jardins privés en milieux urbain ? Peindre, arroser ou partager : comment préserver la ressource en eau et limiter les impacts environnementaux des jardins privés en milieux urbain ? , même lorsqu’ils sont anciens (le Garden 2 du panel étudié), restent vulnérables aux espèces opportunistes et aux fluctuations de populations. L’âge du jardin est une donnée importante, mais l’action de maintenance du jardinier Nature en ville : les jardiniers urbains au secours de la biodiversité ? Nature en ville : les jardiniers urbains au secours de la biodiversité ? l’est donc tout autant.

Enfin, cette recherche apporte un enseignement précieux sur la spécificité des écosystèmes urbains et nous invite à ne pas les considérer uniquement à l’aune des connaissances que nous avons des milieux naturels. Les écosystèmes urbains ont leur fonctionnement propre. Par exemple, Messor barbarus, une espèce traditionnellement considérée comme indicatrice de maturité dans les habitats naturels, a été associée dans l’étude à des perturbations dans les jardins jeunes. À l’inverse, Lasius grandis et Myrmica aloba, souvent vues comme des signes de perturbation dans les milieux naturels, se sont révélées être des indicateurs de maturité dans ces jardins.

Il est donc essentiel de mener un travail de modélisation systémique dans la perspective d’un urbanisme organique7 afin de nous donner les capacités de comprendre les dynamiques naturelles et les systèmes de bioindication en ville.


Notes :

  1. Hanss, T. (2024, January 19). Épargner et partager : les deux clés qui peuvent faire de la densification douce un outil au service du renforcement de la biodiversité. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/epargner-et-partager-les-deux-cles-qui-peuvent-faire-de-la-densification-douce-un-outil-au-service-du-renforcement-de-la-biodiversite
  2. Notamment le cas du GIEC dans son 6e rapport d’évaluation : Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), 6e rapport d’évaluation (AR6), chapitre 8 (Urban systems and other settlement). Voir, en particulier, les sections 8.4.2.1 (Urban Form), 8.4.4 (Urban Green and Blue Infrastructure) et 8.6.1 (Mitigation Opportunities for Established Cities).
  3. Indicateur constitué par une espèce vivante ou par un groupe d’espèces dont la présence ou l’état renseigne sur certaines caractéristiques écologiques d’un écosystème.
  4. Les fourmis possèdent des attributs ou des caractéristiques biologiques (leur comportement, leur physiologie, leur structure sociale) qui sont influencés par et adaptés aux conditions spécifiques de l’environnement où elles vivent.
    Leur morphologie, leurs comportements ou leurs interactions vont ainsi varier en fonction des particularités de leur habitat, comme la disponibilité des ressources, le type de sol, la température ou encore le degré de perturbation de l’environnement. Cela les rend particulièrement utiles pour détecter et interpréter les changements dans les écosystèmes.
  5. Trigos-Peral, Gema, and Joaquín L. Reyes-López. 2025. The Aging of Urban Gardens Can Enhance Their Role as Refuges for Local Ant Species Diversity 17, no. 1: 64. https://doi.org/10.3390/d17010064
  6. MACARTHUR, ROBERT H., and EDWARD O. WILSON. The Theory of Island Biogeography. REV-Revised. Princeton University Press, 1967. http://www.jstor.org/stable/j.ctt19cc1t2
  7. Miet, D. (2024, January 18). L’urbanisme organique comme méthode. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/l-urbanisme-organique-comme-methode.html