Servitude de plantation : peut-on contraindre l’acquéreur d’un terrain issus de division à conserver un arbre ?

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13 min de lecture.  |  Publié le 29/07/24

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    Les arbres situés à proximité des logements contribuent au cadre de vie des habitants : ils génèrent de l’ombre, préservent l’intimité, protègent du vent et plus largement, créent en grande partie l’esthétique des paysages qui font notre quotidien.

    Pour toutes ces raisons, un propriétaire qui envisage de diviser son terrain pour le céder à un nouveau voisin peut souhaiter que certains végétaux, situés sur la partie du terrain qui sera détachée, soient conservés par le futur acquéreur, voir plus largement que l’obligation de conservation des végétaux soit perpétuelle et s’applique à tous les futurs propriétaires du fond.

    Quels outils juridiques peuvent être mobilisés pour rendre cela possible ? Une servitude de droit privé est-elle adaptée ? Quels sont les cas de figure à distinguer ?

    1. Sous quelles conditions une servitude peut-elle contraindre un voisin à conserver un arbre ?

    Pour contraindre un propriétaire à conserver un arbre situé sur sa propriété par le biais d’une servitude il faudra veiller à ce que celle-ci respecte certains critères afin qu’elle ne puisse pas être requalifiée en obligation personnelle et perde ainsi son caractère perpétuel. En cas de litige, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation quant à la qualification d’une servitude. Il s’attachera à rechercher la commune intention des parties. C’est pourquoi il est important de signifier, dans la convention de servitude, le souhait que celle-ci se transmette aux propriétaires successifs du terrain.

    1.1. Présence d’un fonds dominant bénéficiaire

    Une servitude de droit privé est une charge imposée sur une propriété pour l’usage et l’utilité d’un terrain appartenant à un autre propriétaire (article 637 du Code civil). De cette définition découlent trois conditions permettant de caractériser une servitude de droit privé :

    • la servitude est conclue entre deux propriétaires différents,
    • la servitude génère une charge sur le fonds servant que ce dernier doit supporter, elle ampute ainsi son droit dans une certaine mesure,
    • la servitude doit présenter un intérêt privé pour le fonds dominant : elle agrémente ce dernier.

    Par conséquent, la présence d’un fonds dominant est requise (voir en ce sens : Cass. 3e civ., 13 juin 2012, n° 10-21.788 : JurisData n° 2012-012796). La servitude doit être conclue pour l’utilité d’un fonds qui bénéficie d’attributs attachés au fonds voisin et non pas seulement dans l’optique de contraindre le fonds servant. C’est cette utilité qui justifie la création de la servitude1. L’article 686 du Code Civil précise que les propriétaires peuvent conclure telles servitudes que bon leur semble. De cette manière, il paraît envisageable de conclure une servitude de conservation d’un élément végétal, dès lors que celui-ci bénéficie au fonds dominant.

    Quelle utilité pour le fonds dominant ?

    Comment qualifier l’utilité dont jouit le fonds dominant ? L’utilité ne doit pas obligatoirement être indispensable au fonds dominant, sans toutefois pouvoir uniquement être fantaisiste.

    Les arbres, haies, bosquets ou autres éléments végétaux situés sur un terrain peuvent bénéficier à un terrain voisin :

    • car ils le protègent du vent en faisant office de brise-vent,
    • car ils le protègent du soleil en générant de l’ombre,
    • car ils le protègent la vue et permettent l’intimité en faisant écran,
    • car ils donnent des fruits qui tombent sur le fonds dominant (l’article 673 du Code civil prévoit que les fruits tombés sur le fonds voisin appartiennent au propriétaire du fonds où ils sont tombés)

    Le droit anglo-saxon bénéficie de conservation easements (servitudes de conservation), outil juridique qui permet de limiter les droits du propriétaire sur son bien en créant un droit réel accompagné d’obligations. En somme, il s’agit d’une servitude sans fonds dominant, notamment utilisée au titre de la protection de l’environnement ! Pour les éléments dont l’utilité est avant tout leur valeur écologique, un outil juridique spécifique existe depuis 2016 : il s’agit des obligations réelles environnementales3.

    1.2. Obligation d’entretien seulement accessoire

    L’on pourrait être tenté d’associer à l’obligation de ne pas porter atteinte à un arbre une obligation d’entretien, de taille ou encore de replantation en cas de disparition. Cependant, selon l’article 686 du Code civil, les services imposés par la servitude ne doivent pas porter sur une personne ou en faveur d’une personne. Or, lorsqu’il existe une obligation d’entretien, celle-ci est in fine réalisée par le propriétaire du fonds. De cette manière, est-ce qu’introduire une clause obligeant le propriétaire du fonds servant à entretenir la végétation située sur son terrain irait à l’encontre de l’article 686 ? Le Code civil lui-même mentionne des prestations accessoires telles que celles d’entretien prévues aux articles 698 et 699 du Code civil.
    Le risque serait que l’obligation d’entretien soit requalifiée en obligation personnelle. Une obligation personnelle, contrairement à une servitude, ne peut être attachée au fonds lui même, ni être perpétuelle (puisqu’elle s’éteint avec la personne). Une obligation personnelle ne peut donc être transmise aux propriétaires successifs des fonds4.

    Également, la jurisprudence a déjà montré que si la servitude implique que le propriétaire du fonds servant ait à réaliser une prestation, il faudra que celle-ci puisse être accomplie par tous les propriétaires successifs du fonds. Suivant cette logique, l’interdiction des services personnels instaurée par l’article 686 du Code civil ne concernerait pas les obligations positives associées à un fonds et transmissibles aux propriétaires successifs5. En somme, le propriétaire réalise les activités d’entretien en sa qualité de propriétaire du fonds servant, la servitude ne constitue pas une obligation personnelle mais bien une obligation réelle.

    Si l’on admet qu’au droit réel puisse s’ajouter une obligation réelle accessoire, il est possible, non seulement d’imposer au propriétaire du fonds servant de s’abstenir de porter atteinte aux plantations, mais aussi de les entretenir voire de les replanter en cas de disparition. L’obligation ne doit pas peser, à titre principal, sur la personne.
    Afin de limiter les risques de requalification de la servitude en obligation personnelle (qui lui ferait ainsi perdre son caractère perpétuel et transmissible aux propriétaires suivants), l’objet principal de la servitude ne doit pas être d’entretenir mais bien de s’abstenir de porter atteinte à l’arbre ou l’élément concerné.

    1.3. Ne pas être contraire à l’ordre public

    Les servitudes ne doivent pas être contraire à l’ordre public (art. 686 du Code civil). Par exemple, il ne sera pas possible d’imposer la conservation de végétaux dont les branchages nuisent à la circulation sur la voie publique, ou menacent de s’abattre et présentent ainsi un danger pour la sécurité publique.

    2. Quels éléments anticiper dans la convention de servitude ?

    La convention de servitude peut anticiper certains éléments susceptibles d’occasionner des litiges au fil du temps.

    2.1. Définition de l’assiette de la servitude

    Il faudra préciser si la conservation des arbres s’applique à la totalité de la parcelle, seulement à un arbre ou dans un secteur défini au plan. Dans ce dernier cas, il est recommandé de faire appel à un géomètre expert pour la réalisation du plan, en particulier s’il s’agit d’une interdiction de construire.

    2.2. Prendre en considération les aléas de la vie du végétal

    Il semble pertinent d’anticiper, au sein de la convention de servitude, les aléas de la vie des éléments végétaux. Les éléments végétaux peuvent mourir, être atteints de maladie, être touchés par la foudre ou une tempête, menacer de tomber… En prévision de tels évènements, il est possible d’intégrer dans la convention une obligation accessoire de replanter. Autant qu’il en soit possible, il est également utile de définir un tiers jugé par les parties comme étant compétent pour définir l’état de santé du végétal (et de prévoir, en des termes plus généraux, un tiers suppléant dans le cas où le premier ne pourrait plus, le temps passant, intervenir).

    3. Que se passe-t-il en cas de non respect de la servitude ?

    En cas de violation d’une servitude, la sanction prononcée est une action réelle, telle que la remise en état des lieux ou la démolition éventuelle des constructions qui auraient été édifiées.

    Dans le cas d’une servitude qui imposerait un propriétaire du fonds servant de s’abstenir de couper des arbres, le fait que ce dernier abatte les dits arbres pourrait être sanctionné par le juge par une obligation d’en replanter des similaires. Toutefois, il est à noter que dans le cas de plantations présentes depuis plusieurs décennies, la remise en état présente certaines limites puisqu’il n’est pas possible de replanter des arbres à leur plein stade de développement.

    Attention, les sanctions applicables en cas de non respect d’une servitude sont soumises au contrôle de proportionnalité du juge.

    Ainsi, si le propriétaire du fonds servant abat des arbres objet de servitude et édifie une construction en lieu et place, il est possible d’émettre des doutes quant à la possibilité que le juge le contraigne à démolir (notamment s’il s’agit de sa résidence principale).

    4. Quelles alternatives à la servitude de droit privé ?

    Le cahier des charges de lotissement peut prévoir la conservation de la végétation.

    Si le présent litige ne porte pas sur la conservation d’un arbre situé sur le terrain d’autrui, le cahier des charges précise toutefois que les parcelles ne peuvent être déboisées au-delà d’une certaine limite et comprend des obligations d’entretien et de renouvellement de la végétation.



    Notes :

    1. Toutefois, une partie de la doctrine considère qu’une servitude peut exister sans fonds dominant (E. Meiller, La notion de servitude : LGDJ, 2012, n° 9, p. 528 et s).
    2. J.-L. Bergel, S. Cimamonti, J.-M. Roux et L. Tranchant, Les biens, préc. n° 8, spéc. n° 332, p. 385)
    3. C. Leveneur, Environnement et développement durable – Les obligations réelles environnementales, Énergie – Environnement – Infrastructures n° 1001, Janvier 2022, dossier 5
    4. La doctrine est divisée au sujet de la nature des servitudes, si certains (Ch. Larroumet, Les biens ; Droits réels principaux, préc. n° 8, spéc. n° 808 2 : F. Terré et Ph. Simler, Les biens, Paris : Dalloz, 7e éd., 2006, n° 868) y voient une obligation réelle, permettant la mise en oeuvre d’obligations de faire : des charges positives qui se transmette avec le fonds, d’autres (Propositions de l’Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens, sous la direction de H. Périnet-Marquet : Paris, Litec, 2009 ; J.-L. Bergel, S. Cimamonti, J.-M. Roux et L. Tranchant, Les biens, préc. n° 8, spéc. n° 329) suivent l’adage servitus in faciendo consistere non potest qui considère qu’une servitude peut seulement contraindre à subir ou à ne pas faire.
    5. F. Zénati et Th. Revet, Les biens, Paris : PUF, 3e éd., 2008


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