Que se passe t-il lorsqu’on raisonne sur des Français théoriques, habitant des logements théoriques ?

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4 min de lecture  |  Publié le 15/01/2024 sur | Mis à jour le 12/01/24

Le logement : troisième cause d’émissions de gaz à effet de serre des Français

Si on décompose les émissions de gaz à effet de serre des Français en faisant abstraction des styles, modes, et niveaux de vie des ménages, il est admis que le logement arrive à la troisième place (1/5ème des émissions) dont 62% pour se chauffer.

Sur ces bases, un consensus est solidement installé en faveur d’une rénovation énergétique massive du parc de logements, avec pour mètre étalon de la mesure des gains énergétiques et donc des impacts des politiques publiques le Diagnostic de Performance énergétique (DPE), obligatoire pour solliciter une subvention, louer un logement, ou le vendre.

Plusieurs études réalisées en France [1], États-Unis [2] et Allemagne [3], basées sur des enquêtes, avaient déjà souligné l’existence d’un effet rebond questionnant très fortement l’efficacité, et donc la légitimité de telles politiques publiques monodimensionnelles.  Dans le prolongement, et sur la base d’un échantillon exceptionnel de 178 110 ménages, dont les revenus et la consommation énergétique liée aux énergies ont été appréciés grâce à des données bancaires, le Conseil d’Analyse Economique et le Crédit Mutuel Alliance Fédérale ont publié le 10 janvier 2024 une analyse [4] d’une ampleur sans précédent du décalage entre les consommations prédites par l’étiquette DPE et la réalité, déclinée par taille de logement et par catégorie d’étiquette.

A cause des effets rebond, la rénovation (uniquement) énergétique massive des logements n’a pas d’impact à court et moyen terme sur la réduction des gaz à effet de serre

Cette étude permet de mesurer la réalité et l’énormité de l’effet rebond :

  • Les usagers adaptent leur comportement en fonction du prix du confort énergétique et donc de la performance du logement, cet effet rebond explique une large partie des écarts observés.”
  • La hausse de la consommation d’énergie au m2 entre un logement classé AB et un logement classé G est six fois plus faible que celle prédite par le DPE ».
  • Les habitants consomment beaucoup moins que ce que disent les DPE dans les passoires énergétiques et beaucoup plus que ce que disent les DPE dans les logements performants !

Parmi les commentateurs de cette étude,

  • Christophe Rodriguez, Directeur Général chez Institut Français pour la Performance du Bâtiment (IFPEB), concède qu’il ne faut pas tout attendre des caractéristiques techniques du bâtiment en lui-même, mais que les usages sont les plus déterminants : “la sobriété est une condition qui prévaut sur la performance énergétique du logement »;
  • Jean-Marc Jancovici concède, avec une pointe d’ironie, que “si les logements deviennent performants, il y aura un fort effet rebond car les ménages en profiteront pour pouvoir enfin se chauffer et se laver ».
  • Il finit par admettre et conclure ce que les spécialistes du domaine savent depuis de nombreuses années : un “programme massif de rénovation des logements doit probablement (SIC) être plus vu comme un moyen d’avoir toujours chaud l’hiver dans un monde disposant de très peu d’énergie que comme un moyen d’en économiser beaucoup à court terme ! »

En résumé, la rénovation (uniquement) énergétique massive des logements, du fait des effets rebond, n’a pas d’impact à court et moyen terme sur la réduction des gaz à effet de serre, mais constituera “probablement” une alternative au pull over en cas de pénurie d’énergie…

Pour une approche sur mesure du confort des personnes basée sur leurs besoins et non sur un calcul théorique

La poursuite du confort individuel, au delà de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour laquelle il faudra manifestement trouver d’autres leviers qu’une action standardisée, est un objectif parfaitement louable, mais qui pose deux questions que nous ne pouvons plus contourner :

  1. Devons nous continuer à consacrer des moyens publics aussi colossaux à une politique publique aussi peu performante, parce que monodimensionnelle et aveugle aux usages, maintenant que les chantiers aidés, asservis au DPE, ont une telle faiblesse démontrée d’impact sur les émissions de GES ? Rappelons que l’Anah budgète, en 2024, 5 Milliards d’euros pour la rénovation énergétique.
  2. Si l’objectif à court et moyen terme est le confort de vie, n’est-il pas temps de substituer à la machine à calcul de gains énergétiques théorique une approche sur mesure du confort des personnes, basée sur leurs besoins, qui ne se limitent aucunement à la performance thermique (assainissement, étanchéité, éclairements, distribution, sanitaires, espaces extérieurs, mobilités induites et subie du fait de la localisation du logement…) ?

REFERENCES

[1] Sensibilisation des acteurs institutionnels à une approche élargie de la précarité énergétique, Denis Caraire, in PratiCité, 2010.
[2] Do Energy Efficiency Investments Deliver? Evidence from the Weatherization Assistance Program, with Meredith Fowlie and Catherine Wolfram, in Quarterly Journal of Economics, 2018.  
[3] Daten und Trends der Wohnungs- und Immobilienwirtschaft 2019/2020, Axel Gedaschko, in Die Wohnungswirtschaft in Deutschland, 2020.
[4] Performance énergétique du logement et consommation d'énergie : les enseignements des données bancaires, Astier, Fack, Fournel, Maisonneuve, Salem, in Focus, 2024.