Vous venez d’hériter de la maison de vos parents et souhaitez vous y installer. Afin de payer les frais de succession, vous envisagez de vendre une partie du jardin comme terrain à bâtir. Problème de taille : vous aimeriez pouvoir garantir votre intimité malgré la nouvelle construction qui y sera implantée.
Comment limiter les vues de la future construction en direction de chez vous ? Existe-t-il des lois permettant de préserver l’intimité de chacun ? Doit-on négocier avec son futur voisin et obtenir son consentement ? Comment fixer une éventuelle indemnité en échange de son accord ? Existe-t-il d’autres moyens de négociation qu’une somme d’argent ?
Et si le terrain que vous désirez détacher dispose de peu de droits à construire au regard des documents d’urbanisme, comment le valoriser pour en tirer le meilleur prix et permettre à quelqu’un d’y édifier sa résidence ? Comment concevoir un nouveau logement agréable à vivre sans dégrader le cadre de vie alentour ? Comment faire en sorte d’assurer la pérennité des accords mis en place ? Vers quels interlocuteurs se tourner ?
1. La servitude de droit privé : quelques rappels préalables
1.1. Le document d’urbanisme n’est pas le seul à prendre en compte lorsque l’on construit…
Le Code civil impose des distances entre les ouvertures des constructions et les limites de propriété des terrains. Ainsi, lorsque l’on réalise une construction, il est non seulement nécessaire d’être en conformité avec le document d’urbanisme applicable à sa commune, mais aussi avec le Code civil. Par exemple, ce dernier interdit de placer une fenêtre en limite de propriété ou encore de créer un toit-terrasse accessible en limite. Cependant, la servitude de vue et la servitude de jour permettent de définir des distances différentes de celles édictées par le Code civil, notamment grâce à un accord amiable avec son voisin (que l’on appelle alors servitude conventionnelle).
👉 Exemple : Je peux par exemple demander à ma voisine de ne pas placer de fenêtre à l’étage du côté de ma terrasse afin d’éviter un vis à vis, ou encore je peux l’autoriser à créer une terrasse en limite de propriété à un endroit de ma parcelle qui ne me dérange pas.
1.2. Une servitude ne se résume pas à un accord entre voisins
Attention, dans le langage commun une servitude est le nom que l’on donne à un accord entre voisins. Mais il ne s’agit là que des servitudes conventionnelles, le mot servitude a une portée juridique plus large : il s’agit d’une contrainte imposée sur une propriété immobilière, au profit d’une autre. De cette manière, c’est une limitation du droit de propriété. C’est un droit réel immobilier, c’est à dire que la servitude est attachée au terrain lui même et non à son propriétaire (ce n’est pas un droit personnel).
Il faut également garder à l’esprit que certaines servitudes ne résultent pas d’un accord consenti par les deux parties. Par exemple, les règles édictées par le Code civil qui définissent des distances à respecter entre les ouvertures et la limite de propriété sont aussi des servitudes, même si personne n’a conclu d’accord, la loi les impose : ce sont des servitudes dites légales. Certaines servitudes peuvent aussi s’acquérir avec le passage du temps (dans ce cas on dit qu’elles sont acquises par prescription), ou encore suite à une division (alors, on dira qu’elles sont acquises par destination du père de famille). Enfin, d’autres servitudes sont dites naturelles, c’est le cas de la servitude d’écoulement des eaux par exemple.
👉 Exemple : Un voisin dont la propriété bénéfice d’une servitude de vue acquise par prescription peut m’imposer de ne pas construire dans une certaine zone de ma parcelle, alors même que les documents d’urbanisme et le Code civil m’y autorisent et ce sans mon consentement. Afin de trouver un accord avec lui, je peux lui proposer de m’accorder une autre servitude de vue qui me permettrait de réaliser un projet alternatif à celui que j’envisageais et qu’il m’a interdit.
1.3. A quoi sert de convenir d’une servitude avec son voisin ?
Le Code civil distingue deux catégories d’ouvertures : les vues et les jours. Des règles différentes s’appliquent à chacune d’elles, les vues étant plus contraintes que les jours.
Pourquoi voudrait-on modifier l’application de ces règles grâce à une servitude conventionnelle (c’est à dire un accord amiable convenu avec le consentement du voisin) ?
La servitude de vue ou de jour peut permettre de protéger l’intimité en restreignant les possibilités d’ouverture des constructions voisines (afin de conserver une vue dégagée, d’éviter un vis à vis…).
La servitude peut aussi permettre des ouvertures qui auraient été proscrites par le Code civil afin d’améliorer la qualité architecturale des constructions nouvelles ou modifiées (améliorer l’éclairage naturel, jouir d’une terrasse, faciliter un accès…).
Lors de projets immobiliers particulièrement contraints, ces deux objectifs conditionnent la qualité du cadre de vie qui s’en dégage. Les servitudes conventionnelles peuvent s’avérer décisives ! C’est notamment le cas des projets issus de divisions foncières, ou de tout autre mode opératoire permettant de créer des logements au sein du tissu bâti existant.
Attention, la servitude de vue ou de jour ne permet pas de créer une ouverture à une distance des limites séparatives inférieure à celle règlementée par le document d’urbanisme, le cas échéant.
1.4. Quelles différences entre le jour et la vue ?
🔸 Un jour
Un jour est une fenêtre dormante, c’est-à-dire fixe, qui est scellée dans le contour de la baie, avec un verre opaque, c’est à dire qui ne laisse pas percevoir les formes des objets. Il ne permet pas le passage de l’air ni de la vue. Seul le passage de la lumière est possible.
Selon le Code civil, un jour peut être créé sans l’accord du voisin à condition qu’il ne soit pas sur un mur mitoyen et qu’il soit situé au moins 2,6m au dessus du niveau du plancher si il est au rez-de-chaussée, et au moins 1,9m au dessus du niveau du plancher s’il est dans les étages.
Créer un jour à une hauteur inférieure nécessite l’établissement d’une servitude de jour conventionnelle, c’est à dire avec le consentement du propriétaire du terrain qui supporte la contrainte (fonds servant). Si le jour non conforme au Code civil existe déjà, la servitude de jour peut être acquise par prescription trentenaire.
🔸 Une vue
La vue permet de voir à l’extérieur, elle laisse passer l’air ainsi que la lumière. Elle peut être générée par un élément extérieur construit avec un plancher accessible (fenêtre, balcon, terrasse, loggia, escalier…) ou encore par des ouvertures de toit (lucarne, fenêtre de toit, puit de lumière…).
Selon le Code civil, une vue peut être créée sans l’accord du voisin à condition qu’elle soit au moins à 1,9m de la limite séparative dans le cas d’une vue droite et au moins à 60cm de la limite séparative dans le cas d’une vue oblique.
Créer une vue plus près de la limite séparative nécessite l’établissement d’une servitude de vue conventionnelle, c’est à dire avec le consentement du propriétaire du terrain qui supporte la contrainte (fonds servant).
2. Une servitude de vue pour favoriser la qualité architecturale
Les servitudes de vue ou de jour permettent de réduire les distances légales concernant les ouvertures. Cela est utile lorsque l’on souhaite créer une ouverture plus proche de la limite séparative que ce que permet le Code civil.
Dans ce cas, le terrain sur lequel se situe l’ouverture est appelé fonds dominant et celui qui tolère l’ouverture est dit fonds servant.
👉 Application : une servitude de vue permet au propriétaire d’une maison située en limite séparative de percer une ouverture qui donnera sur le terrain du voisin, avec son consentement. Attention, pour cela il faut que les documents d’urbanisme ne règlementent pas la distance des ouvertures aux limites séparatives ou encore qu’il n’y ait pas de document d’urbanisme en vigueur.
Une telle servitude pourrait aussi permettre de créer : 🔸 un toit terrasse accessible situé à moins d’1,9m de la limite séparative ou sur cette limite, ou encore de créer, proche de la limite séparative ; 🔸 un escalier extérieur permettant un accès indépendant à l’étage d’une maison divisée (en effet, un escalier ou tout plancher accessible est considéré comme une vue.
3. Une servitude de vue pour augmenter l’intimité et protéger la vie privée
A l’inverse, une servitude de vue permet également de durcir les règles fixées par le Code civil au sujet des ouvertures. Ici, la servitude protège l’intimité de la propriété qui en bénéficie (appelée fonds dominant) en contraignant la position des ouvertures sur la propriété voisine, qui elle supporte la contrainte (appelée fonds servant).
👉 Application : Un propriétaire vend une partie de son jardin comme lot à bâtir, il peut imposer à l’acquéreur une distance minimale entre ses ouvertures et la limite séparative ou encore l’empêcher d’ouvrir des fenêtres à l’étage en direction de sa piscine ou de sa terrasse (exemple 1). Il peut également contraindre l’acquéreur à ne pas ouvrir de fenêtres en direction de sa maison sur une certaine partie du lot détaché par le biais d’une servitude (exemple 2 et 3).
Des servitudes réciproques peuvent aussi être conclues. Dans ce cas, les terrains pâtissent et bénéficient de la contrainte de manière équivalente. Cela peut être un outil dans la négociation lors de la vente d’un terrain.
4. Est-ce que la servitude de vue empêche la construction ?
Conclure une servitude avec son voisin ou voir sa propriété grevée d’une servitude de vue n’est pas dépourvu de conséquences. La Cour de cassation a arrêté que la servitude de vue pouvait faire office de servitude de non altius tollendi (limite de hauteur) afin de préserver la vue, voire de servitude de non aedificandi (zone non constructible).
De cette manière, l’arrêté mentionne que le propriétaire d’un terrain contraint de supporter une servitude de vue droite (le fonds servant) est tenu de ne pas édifier de construction dans un rayon de 1,9m à partir du parement extérieur du mur où l’ouverture est faite.
Ainsi, la vue doit être située à au moins 1,9m de large ou de haut de la construction envisagée (Civ. 1re, 12 oct. 1966, D 1966.613). La sanction en cas de construction illégale peut aller jusqu’à la démolition.
Attention, ce n’est pas le cas de la servitude de jour.
5. Comment s’acquiert une servitude de vue ou de jour ?
La servitude conventionnelle, résultante d’un accord amiable consenti par des propriétaires voisins, a fait l’object d’une acquisition par convention. Mais les servitudes de vue et de jour ne résultent pas toujours d’un accord consenti par les parties ; elles peuvent être acquises de divers manières.
5.1. Acquisition par convention
Une servitude de vue peut être établie par convention. Dans ce cas, un accord à l’amiable est passé entre les parties puis authentifié par acte notarié. La publication de la servitude par le Notaire au service de la publicité foncière la rendra opposable aux tiers, c’est-à-dire qu’elle s’appliquera aussi aux héritiers et acquéreurs futurs des propriétés immobilières.
On dit que l’obtention de la servitude se fait par titre.
👉 Application : Le propriétaire d’une maison individuelle avec piscine apprend que son voisin direct souhaite vendre. Il avait de bonnes relations avec son voisin et craint que le futur acquéreur construise une extension avec une ouverture donnant sur sa piscine. Avant la vente, il peut alors conclure une servitude de vue avec son voisin afin d’imposer une distance assez importante entre la limite séparative et l’éventuelle future ouverture que pourrait créer l’acquéreur, afin que ce dernier ne puisse pas regarder vers sa piscine. Cet accord à l’amiable peut être conclu moyennant une somme d’argent, si le voisin — propriétaire du fonds servant — considère que cette servitude dévalorise son bien et pénalise la vente envisagée.
5.2. Acquisition par destination du père de famille
Une servitude de vue peut aussi être acquise de fait, au moment de la division. On dit qu’elle est acquise par destination du père de famille et vaut alors titre selon l’article 692 du Code civil.
👉 Application : Si un propriétaire de maison individuelle décide de diviser son terrain le long d’un mur existant doté d’ouvertures, la distance imposée par le Code civil entre l’ouverture et la limite séparative ne sera pas respectée. La servitude de vue s’impose de par la configuration de la division. Dans ce cas, on dit que la servitude est acquise par destination du père de famille. Cependant, il est plus prudent de la formaliser dans une convention et de l’annexer à l’acte de vente.
5.3. Acquisition par prescription trentenaire
Une vue illégale qui n’a pas été contestée pendant au moins 30 ans après sa création fait office de servitude de vue acquise par prescription trentenaire.
Attention, la prescription trentenaire est uniquement possible pour les servitudes continues et apparentes. Par exemple, une servitude de passage ne peut pas faire l’objet d’une acquisition par prescription trentenaire. Également, la servitude ne peut être acquise si elle contrevient à l’ordre public (Cour d’appel de Metz, 1ère chambre, 17 septembre 2020, RG n° 19/00241).
En revanche, « l’absence de déclaration préalable d’urbanisme et le défaut d’autorisation des travaux de percement du mur extérieur […] ne font pas obstacle à l’acquisition par prescription d’une servitude de vue sur le fonds voisin » (Cass Civ. III : 21.4.22, N° 21-12.240).
Ainsi, dans le cas d’une servitude acquise par prescription trentenaire, la suppression de la servitude ne pourra être exigée par le propriétaire du terrain qui supporte la contrainte imposée la servitude.
👉 Application 1 : Prenons le cas de l’arrêt de la Cour d’appel mentionné. Les propriétaires contestaient l’ouverture d’une fenêtre générant une vue droite sur l’extérieur de leur propriété, cette fenêtre étant située en limite de propriété. Cependant, les voisins à qui appartiennent cette fenêtre ont fait valoir une servitude de vue par prescription trentenaire justifiée par des photos anciennes sur lesquelles figuraient des personnes nées ou décédées à des dates qui indiquaient l’ancienneté du cliché d’au moins 30 ans. Attention, un jour transformé en vue ne peut faire valoir la prescription trentenaire.
👉 Application 2 : Un jour a été ouvert dans un mur en limite de propriété il y a 32 ans. 10 ans plus tard, le propriétaire a transformé ce jour en vue. Il ne serait pas légitime à réclamer aujourd’hui la prescription trentenaire pour cette vue. En effet, même si le jour existe depuis plus de 30 ans, la vue n’existe que depuis 22 ans.
5.4. Acquisition légale
Certaines servitudes de vue ou de jour sont établies par le Code civil. C’est d’ailleurs le cas des distances entre les ouvertures et les limites de propriété. Ce sont des servitudes légales, acquises de plein droit.
👉 Application : Le propriétaire d’une maison apprend que son voisin souhaite créer une fenêtre ouvrante dans le mur situé à 1,5m de la limite séparative avec sa parcelle. Il peut, en application du Code civil (Art. 676 et 677), exiger que cette ouverture ne soit pas créée. En effet, l’ouverture initialement envisagée par le voisin est illégale car le Code civil interdit la création d’une vue droite à moins d’1,9m de la limite séparative.
6. Comment défaire une servitude de vue ou de jour ?
Les servitudes de vue sont imprescriptibles, ce qui veut dire qu’elles ne peuvent s’éteindre pour non utilisation trentenaire.
6.1. Impossibilité d’usage
La servitude de vue peut s’éteindre lorsqu’il devient impossible d’user de la servitude, peu importe la raison de l’impossibilité d’exercice. Cependant, si l’impossibilité est imputable au propriétaire du terrain qui supporte la contrainte (fonds servant) qui aurait agi au-delà de son droit, le propriétaire du terrain qui bénéficie de la servitude (fonds dominant) peut exiger le rétablissement la situation antérieure ou bien l’allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
👉 Application : 🔸 Une fenêtre murée du fait du propriétaire voit sa servitude se défaire, car inutilisable. Si elle est réouverte avant 30 ans, la servitude sera de nouveau applicable. Après 30 ans, il sera en revanche considérée que la servitude est définitivement éteinte. Il sera nécessaire de créer une nouvelle servitude pour réouvrir la fenêtre. 🔸 En revanche, si la fenêtre est murée par la propriétaire du terrain qui supporte la vue (fonds servant) qui agit au delà de son droit, le propriétaire du terrain qui bénéficie de la vue (fonds dominant) peut exiger la réouverture de la fenêtre.
6.2. Confusion des fonds
La servitude de vue s’éteint lorsqu’il y a confusion des fonds « dominant » et « servant », c’est-à-dire lorsque les propriétés immobilières objets de la servitude sont réunies dans les mains d’un seul et même propriétaire.
6.3. Renonciation
Une servitude de vue peut être supprimée par un accord amiable conclu chez le Notaire entre les propriétaires des deux propriétés immobilières concernées. Dans ce cas, le propriétaire du fonds dominant (celui à qui bénéficie la servitude) renonce à son droit réel.
Par ailleurs, il est aussi possible de modifier la servitude précédemment conclue afin de permettre la réalisation d’un projet sans pour autant mettre fin à la servitude.
Par principe, la servitude réciproque impose des règles identiques entre les terrains contigus appartenant à des propriétaires différents. Une servitude réciproque entre deux propriétés immobilières peut être conclue afin de préserver leur tranquillité.
Dans ce cas, les charges pèsent de manière identique sur les terrains ; la servitude s’exerce au profit et à la charge de chacun d’eux.
Établir une servitude réciproque avec son voisin est une manière de négocier lors d’un projet de division foncière, ou encore d’équilibrer les lots dans une opération immobilière qui prévoit une division.
8. Est-ce que l’obtention d’une servitude de passage génère l’obtention d’une servitude de vue ?
La servitude de passage vaut servitude de vue.
9. Est-ce qu’un mur de briques de verre nécessite l’obtention d’une servitude ?
Les briques de verre ne nécessitent pas de servitude et ne peuvent faire l’objet d’acquisition de servitude de vue ou jour (Cour d’Appel Angers 15/03/1988 Gasteau c/ Bourgeois CDJO n°46311, Cass. Civ 3, 11.4.2012, N° 427, Pôle 4, Ch. 1, R.G. N° 11/01209).
10. Quels sont les textes légaux de référence ?
La servitude de vue et la servitude de jour sont des servitudes de droit privé régies par les articles 686 à 710 du Code civil.
Ces servitudes portent sur les ouvertures des constructions ; elles déterminent les distances entre l’ouverture située sur une propriété et la limite séparative avec la propriété voisine. Ces distances sont règlementées par le Code civil, des articles 675 à 680.
C’est-à-dire que l’implantation de la construction décidée par le document d'urbanisme ne sera pas modifiée, mais que la distance entre les vues et la limite séparative pourra être plus grande le cas échéant.