Le jardin à l’heure du ZAN : ce n’est pas la quantité de “vert” qui compte

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10 min de lecture.  |  Publié le 27/09/2023 sur | Mis à jour le 09/10/23

@Joseph-Chauffrey-Jardin-urbain-Permaculture | Facebook

Plan de l'article

    Nos jardins actuels sont-ils notre meilleur atout pour lutter contre les îlots de chaleur urbain et pour préserver la biodiversité en ville1 ? Ou sont-ils (au contraire ?) notre meilleur atout pour développer une offre de logement bien située, abordable et désirable à proximité des commerces, services et emplois ? Est-il possible de densifier nos villes et nos villages sans grever leur capacité d’adaptation aux périodes de fortes chaleurs et d’accueil de la biodiversité ?

    A l’heure du ZAN, le devenir des jardins inquiète et passionne !

    1. Le devenir des jardins périurbains, un sujet qui polarise les avis ?

    Certains, les imaginant parés des vertus de la « nature », les voient comme la clé de l’adaptation de nos villes aux périodes de canicule. Ils voient leur densification comme une dégradation irrémédiable de leurs qualités.

    D’autres, les pensant comme l’un des gisements clés qui nous permettra de satisfaire le besoin criant de logements, défendent l’idée de ne pas imposer davantage de contraintes à l’acte de bâtir, déjà mis à mal par un contexte qui aboutit à une situation que plus personne n’hésite à qualifier de crise.

    Les questions que soulève le projet de développement du Grand Paris illustrent bien les débats et les positions entre d’une part ceux pour qui la densification des jardins, perçus comme un gisement à mobiliser, est une opportunité pour satisfaire le besoin criant de logements2 et, d’autre part, ceux qui voient dans les jardins urbains un levier majeur d’adaptation de la métropole aux canicules et des espaces support de la biodiversité urbaine – dont il faut à ce titre protéger chaque mètre carré.

    Mais entre les uns et les autres, faut-il faire un choix ? Densifier les tissus urbains pour répondre à nos besoins en logements se fera-t-il forcément contre l’adaptation de nos quartiers à l’évolution climatique ? Cela se traduira-t-il fatalement par une dégradation et un appauvrissement de la biodiversité urbaine ?

    C’est en tout cas ce que semblent penser certains, comme nous l’a montré le récent débat sur le statut à accorder aux jardins situés sur les parcelles privées (artificialisés ou non) dans le cadre du ZAN3. On voit déjà s’organiser à travers les documents d’urbanisme une « mise sous cloche » des tissus pavillonnaires motivé par les questions environnementales.

    2. Étude de l’APUR : ce que le taux de vert nous dit… et ce qu’il ne nous dit pas

    L’APUR a publié en juin 2023 une étude très riche sur le parc des 400 000 pavillons à l’échelle de l’Île-de-France avec l’objectif de mieux connaître ces tissus urbains et définir le rôle qu’ils pourraient jouer dans le développement futur de l’Ile de France4. Les analyses réalisées par l’APUR évaluent que les tissus pavillonnaires sont les plus végétalisés, ce qui leur confère un rôle majeur pour l’adaptation de la métropole aux canicules. L’étude aboutit alors à la conclusion que la transformation des jardins constitue un risque d’aggravation des ilots de chaleur urbain et prône un statu quo de préservation.

    Extrait de l'étude de l'APUR : type d'occupation de l'espace pour 3 exemples de formes urbaines du Grand Paris
    Source : étude APUR
    Extrait de l'étude de l'APUR : carte de la part de végétation dans les parcelles
    Source : étude APUR

    L’étude de l’APUR souligne pourtant que ces jardins pavillonnaires sont loin d’être des modèles de vertu environnementale :

    « Les jardins des tissus pavillonnaires sont dominés par la présence de pelouses ou gazons. Les gazons participent aux compositions paysagères de nombreux jardins, les « mauvaises herbes » qui y poussent sont souvent arrachées par souci esthétique. Il en résulte un milieu monospécifique, donc sans diversité, et donc un sol écologiquement pauvre inapte à stocker l’eau de ruissellement tout au long de l’année. La résistance des gazons aux épisodes caniculaires est ainsi très faible, les gazons nécessitent une alimentation continue en eau sinon ils dépérissent rapidement quand il fait chaud. Leur présence, en tant que milieu monospécifique, ne permet pas une valorisation optimale du cycle annuel de l’eau, pourtant capitale dans l’adaptation climatique. »

    Extrait de l'étude Villes vivantes : vue aérienne faisant ressortir les espaces verts
    Extrait de l'étude Villes vivantes
    Extrait de l'étude Villes vivantes

    Le travail que nous avions réalisé dans le cadre du projet de recherche BIMBY en 2010 à Montfermeil arrivait à la même conclusion : l’analyse des jardins d’un échantillon de 322 parcelles composant 4 ilots représentatifs des quartiers de Franceville et des Coudreaux révélait que dans 72% des cas, le jardin des parcelles se limitait à des espaces de pelouses sans intérêt pour la biodiversité et sans contribution au cadre de vie urbain. A cela s’ajoutait 5% de cas où la totalité des espaces libres de la parcelle était minéralisé. Au global seules 23% des parcelles apportaient des éléments favorables à la biodiversité et enrichissaient le cadre de vie avec des aménagements de jardins paysagers arborés ou des espaces de potagers.

    2.1. Deux questions importantes restent en suspens…

    Si riche soit-elle, l’étude de l’APUR sur le pavillonnaire laisse deux questions clés en suspens :

    1. Les jardins pavillonnaires tels qu’ils existent sont-ils notre meilleur atout pour lutter contre les îlots de chaleur urbain et pour préserver la biodiversité en ville ? Sont-ils réellement aptes à jouer à plein leur rôle bioclimatique et écologique dès aujourd’hui et à l’horizon 2030 et 2050 ? Pour y répondre il faudrait réussir à dépasser la simple mesure du « taux de vert » dans les espaces non bâtis, et être capable d’apprécier au réel le fonctionnement climatique à l’échelle de la parcelle et le rôle que le jardin est capable de jouer en termes de biodiversité.
    2. La densification des tissus bâtis, leur adaptation aux risques de canicules et l’activation de leur potentiel environnemental sont-ils antagonistes ? Y répondre nécessite de se pencher sur notre capacité actuelle de conception : est-il possible de relever de front l’ensemble de ces enjeux, densifier pour loger mais aussi pour adapter aux enjeux climatiques et préserver et renforcer la biodiversité dans nos villes ?

    C’est ma conviction : l’approche qui consisterait à renforcer les qualités des jardins au profit de la biodiversité et de l’adaptation climatique de nos villes, d’une part, et celle qui consisterait à en faire le support du développement nécessaire pour répondre aux besoins en logements des habitants, d’autre part, ne sont pas, fondamentalement, antagonistes, si l’on y met de l’intelligence, de l’art et de l’attention aux usages et aux pratiques.

    Des synergies insoupçonnées entre densification douce et renforcement de la biodiversité et de l’adaptation de la ville au changement climatique sont possibles. L’une des clés de ces synergies se situe dans l’action du jardinier.

    3. Les jardins pavillonnaires : notre meilleur atout pour lutter contre les îlots de chaleur urbains et pour préserver la biodiversité en ville ?

    3.1. Le rôle crucial du jardinier : l’exemple d’un travail de recherche mené à Melbourne

    Dans le dernier volume de Ecological Solutions and Evidence de la British Ecological Society (Volume 4 issue 3 juillet – septembre 2023), un article de Luis Mata et al. analyse l’impact des actions en faveur de la biodiversité à l’échelle d’un micro-foncier dans un environnement urbain dense – un cas précieux pour questionner plus largement nos jardins pavillonnaires actuels et futurs.

    Si ces travaux n’évoquent pas directement la densification, ils permettent de mesurer l’impact des actions du jardinier sur un terrain dont les caractéristiques et les dimensions pourraient être celles d’un jardin issu d’un processus de densification douce.

    Constatant que de nombreux travaux associent diversification de la palette végétale et effets positifs sur la biodiversité animale en milieu urbain, les chercheurs ont développé et appliqué un protocole de suivi sur une micro parcelle de 195 m² isolée en plein cœur urbain de la ville de Melbourne en Australie, afin d’objectiver la capacité des actions de végétalisation à atténuer les effets négatifs de l’urbanisation en facilitant le retour d’espèces rares ou disparues du milieu urbain.

    Capture d'écran de Google Earth sur la parcelle concernée par l'expérimentation à Melbourne

    3.2. Quel protocole ?

    Le protocole mis en place a collecté, sur quatre années, les données sur les populations d’insectes et sur leurs interactions avec les végétaux présents sur la parcelle. Ce déploiement dans le temps est inédit et permet de déterminer comment les résultats obtenus par une action de diversification végétale s’accumulent et se stabilisent dans le temps. Les données ont ainsi été collectées une année avant une intervention légère de diversification de la palette végétale de la parcelle, puis sur les trois années qui ont suivi les actions de végétalisation, lesquelles étaient accompagnées d’une modification des pratiques de gestion avec des actions réduites d’entretien laissant les végétaux se développer spontanément et sans assistance, notamment sans apport d’eau.

    L’analyse statistique des données relatives à la richesse en espèces d’insectes, la probabilité d’occurrence, de survie et de colonisation des différentes communautés d’insectes, le réseau de relation plante-insecte et son évolution dans le temps leur a permis de mesurer les impacts écologiques positifs de la diversification de la palette végétale de cette parcelle et sa capacité supporter dans le temps des communautés d’insectes viables.

    Initialement, la végétation de la parcelle était constituée de pennisète clandestin en strate herbacée (Cenchrus clandestinus, connu sous le nom de kikuyu et que l’on rencontre parfois utilisé en gazon dans les zones méditerranéennes) et de deux gommiers platane (Corymbia maculata, une espèce d’eucalyptus endémique). 

    En début d’année 2, la végétation de la parcelle a été modifiée après enlèvement du couvert de pennisète clandestin et un ajout de terreau et d’amendements organiques. 12 espèces de plantes établies dans la région de Melbourne ont été introduites sur la parcelle, le sol a été recouvert d’un paillage organique. La palette végétale a été composé pour représenter toutes les strates de végétation (herbacée, bulbeuses, arbustive et arborée).

    L’entretien de la parcelle sur les 3 années d’observation s’est limité à un désherbage manuel léger pour éviter l’envahissement par des adventices. Aucun arrosage et aucune fertilisation n’ont été faits au cours des 3 années d’observation. En année 2, quatre des douze espèces de plantes introduites avaient péri et une nouvelle espèce a été introduite en remplacement.

    3.3. Pour quels résultats ?

    Dès la première année après la plantation, les chercheurs ont constaté une augmentation par un facteur 5 de la richesse en espèces d’insectes de la parcelle. Au bout de 3 années, 9 des 13 espèces végétales introduites étaient installées de façon pérenne sur la parcelle et une augmentation de facteur 7 de la richesse en espèces d’insectes était mesurée par rapport à la situation initiale.

    Extrait des résultats de l'étude sur les insectes
    Extrait des résultats de l'étude sur les insectes

    3.4. Quelles conclusions ?

    Ces travaux permettent d’objectiver l’impact positif d’actions de diversification de la palette végétale et de modification des pratiques d’entretiens, prouvant que même de très petits espaces peuvent devenir de meilleur support de biodiversité en ville que de grands espaces verts plus pauvres en espèce et maintenu avec les pratiques jardinière « classique » que l’on rencontre dans nos villes.

    Si 195 m² isolés dans un environnement urbain très denses peuvent, avec de simples actions de végétalisation et d’adaptation de leur entretien, multiplier par 7 leur capacité à être support de biodiversité, nous avons collectivement d’immenses marges de progrès pour faire advenir le plein potentiel de nos jardins urbains.

    Les processus de densification douce, qui reposent sur un accompagnement technique et personnalisé des habitants, peuvent être les catalyseurs de ce progrès : ils créent une opportunité unique pour renouveler le rapport au jardin, engager les jardiniers dans la diversification de leur palette végétale et modifier les pratiques d’entretiens, ceci d’autant plus que la surface à entretenir est à l’échelle du temps que chacun peut y consacrer chaque jour, sans recours à des engins thermiques.

    4. La densification des tissus bâti, leur adaptation aux risques de canicules et l’activation de leur potentiel environnemental sont-ils antagonistes ?

    Les travaux de l’APUR sur le Pavillonnaire Francilien comme celui de Luis Mata et al. nous enseignent que ce n’est pas parce qu’un jardin ressort en « vert » sur une photo aérienne qu’il est support de biodiversité et qu’il déploie tout son potentiel en matière de la régulation du micro-climat urbain. Néanmoins il semble admis que ces espaces verts et ces jardins, aussi imparfaits soient-ils, restent préférables à un projet de densification qui viendrait occuper l’espace libre et grever définitivement le potentiel du jardin en matière de biodiversité et de bio climatisme.

    Faut-il donc choisir entre l’impact social et l’impact environnemental de nos stratégies d’aménagement ou bien est-il possible de trouver des synergies ?

    Partant du constat qu’une majorité de jardins ne présentent à l’heure actuelle aucun intérêt pour la biodiversité et d’apportent aucune contribution à nos cadres de vie (77% dans l’étude sur le pavillonnaire de Montfermeil) et qu’en travaillant avec les jardiniers à la reconfiguration de leur jardins et de leurs pratiques nous disposons de marges de progrès immense en terme d’impact sur la régulation du micro-climat urbain et sur le renforcement de la biodiversité, à nous tous praticiens de la ville, de faire de la densification douce un levier puissant pour relever ces défis.


    NOTES

    1. Hanss, T., & Miet, D. (2024, January 11). La densification peut-elle être un levier pour améliorer la biodiversité ? https://publications.vv.energy/densification-biodiversite.html ↩︎
    2. La mise en place de prototypes ou d’expériences urbaines grandeur nature sur des échantillons et des territoires tests, avec une participation active des usagers et des citoyens, pourraient constituer un levier important dans la diffusion d’idées, de process et de produits complexes auprès des élus et du grand public, notamment sur des questions comme les boulevards métropolitains, la construction sur les toits, la densification du pavillonnaire, la requalification des ZAE, etc. Ainsi, des savoir-faire sont à partager à l’instar du projet BIMBY (Build in my backyard) mené dans le PNR Haute Vallée de Chevreuse. Cette démarche, mobilisable par les territoires ruraux et périurbains, s’intéresse à la construction diffuse à l’intérieur des tissus bâtis, notamment pavillonnaires, vus comme un potentiel et une filière à exploiter pour répondre aux enjeux du logement. (Fascicule 5 Île-de-France 2030 – PROPOSITIONS POUR LA MISE EN, p.74) ↩︎
    3. https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/le-zan-au-defi-de-la-connaissance-des-sols/ ↩︎
    4. https://www.apur.org/fr/nos-travaux/ville-pavillonnaire-grand-paris-enjeux-perspectives ↩︎

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