Lancer une opération de densification douce pilotée par la collectivité : les erreurs à ne pas commettre dans la façon de nouer le dialogue avec les habitants

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8 min de lecture.  |  Publié le 22/01/2025 sur | Mis à jour le 21/01/25

Voici le retour d’expérience issu des premières expérimentations grandeur nature du concept BIMBY commencé en 2010, dans le petit village du Tremblay-sur-Mauldre, situé dans les Yvelines. Avec, l’ensemble des erreurs à ne surtout pas commettre pour réussir une opération de densification douce pilotée par la collectivité.

Ne surtout pas faire comme d’habitude


Source: Le Télégramme – Des fonds de jardins convoités et des propriétaires inquiets.

La première de ces erreurs, celle que tout le monde commet, c’est :

– de rechercher les terrains les plus pertinents pour une densification douce (avec des critères techniques)

– puis de les cibler en les repérer au plan,

– et enfin de dessiner des hypothèses de projet sur ces parcelles.

La règle absolue à respecter est toute inverse : dans le cadre d’une opération BIMBY — qui consiste à associer la collectivité et les habitants dans la densification douce des tissus pavillonnaires :

– ne jamais dessiner sur la parcelle d’un propriétaire sans avoir noué le dialogue avant.

Voici pourquoi.

Les expérimentations grandeur nature du concept BIMBY ont commencé en 2010, dans le petit village du Tremblay-sur-Mauldre, situé dans les Yvelines.

Pionnier, le maire nous a laissé entamer ce processus de discussion collective de cette hypothèse d’ajout de logements supplémentaires dans les jardins. Et pionniers également, nous, urbanistes, avons suivi exactement les 3 étapes indiquées plus haut.

Nous avons donc :

– repéré un lotissement bien situé,

– avec des parcelles qui se prêteraient bien à l’ajout d’une seconde maison (vastes, avec la maison initiale sur le côté)

– et avons commencé à dessiner, entre élus et techniciens, des hypothèses de projet et simulations.

Lorsque ces images et ces plans sont sortis des cercles restreints de discussion des réunions techniques d’urbanisme, nous avons commencé à comprendre notre erreur : procéder de façon classique, comme nous procédons lorsque nous conduisons un projet qui implique que la collectivité maîtrise le foncier. C’est alors qu’elle est naturellement légitime à cibler l’acquisition de certaines fonciers spécifiques, plutôt que d’autres, et à étudier la faisabilité de certains scénarios de projet.

Or dans le cadre d’une opération de densification douce, il en va tout autrement : la collectivité ne va pas se porter acquéreur ni des maisons, ni des bouts de jardins qui pourraient accueillir de nouvelles constructions.

C’est d’ailleurs le principal danger, en terme de dialogue avec les habitants : que certains croient qu’ils seront peut-être expropriés…

Ne jamais discuter de façon collective et publique de projets individuels


Source : Numéro 141 – MAI/JUIN 2013 – l’ESSENTIEL
blog.elueslocales.fr/wp-content/uploads/2021/05/essentiel-bimby.pdf

La 1ère erreur que l’on commet tous, c’est de :

– dessiner des hypothèses de projet sur des parcelles que la collectivité de projette pas d’acquérir,

et qu’il faut plutôt :

– ne jamais dessiner sur la parcelle d’un propriétaire sans avoir noué le dialogue avant.

Ne pas avoir respecté cette règle en 2010, au Tremblay-sur-Mauldre dans les Yvelines, lors de la 1ère expérimentation BIMBY, a abouti aux conséquences suivantes :

– Certains habitants ayant vu nos dessins de 2ème maison dans les jardins – que nous avions communiqués à la presse locale pour lancer le débat — n’ont pas compris qui allait les faire construire : la mairie ?

– D’autres en ont déduit qu’ils allaient se faire exproprier : tout le monde connait, au degré 1 ou 2 de son entourage, quelqu’un à qui une telle aventure est arrivée.

– Les habitants du lotissement que nous avions ciblé — comme le plus pertinent de la commune — se sont organisés et ont signé une pétition qu’ils ont envoyé au maire avec copie au préfet.

Échec complet.

Pour reprendre la main, le maire décide d’organiser une réunion publique d’information et d’échange, avec les habitants.

Et c’est là que nous avons commis la 2ème erreur, tout aussi grossière que la première :

– discuter, de façon collective et publique (plus de 100 participants à la réunion publique en l’occurrence, dans ce petit village de 1’000 habitants…) de projets qui ont vocation à se produire sur des parcelles privées, et qui relèvent de l’intime, de décisions personnelles.

Diviser un terrain pour financer les études d’un enfant, se reconstruire pour soi-même un plain-pied plus adapté pour ses vieux jours, car monter les escaliers chaque jour devient pénible, souhaiter réduire la charge d’entretien du jardin, qui constitue une charge trop importante aujourd’hui …

Tout cela n’a rien d’infamant mais la plupart d’entre nous préfèrent en discuter en privé. Bien entendu. Personne, ou presque, n’est prêt à prendre la parole en public pour exposer ses réflexions personnelles.

Mais nos modes opératoires classiques d’urbanistes procèdent ainsi :

– réfléchir entre élus et urbanistes,

– imaginer et dessiner des scénarios, des plans,

– montrer ces hypothèses et scénarios lors de réunions ou de manifestations publiques, afin d’ouvrir le débat de façon collective.

Lorsque nous touchons à quelque chose d’aussi précieux, intime et privé que la parcelle, la maison et le jardin, mais aussi le patrimoine familial d’un ménage, nous ne pouvons cependant pas procéder de la sorte.

– Notre réunion publique dura des heures et des heures, avec des habitants remontés à bloc,

– Elle fut un échec complet.

La 2ème règle à respecter, est la suivante :

– ne jamais discuter de façon collective de projets qui sont destinés à être de nature personnelle, intime, privée.

1ers essais, 1ers échecs : l’idée des entretiens BIMBY


Source: Journal BIMBY #1 – Aout 2012 – Premiers retours d’expériences
parc-naturel-chevreuse.fr/sites/default/files/media/journal_bimby_1.pdf

Récapitulons les enseignements de la 1ère expérimentation BIMBY conduite à partir de 2010 dans le petit village du Tremblay-sur-Mauldre où nous avons commis nos deux 1ères grandes erreurs :

– Dessiner dans le jardin des habitants sans leur en avoir parlé auparavant — ce qui s’est soldé par une pétition signée à l’unanimité par les habitants du lotissement que nous avions ciblé.

– Aborder la discussion avec la population directement en réunion publique en y exposant des cas particuliers de la commune, ce qui s’est traduit par une ambiance et des échanges de feu… mais contre-productifs au final.

Au pieds du mur, le maire et son conseil municipal nous ont demandé — légitimement — quelle pourrait être la suite.

Si nous appliquons les 2 règles — issues des 2 apprentissages précédents — à savoir,

– Ne pas dessiner à l’avance,

– Discuter de façon individuelle,

Cela veut dire qu’il faudrait discuter individuellement avec chaque propriétaire d’une maison avec jardin sur le territoire de la commune ?

La mer à boire s’exclame un élu …

ou pas réponds un autre !

La commune du Tremblay-sur-Mauldre comptait à l’époque quelques 270 maisons individuelles.

Si nous les invitons tous à un échange, tous ne viendront pas ! Un quart ou tiers d’entre eux au maximum …

Peut-on recevoir 90 personnes ?

En se donnant des créneaux d’une heure, c’est faisable sur 4 jours, avec une équipe de 4 personnes en parallèle, c’est à dire sur 2 week-ends

Que peut-on faire d’utile en 1h ? Un architecte est-il capable de nouer le dialogue, de rétablir un climat de confiance, d’écouter, de dessiner, en live, différentes options, en une heure ?

Et c’est ainsi que les premiers tests d’entretiens BIMBY ont eu lieu.

Il s’en est produit plusieurs milliers en France, depuis, selon un processus aujourd’hui bien huilé :

– La mairie décide de lancer la révision de son document d’urbanisme (pour le Tremblay-sur-Mauldre, le passage du POS au PLU).

– Ceci constitue un bon prétexte pour inviter les habitants à la réflexion : avant d’établir les règles qui s’appliqueront dans les 10 prochaines années sur la commune, nous avons souhaité consulter les habitants sur les évolutions possibles ou souhaitables de leurs parcelles .

– Nous établissons un contrat moral de réflexion partagée sans engagement ni d’un côté de l’autre  : un architecte va dessiner avec vous, pendant une heure et selon les scénarios que vous souhaitez étudier, des hypothèses d’évolution de votre propriété ; à l’issue, cette réflexion sera partagée avec l’équipe qui élabore le PLU ; la commune ne s’engage pas à ce que tout ce que vous ferez dessiner à l’architecte soit réalisable dans le futur PLU, bien entendu, comme vous ne vous engagez pas à réaliser ce que vous imaginerez et dessinerez avec l’architecte

Bien sûr !

70 propriétaires porteurs de projets et des milliers à venir


Source: Projet ANR BIMBY – Cartographie des projets BIMBY dans le cadre de l’opération du Tremblay sur Mauldre en 2010.

Suite à nos échecs répétés d’entrer en contact — dans un climat favorable à des discussions constructives sur l’avenir de leurs parcelles — avec les propriétaires du Tremblay-sur-Mauldre, nous avons donc été contraints, afin appliquer les 2 préceptes :

– Ne pas dessiner sur les terrains des habitants avant d’avoir noué la discussion,

– Ne pas commencer à discuter de façon collective de projets privés particuliers,

d’inventer une autre forme de dialogue entre la collectivité et sa multitude de petits propriétaires terriens.

Pour la première fois en France, donc, la commune a invité l’ensemble des propriétaires à des consultations individuelles dans le cadre suivant :

– La mairie décide de lancer l’élaboration de son PLU,

– Avant d’établir les règles, elle souhait consulter les habitants sur les évolutions possibles ou souhaitables de leurs parcelles,

– Il s’agit d’une réflexion partagée entre les propriétaires et la collectivité, sans engagement ni d’un côté ni de l’autre.

Les résultats sont impressionnants :

– 70 propriétaires se présentent à ces entretiens,

– 50 d’entre eux dessinent, en live, avec les architectes et sur la base d’une modélisation 3D réalisée en temps réel, des scénarios de division et de construction qui, s’ils aboutissaient, produiraient quelques 90 nouveaux logements, soit plus que les besoins de la commune pour les 10 ans à venir,

– le tout sur des parcelles déjà bâties et branchés à des voiries existantes.

Alors bien sûr,

– tout le monde n’est pas venu,

– tous les projets ne se réaliseront pas,

– une somme de projets individuels ne constituent pas un projet de développement pour la commune.

Mais cette étape décisive nous a fait plonger, élus et urbanistes, dans une réalité que noue ne connaissions que de façon générale ou, au contraire, à travers quelques cas particuliers, la réalité :

– des propriétaires âgés dont le terrain est trop grand et difficile à entretenir,

– de ceux qui voudraient aider un enfant à accéder à la propriété ,

– de ceux que réaliser un investissement locatif dans son jardin ne laisse pas indifférent,

– de ceux qui ont des projets à financer — rénovation de la maison, études des enfants, frais de maison de retraite pour un parent dépendant — et qui découvrent qu’ils peuvent mobiliser une partie de leur patrimoine sans quitter leur maison…

Nous avons compris :

– Que le potentiel de densification douce d’une parcelle dépend peu de ses caractéristiques physiques,

– Qu’il dépend avant tout des évènements et problématiques de vie de ses occupants,

Que les habitants sont prêts, à travers un tiers médiateur, à partager leurs réflexions familiales et patrimoniales personnelles avec la collectivité au moment où celle-ci envisage l’avenir, dans un cadre adapté.

Un cadre que nous avons découvert par étapes, échec après échec, et qui aujourd’hui fonctionne !