L’immeuble et l’oiseau : les autres usages de nos bâtiments

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7 min de lecture.  |  Publié le 12/12/24

Salu Sabiq | unsplash.com

Les constructions humaines ne sont pas seulement nos logements, nos lieux de travail, de rencontres et de représentations. Ils ont, de tout temps, été utilisés par des espèces animales installées dans nos villes, en particulier les oiseaux, qui y trouvent un habitat essentiel à leur cycle de vie.

La préservation des constructions anciennes, un enjeux de biodiversité urbaine ?

Dans son guide technique Rénovation du bâti et biodiversité1 , paru au mois de novembre 2024, la Ligue de Protection des Oiseaux détaille les points d’intérêt du bâti ancien qu’il convient de préserver à l’occasion des travaux de rénovation. Le constat d’Allain Bougrain Dubourg, du président de la LPO, pointe un enjeu clé pour la conservation d’une partie importante de la biodiversité urbaine :

Au sein même de nos habitations, nous coexistons avec la faune sauvage. Martinets, hirondelles, lézards, insectes, ou chauves souris dépendent en effet de la capacité de nos bâtiments à les accueillir pour leur survie. Or, ces animaux emblématiques de l’écosystème urbain, désormais inféodés au bâti, connaissent aujourd’hui un déclin très important. Un quart des hirondelles de fenêtre, la moitié. des martinets noirs, les trois-quarts des moineaux parisiens ont ainsi disparu en moins de 20 ans.

Parmi les causes de cet effondrement : la destruction des habitats de ces espèces protégées lors de travaux de rénovation énergétique et de démolition des constructions anciennes.

Ce déclin des espèces inféodées au bâti est bien documenté : le programme STOC2 (Suivi Temporel des Oiseaux Communs), conduit sur 30 ans (1989-2019) par l’Office Français de la Biodiversité, le réseau Vigie Nature, le Muséum National d’Histoire Naturelle, la LPO France et BirdLife International, a permis de mesurer l’évolution de l’abondance relatives des oiseaux selon leur groupe de spécialisation, dont celles liées au milieu bâti urbain. Les oiseaux spécialistes du milieu urbain ont connu en 30 ans une chute de 27,6%, presque autant que le groupe d’oiseaux des milieux agricoles (-29,5%) (fig. n°1).


Figure n°1 : Suivi Temporel des Oiseaux Communs (1989-2019)

Le groupe d’experts n’hésite pas à parler d’hécatombe 3 et pointe la responsabilité de la transformation des bâtiments qui induit une perte des lieux de nidification ainsi qu’une artificialisation toujours plus forte des milieux urbains (abattage des vieux arbres notamment). L’enjeu de conservation de la biodiversité urbaine est donc en partie lié à celui de la conservation et au développement des caractéristiques qui permettent au bâti d’être utile à la faune.

Modénatures, ornements et aspérités : les clés de l’intérêt du bâti ancien pour la faune urbaine

Dans son guide technique, la LPO nous propose de découvrir les principales espèces inféodées au bâti : chauves-souris (Pipistrelle commune, Noctule commune), hirondelles de fenêtre, martinets noir et à ventre blanc, moineau domestique, rougequeue noir, chouette effraie des clochers, choucas des tours,…

L’analyse des éléments du bâti qui sont utiles pour leur habitat souligne que ce sont les éléments de structure, de modénatures et d’ornements (lesquels sont intimement liés) et les aspérités des matériaux traditionnels qui constituent des ressources clés pour les oiseaux (fig. n°2) : entre-pannes, voligeages, abergement, œil de boeuf, volets battants, débords de toit, auvent, chiens assis, fissures et cavités, bavettes, canalisation d’eau pluviale en façade,… Autant d’éléments qui peuvent se retrouver gommés à l’occasion de travaux de rénovation (notamment des travaux d’isolation par l’extérieur des bâtiments).


Figure n°2 : identification des ressources dans le bâti existant selon les espèces inféodées au milieu urbain.

La LPO propose des méthodes d’identification préalable de la faune présente sur site et liste les solutions techniques pour éviter la dégradation de leur habitat pour lesquelles l’on dispose d’un retour d’expérience grâce aux expérimentations menées sur 11 sites pilotes dans l’hexagone (reconstitution des cavités en façades, maintien accès aux combles ou aux caves, repose d’éléments traditionnels comme les volets battants,…).

Comment faire du bâti neuf une opportunité pour la conservation de la biodiversité urbaine ?

Préserver les qualités du bâti ancien est donc essentiel. Mais comment appréhender, selon les recommandations de la LPO, les nouveaux bâtiments qui voient le jour dans certains quartiers où la demande de logement est forte.

Pour bâtir, il convient de tirer les enseignements de l’analyse des caractéristiques du bâti ancien qui le rendent favorable à la biodiversité urbaine et d’en appliquer les principes dans les projets de constructions neuves pour qu’elles aussi, profitent à la biodiversité en ville.

Faire aussi bien dans le neuf implique donc de recourir aux caractéristiques qui ont permis au bâti ancien d’offrir le gîte à de nombreuses espèces en ville : modénatures et ornements, en particulier, qui jouent par ailleurs un rôle clé dans l’acceptabilité de la densité en ville par la qualité esthétique qu’ils apportent mais aussi de mobiliser les innovations de l’art de bâtir aujourd’hui comme par exemple les toitures plantées(fig. n°3).


Figure n°3 : Identification des éléments de conception d’un bâtiment résidentiels favorables à la biodiversité selon Visintin et al. 20214 : (1) jardins sur le toit avec une gamme diversifiée d’espèces ; (2) avant-toits pour oiseaux et les chauves-souris ; (3) vitrages avec dispositifs anti collisions ; (4) des cavités en brique pour les oiseaux, les chauves-souris et les insectes pollinisateurs ; (5) un éclairage respectueux de la faune ; (6) murs végétaux avec une gamme diversifiée d’espèces; (7) des jardinières avec une gamme diversifiée d’espèces pour relier le bâtiment au paysage ; (8) structure d’habitat diversifiée avec des arbres, des arbustes et de petites plantes ; (9) zones surélevées de construction / vides sanitaires accessibles ; (10) enclos pour animaux de compagnie accessibles à l’extérieur et séparés en toute sécurité de la faune sauvage ; et (11) nichoirs dans les arbres.

La présence du végétal sur le bâti lui-même, en particulier l’utilisation de plantes grimpantes, est un levier important pour favoriser la création d’habitats viables pour la faune urbaine.

Une recherche empirique menée en Angleterre5, dans les villes de Stoke-on-Trent et Newcastle, a mesuré l’effet du couvert végétal des plantes grimpantes sur les murs — disposant d’au moins 3 m² de couvert végétal interrompu — sur la présence d’oiseaux en milieux urbain, comparativement à des murs similaires sans végétation, dans le même contexte urbain (dimension, matériaux des murs, type de toiture et occupation des terrains avoisinants).

Des campagnes d’observations ont été menées sur un échantillon de 27 murs en période estivale (juillet et août) et en période hivernale (de janvier à mars), dans des conditions de météo clémente, mais aussi pluvieuse et venteuse. 9 espèces d’oiseaux ont été identifiées, et leur présence corrélée massivement à la présence des plantes grimpantes sur les murs (fig. n°4), utilisées comme refuge et point d’alimentation, particulièrement par les espèces insectivores. Des cas de nichés dans le couvert végétal de plantes grimpantes matures et d’un volume suffisant ont également été identifiés pour 3 espèces : Etourneaux (Sturnus vulgaris), Moineau domestique (Passer domesticus) et merle noir (Turdus merula).

L’étude pointe également l’intérêt particulier des plantes grimpantes persistantes pour les oiseaux en climat tempéré car elles offrent des refuges isolés du vent en période hivernale. Le lierre commun (Hedera helix) est une grimpante particulièrement utile pour les oiseaux en ville : en plus d’offrir un gîte isolé en hiver grâce à ses feuilles persistantes, la période de maturité de ses baies (décembre à janvier) fournit à de nombreux oiseaux une source de nourriture précieuse en période froide.

La conduite de plantes grimpantes sur les bâtiments de nos villes apparaît donc comme une façon simple et très efficace pour contribuer à la préservation de la biodiversité urbaine. A cela s’ajoutent d’autres qualités comme celles de protéger nos habitations des chaleurs estivales, d’isoler nos bâtiments en hiver ou encore de protéger les revêtements des murs des agressions extérieures (gel, pluie, pollution).


Figure n°4 : Abondance moyenne d’oiseaux selon la présence ou non de plantes grimpantes (deciduous = feuillage caduc, evergreen = feuillage persistant).

Notes :

  1. Le guide Rénovation du bâti et biodiversité
  2. bilan des 30 ans du STOC
  3. communiqué de presse du Muséum National d’Histoire Naturelle pour la présentation des résultat du programme STOC
  4. Visintin, C., Garrard, G. E.,Weisser, W. W., Baracco, M., Hobbs, R. J., & Bekessy, S.A. (2024): Designing cities for everyday nature.Conservation Biology, e14328.
  5. Chiquet, Caroline & Dover, J. & Mitchell, Paul. (2012). Birds and the urban environment: The value of green walls. Urban Ecosystems. 16. 10.1007/s11252-012-0277-9.

COMMENTAIRES

  1. Villatte dit :

    Excellent article. Merci Thomas.

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