Je vous propose d’examiner le cas particulier de la fractalité du réseau viaire à partir des travaux quantitatifs du géographe Pierre Frankhauser.
1. Fractalité, hiérarchie, redondance
Prenez un plan de Paris : des Champs‑Élysées jusqu’aux passages du Marais, chaque espace de la capitale révèle le même motif hiérarchique et redondant
Antifragilité : éloge de la redondance
d’artères, de rues
Et si on laissait nos rues respirer, onduler, vivre ?
intermédiaires puis de ruelles.
Frankhauser a construit une méthode pour mesurer cette dimension fractale D
du réseau viaire.
Dans les centres historiques, partout dans le monde, D flirte avec une valeur de 1,9 ; dans les couronnes périurbaines, D descend vers 1,7 ; aux lisières diffuses des agglomérations, D peut s’affaisser vers 1,6.
Chaque décrochage se traduit par des rues plus longues, moins de connexions, plus de détours à pied, comme en voiture.
2. Densité : économie d’échelle de 1er ordre
La densité
La densité : un amour inavouable ?
fait déjà beaucoup :
- loger deux fois plus de monde dans le même périmètre divise quasiment par deux le linéaire de trottoirs, de canalisations et d’enrobé par habitant, et donc les coûts d’entretien ;
- en créant de la proximité, elle raccourcit aussi les distances à parcourir.
- Augmenter la densité réduit les distances et le linéaire de voie par habitant ;
- Relever la fractalité D permet de réaliser une économie d’échelle sur les voies.
3. Fractalité : économie d’échelle de 2ème ordre
Mais la densité n’est pas tout. Frankhauser montre qu’un réseau fractal
Mais à quoi sert qu’une ville soit « fractale » ?
absorbe la croissance de population bien mieux qu’un me grille euclidienne classique.
Dans un plan en damier, à densité égale, doubler la population implique de doubler le linéaire de voies.
Si l’on suit un modèle de tissu urbain fractal moyen (D=1,8), le réseau viaire ne doit être augmenté que de 70%.
Les nouvelles percées se greffent sur la hiérarchie existante au lieu de la démultiplier.
Résultat : des budgets réduits, moins d’artères à entretenir, mais autant — voire plus — de chemins praticables.
La fractalité agit aussi comme un amortisseur.
Quand la variation de D d’un quartier à l’autre reste modérée, la ville propose toujours un itinéraire de repli en cas de travaux, sans devenir un labyrinthe incompréhensible.
Trop d’uniformité rend le réseau fragile ; trop de contraste engendre un manque de lisibilité.
4. Deux leviers qui se complètent
Travailler ces deux facteurs, c’est offrir à la ville intensité et fluidité : plus de vie sur moins de sols, des chemins plus courts, en particulier pour les modes doux, une infrastructure moins lourde et un tissu capable d’encaisser l’imprévu.
Gardons cette double clé de lecture : compter le nombre d’habitants par hectare, oui. Mais mesurer et travailler aussi la profondeur et la redondance du réseau viaire.