L’optimisation des espaces : des territoires aux logements
Je suis un urbaniste passionné… et très énervé par la situation actuelle de la construction en France, et tout ce qui en découle : la crise du logement et notre incapacité […]
Muriel Breiman | lexpress.fr
En décembre 2023, j’ai été interviewé par Muriel Breiman dans L’Express — l’occasion pour moi d’expliquer où, comment et pourquoi je pense que nous devrions construire.
J’y pointe la responsabilité des maires, certes, mais également la nôtre en tant qu’urbanistes : dans les premières couronnes des grandes agglomérations dynamiques, nos documents d’urbanisme contiennent moins de possibilités de densifier le tissu urbain existant qu’il y a 10 ans !
Depuis la loi ALUR de 2014, qui a supprimé le COS et le minimum parcellaire, nous avons assisté à une surenchère de règles se superposant les unes aux autres et empêchant la densification douce et/ou forte dans une très grande majorité de tissus urbains composant les secteurs tendus de nos territoires.
En d’autre termes : tandis que nous débattons à longueur de journée du ZAN (et prononçons au moins 10 fois par jour le mot « sobriété »), nos documents d’urbanisme empêchent sa réalisation, en réduisant drastiquement les possibilités d’intensifier la ville existante.
« Le ZAN est ambitieux pour la protection des terres agricoles mais il n’a pas de contrepartie. Il faudrait en parallèle autoriser la densification des espaces bâtis. »
« C’est la préoccupation principale des ménages, et pourtant elle n’est jamais au cœur des politiques. Parce que le sujet est complexe, bourré de réglementations, très largement issu d’une planification de l’État et des collectivités territoriales. À l’approche de l’hiver dernier, on s’inquiétait des pénuries d’énergie, tout le monde voyait bien que les prix montaient car la demande risquait de rencontrer une offre insuffisante. »
« Sur les sujets d’alimentation, de médicaments aussi, le concept de pénurie est clair, évident, accepté dans le débat public. Mais on refuse de l’employer pour parler du logement. Les professionnels de l’aménagement du territoire et les responsables politiques font un déni de réalité qui s’apparente de plus en plus à un refus d’obstacle. »
« C’est une catastrophe du point de vue de l’égalité intergénérationnelle et un boulet de plus pour l’économie française. Si le travail ne permet plus de se loger correctement, c’est très grave. Les jeunes ne vont plus vouloir s’investir dans un métier qui ne leur permet pas d’acheter une maison. »
« On entre dans une ère de sobriété et le mot a pris une valeur morale. Dans le milieu de l’urbanisme, au lieu de voir la pénurie, les difficultés sociales, on voit de la sobriété. Les justifications des élus pour interdire de construire sont quasiment toujours écologiques, alors que le résultat est que les gens vont se loger plus loin et prennent leur voiture au lieu de monter dans un tramway. »
« Il est simpliste de dire que ‘moins c’est mieux’. Il faut construire beaucoup là où il y a des transports en commun et moins là où il n’y en a pas. »
« On s’est illusionné avec l’idée d’un exode urbain post-Covid qui aurait pu rééquilibrer l’occupation du territoire mais en réalité, les gens ne sont pas complètement libres d’habiter où ils le souhaitent. Oui, dans l’idéal il faudrait redynamiser les villes moyennes. C’était possible quand de grands employeurs structurants comme EDF, Renault, SNCF, Michelin… offraient des postes à vie. Dans le monde qui vient, que cela soit par volonté ou par précarisation des emplois, un jeune prévoit de changer de job dix fois dans sa carrière : il ne peut pas vivre dans une ville où il y a peu d’opportunités, il préfèrera aller dans une grande métropole dynamique. Ce ne seront plus les grands employeurs qui vont garantir la sécurité économique des foyers, mais certaines grandes villes. C’est aujourd’hui ce que l’on observe quand ceux qui veulent quitter Paris optent pour Lyon, Marseille, Nantes ou Bordeaux. »
« Une des voies à laquelle peu de personnes pensent, c’est celle de la maison : plutôt que de l’exclure dogmatiquement du prolongement du PTZ en 2024, et de la mesure d’abattement de la taxe sur les plus-values de cessions de terrains, l’État et les collectivités devraient tout faire pour soutenir ces TPE et PME locales qui construisent l’essentiel du logement abordable en France depuis des décennies. Une telle politique serait parfaitement compatible avec le ZAN, mais aussi avec le désir et les aspirations des Français. »
« On ne peut pas d’un côté centraliser la politique de non-artificialisation des sols — la politique du ZAN est élaborée par l’État à l’échelle nationale, avant d’être déclinée localement — et de l’autre décentraliser ce qui devrait être le pendant de cette politique, à savoir ouvrir massivement les droits à bâtir en densification. »
« Si l’État est le fer de lance du ZAN, il doit aussi être celui de l’effort de la construction des logements dans les territoires qui en manquent. »
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