Les ingénieurs dont nous avons besoin ne sont pas du même type que les ingénieurs d’hier
Les ingénieurs ne sont pas assez nombreux. Il en manquerait 15 000 supplémentaires chaque année. Certes. Mais les “ingénieurs” dont nous avons besoin aujourd’hui sont-ils “du même type” que ceux dont nous avons eu besoin jusqu’ici ?
Que ceux qui nous ont conduit dans la situation où nous sommes ?
Suffirait-il de “greffer de vertes intentions” à cet ancien moule de l’ingénierie pour que nous prenions une direction nouvelle ?
Ce cadre de compétences analytiques qui nous a emmené, avec brio, dans des directions que nous souhaitons aujourd’hui infléchir, radicalement, ne devrions-nous pas travailler à l’infléchir, le transformer, radicalement ?
A côté de la dimension quantitative de la question des compétences, qu’aborde cette tribune d’Emmanuel Duflos, président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, se pose une question autrement plus fondamentale, qualitative :
Possédons-nous le type de compétence nécessaire pour résoudre les problèmes auxquels nous avons à faire face, sans engendrer d’effets rebonds, d’injustice, sans rogner dangereusement nos libertés individuelles et collectives ?
Le type de compétences des ingénieurs d’hier ne constitue-t-il pas, finalement, une limite dans notre façon de réaliser nos buts ?
Nous avons besoin de compétences systémiques, capables de concevoir et d’opérer dans des environnements à forte composante bottom up
Mon expérience de 10 ans de R&D au sein de Villes Vivantes à développer de nouveaux métiers qui nous permettront 1/ de réaliser le zan (Zéro Artificialisation Nette) et 2/ de reconfigurer et rénover le parc bâti existant, 3/ tout en rendant plus abordable le logement, 4/ sans le standardiser ni le normer à outrance, m’amène à répondre ceci :
Le type de compétence dont nous avons besoin « sur le terrain » ne se trouve ni dans les cursus qui forment aux métiers actuels de l’ingénieur, ni dans ceux qui forment aux métiers actuels de l’architecture et de l’urbanisme, de l’immobilier, de la gestion de patrimoine ou encore du doit. Les mix, les assemblages de connaissances, ne sont pas les bons.
Nous avons intensément besoin de compétences, de métiers et de formations multifacettes, systémiques, capables de concevoir et d’opérer dans des environnements complexes à forte composante bottom up.
Cette question du passage à l’échelle des nouvelles compétences dont nous avons besoin (et pas seulement de nos vertes intentions) est pour moi la question la plus importante que nous avons à résoudre aujourd’hui : quels sont les métiers de pointe, les compétences expertes et donc les vocations – des individus capables de se former longuement et d’exercer dans une voie pendant de longues années pour se perfectionner – dont nous aurons véritablement besoin dans les années à venir ?
La question est quantitative, mais aussi et surtout qualitative : il nous faut “rebâtir l’esprit scientifique français », selon les mots de l’auteur de cette tribune. Peut-être, et même sans doute, sur des bases différentes. Des bases qui changent ce qu’ « ingénieur” veut dire.