Il faut sauver le soldat Pinsapo

Par
4 min de lecture.  |  Publié le 24/12/2024 sur | Mis à jour le 22/01/25

Crédit : Yves Darricau

Le Sapin Andalous (Abies Pinsapo)1 est un des nombreux sapins du pourtour méditerranéen, reliques du Tertiaire — un temps au climat moins rude — réfugiés dans les étages montagneux au dessus des chênes, là où un peu de fraîcheur et parfois de neige permet leur survie (fig. n°1).

L’andalous découvert et décrit en 1837 est maintenant protégé des feux et du bétail, et est choyé — sur 8’000 ha — par les forestiers espagnols2 qui l’ont aussi délocalisé pour multiplier ses chances de survie dans les sommets où son futur reste à risques face à l’implacable mécanique climatique en cours 3 & 4.

Son histoire prit un premier tournant grâce à sa beauté : nos forestiers l’ont testé et oublié car trop branchu. Certaines expériences menées dans les forêts provençales laissent toutefois entrevoir certaines vertus, comme son excellente reprise à la plantation, sa résistance à la prédation du bétail et sa capacité de régénération du couvert forestier grâce à sa fécondité exceptionnelle5.

Par contre, les paysagistes en firent vite un de leur chouchou.

Vilmorin, dans son almanach Le Bon Jardinier de 1871, écrit:

C’est un arbre dont l’introduction a fait, on peut le dire, époque dans l’horticulture, et il est peu de jardins aujourd’hui ou l’on n’en rencontre au moins un spécimen. La régularité de son port toujours pyramidal, la teinte sombre de son feuillage, sa grande rusticité et son aptitude à réussir presque dans tous les sols, expliquent et justifient la faveur dont il jouit.

Diffusé partout dans le pays, il est particulièrement visible dans le Nord du Gers grâce à un pépiniériste exceptionnel — Mr. Delrieu, à qui Fleurance doit sa rue de la Pépinière —, formé alors à l’Ecole de Versailles, et si dévoué à la beauté des paysages.

Sa signature tient à son port : petit sapin de Noël (fig. n°2), puis progressivement grande et grosse colonne — de plus de 20 mètres — (fig. n°3) se couronnant in fine, avec des aiguilles en écouvillon (fig. n°4) et des inflorescences pourpres (fig. n°5) suivies de cônes érigés en candélabres (fig. n°6) …

L’élan de la fin du XIXème a depuis cessé, même si le grand bio-climatologue toulousain Henri Gaussen reparle de son intérêt au sein des résineux en 1937 dans son ouvrage Les résineux des Pyrénées françaises6.

Il faut maintenant reprendre sa migration chez nous : elle aidera à sa survie7 et donnera aux paysages occitans un nouveau et beau marqueur répondant aux besoins et préoccupations du XXIème siècle.

Son histoire rejoindra celle du Gingko Biloba, si disséminé pour sa beauté, et quasi disparu du milieu naturel chinois.

Comme lui, il enrichira nos écosystèmes en souffrance, et fournira des résines à propolis pour nos abeilles.


Figure n°1 : Boisement sauvage d’Abies Pinsapo dans le Parc Naturel National du massif de la Sierra de las Nieves en Andalousie.
Source : Por los caminos de Málaga | commons.wikimedia.org

Figure n°2 : Abies pinsapo cultivar glauca à la teinte plus bleutée que le type. Ici dans sa forme juvénile, caractérisée par un port pyramidal régulier et dense.
Source : Four Seasons Garden | flickr.com

​​Figure n°3 : Exemple d’un Pin d’Espagne adulte remarquable dans le parc de la mairie de la commune de Gouex dans la Vienne : avec une hauteur de 34 mètres et une circonférence mesurée à 1 mètre du sol de plus 4 mètres c’est sans doute le spécimen adulte le plus grand que l’on peut rencontrer sur le territoire Français. On estime son âge à environ 180 ans.
Source : unknown | monumentaltrees.com

Figure n°4 : Jeunes pousse sur Abies pinsapo aurea avec la distribution caractéristique en écouvillon des aiguilles, tout autour de la circonférence des rameaux.
Source : Karl Gercens | flickr.com

Figure n°5 : Inflorescences sur Abies pinsapo cultivar glauca aux aiguilles bleutées.
Source : Dale Fillmore | flickr.com

Figure n°6 : Jeunes cônes d’Abies pinsapo couvert d’exsudats de résine végétale.
Source : The Tree Library | flickr.com

Notes :

  1. https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/79349
  2. A ce sujet Gabriel A. Gutiérrez Tejada de la Direction Générale de la Politique Forestière et de la Biodiversité publie régulièrement des informations sur l’avancement et l’évaluation des travaux de sauvegarde de l’Abies pinsapo en Espagne.
  3. Filippo Santini, Tatiana A. Shestakova, Svetlana Dashevskaya, Eduardo Notivol, Jordi Voltas, Dendroecological and genetic insights for future management of an old-planted forest of the endangered Mediterranean fir Abies Pinsapo, Dendrochronologia, Volume 63, 2020, 125754, ISSN 1125-7865.
    https://doi.org/10.1016/j.dendro.2020.12575
  4. Blanca-Reyes, Irene, Víctor Lechuga, María Teresa Llebrés, José A. Carreira, Concepción Ávila, Francisco M. Cánovas, and Vanessa Castro-Rodríguez. 2024. « Under Stress: Searching for Genes Involved in the Response of Abies pinsapo Boiss to Climate Change » International Journal of Molecular Sciences 25, no. 9: 4820.
    https://doi.org/10.3390/ijms25094820
  5. Le sapin d’Espagne Abies Pinsapo, une expérience en Haute-Provence. André Morel Amic, La Forêt méditerranéenne, T V, N°1, 1983.
    https://www.foret-mediterraneenne.org/fr/catalogue/id-398-le-sapin-d-espagne-abies-pinsapo-une-experience-en-haute-provence
  6. Les résineux des Pyrénées françaises, Henri Gaussen
    Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen Année 1937 8-2 pp. 184-206.
    https://www.persee.fr/doc/rgpso_0035-3221_1937_num_8_2_4253
  7. Fiches sur le statut d’espèce en danger auprès de l’IUCN et des actions de conservations en cours :
    https://threatenedconifers.rbge.org.uk/conifers/abies-pinsapo