L’expression n’a rien à voir avec un genre de trou normand
à base d’un élixir de fleurettes façon Chartreuse ou Génépi ! Elle correspond à un manque de floraisons dans nos paysages — à certaines périodes de l’année — et est employée par les apiculteurs qui en constatent les effets sur la miellée.
Elle prend tout son sens en cette année 2025 marquée par un hiver doux et un démarrage printanier précoce sur quasiment tout le territoire.
Au bilan, des floraisons riches bien avancées : le tilleul
Le tilleul oublié
a déjà fleuri dans le Sud, et pointe en Bretagne, idem pour les ronces. Mi-juin, les grandes floraisons seront partout terminées laissant place à un long été à rares fleurs.
C’est bien connu, le réchauffement climatique a avancé les vendanges de 3 semaines. C’est idem pour les floraisons des arbres mellifères comme le relève un apiculteur du Vexin1 qui tient à jour un journal phénologique2 depuis 10 ans.
Les chercheurs anglais le confirment3 : si l’avancée diffère selon les végétaux, (forte pour les herbes et les arbres tardifs, moindre pour les précoces) elle est de l’ordre du mois4 pour les principales floraisons. Leurs travaux relèvent également des variations liées aux variations climatiques géographiques (les floraisons sont ainsi en moyenne plus précoces de 6 jours dans le sud que dans le nord du Royaume-Uni) et locales (dans les zones urbaines, les premières floraisons sont plus précoces de 5 jours que dans les zones rurales). Restent quasi inamovibles les floraisons guidées par le photopériodisme5 des jours courts comme celle du lierre qui, du coup en devient stratégique, comme dernière ressource massive avant l’hiver.
La mécanique à l’œuvre est implacable : les floraisons de quantité de végétaux sont dirigées par les sommes de températures reçues par les bourgeons floraux (au-delà d’un seuil propre à chacun) : plus ça chauffe, plus la somme nécessaire pour fleurir est vite atteinte. On entrevoit la situation à +3°C en 2100 !
La traduction en est simple : si 75% de nos floraisons, qui avaient lieu sur 5 mois , se déroulent maintenant sur 4 mois, c’est bien 15% de ressources en moins pour la biodiversité
Nature en ville : les jardiniers urbains au secours de la biodiversité ?
!
Ceux qui dépendent des pollens
La fleur et le ver de terre
et nectars sont les premiers concernés, ceux qui comptent sur les fruits
Les haies de nos jardins participent à la sélection naturelle des végétaux adaptés au climat de demain
ensuite !
Le trou floral est bien l’éléphant dans la pièce
que les scénarios de transition climatique et les plans d’adaptation ne ciblent pas.
Partout, les flores locales souffrent en fleurissant plus tôt, et moins longtemps : elles ne suffiront pas seules à rabibocher les ressources dans nos paysages qui nourrissent moins et mal
Biodiversité : vers un nutri-score de nos plantations ?
les pollinisateurs et autres mangeurs de fleurs.
Il nous faut maintenant planter une palette enrichie : arbres
Arbres et nutri-score urbain
et arbustes en priorité, pour des fleurs quand il n’y en a — et n’en aura — plus : de juin à octobre, de la fin des floraisons des tilleuls ou châtaigniers à l’arrivée de celle du lierre
Le lierre : protecteur ou destructeur des murs ?
.
Pour exemple, voici quatre champions qui gagneraient à enrichir nos plantations pour combler le trou floral.
1. Le beau lila des Indes (Lagerstroemia indica)
Originaire d’Asie (Chine, Inde et Asie du Sud-Est), il assure 100 jours de pollen du mois de juillet à septembre. Ce petit arbre (ou un arbuste à port arborescent, selon sa conduite culturale) de la famille des Lythraceae peut atteindre entre 3 et 8 mètres de haut. Il préfère les sols bien drainés, neutres ou légèrement acides, et se plaît en exposition ensoleillée. Il résiste bien aux conditions urbaines et à la sécheresse.



2. L’increvable buddleia de Weyer (Buddleja x weyeriana Weyer)
Cet arbuste ornemental de la famille des Scrophulariaceae offre 100 jours de nectar de juin à août. C’est un hybride issu du croisement entre deux autres espèces de buddleia (Buddleja davidii et Buddleja globosa), développé pour ses qualités esthétiques et son attrait pour les pollinisateurs. Il peut atteindre entre 3 et 4 mètres de haut et autant d’envergure et demande une taille franche en fin d’hiver pour encourager une floraison abondante.



3. Le robuste paliure (Paliurus spina-christi)
Originaire du bassin méditéranéen, du Moyen-Orient et de l’Asie occidentale, cet arbuste de la famille des Rhamnaceae offre une floraison estivale ( juin et juillet), même dans les environnements les plus secs. Il développe un système racinaire profond et étendu, typique des plantes xérophiles6, pour trouver sa ressource en eau. D’une hauteur comprise entre 3 et 6 mètres il est caractérisé par son écorce portant des épines robustes et acérées (son nom latin lui vient de la légende selon laquelle la couronne d’épines du Christ aurait été faite avec les rameaux du paliure) qui en fait un candidat idéal pour les haies défensives.




4. L’extravagant savonnier élégant (Koelreuteria bipinnata)
Arbre spectaculaire à la floraison généreuse d’août à septembre, le savonnier élégant peut atteindre 6 à 12 mètres de hauteur avec un houppier étalé, de forme ronde et régulière. Il s’adapte à tous les sols, même pauvres, du moment qu’ils sont bien drainés et résiste bien au sec et aux pollutions urbaines. C’est un arbre qui présente un intérêt en toute saison avec son feuillage composé, sa floraison spectaculaire en plein coeur de l’été, sa fructification étonnante avec sa multitude de petites lanternes
colorées de rouge, ses couleurs automnales éclatantes et son port régulier et graphique en hiver.




Notes :
- Voir le calendrier des floraisons dans les Yvelines (Vexin), tenu depuis 2015 par l’apiculteur Alexandre VALGRES installé à Brueil-en-Vexin dans le Parc Naturel Régional du Vexin Français.
- La phénologie est l’étude des événements biologiques périodiques des organismes vivants, comme la floraison, la feuillaison, la fructification ou la migration chez les animaux, en relation avec les facteurs environnementaux, notamment le climat et les saisons. Elle observe et enregistre les dates et les conditions de ces phénomènes pour comprendre leur variation dans le temps et leur lien avec les changements environnementaux, comme la température.
- Büntgen, Ulf, Alma Piermattei, Paul J. Krusic, Jan Esper, Tim Sparks, and Alan Crivellaro.
Plants in the UK Flower a Month Earlier under Recent Warming.
Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences 289, no. 1968 (February 2022). doi: 10.1098/rspb.2021.2456 - L’étude se base sur les observations de 419 354 dates de première floraison de 406 espèces végétales au Royaume-Uni entre 1753 et 2019 et démontrent un avancement moyen de près d’un mois (26 jours) après 1986 par rapport à la période précédente (p
- Le photopériodisme est la réponse physiologique des organismes, notamment des plantes, à la durée relative du jour et de la nuit (photopériode). Cette réponse influence des processus comme la floraison, la germination ou la dormance. Par exemple, certaines plantes, dites
de jour long
, fleurissent quand la durée du jour dépasse un seuil, tandis que les plantesde jour court
fleurissent quand la nuit est plus longue. - Une plante xérophile (ou xérophyte) est une espèce végétale adaptée à des environnements arides ou secs, où l’eau est rare ou difficilement accessible. Ces plantes ont développé des caractéristiques physiologiques et morphologiques spécifiques pour survivre à la sécheresse, comme des feuilles réduites, des cuticules épaisses, des racines profondes, des tissus de stockage d’eau (comme les cactus et plantes grasses), ou une capacité à limiter leur transpiration.