Une ville n’est pas un arbre
, écrivait Christopher Alexander en 19651.
C’est vrai.
Mais si l’arbre n’est pas un bon modèle pour décrire la structure d’une ville, il reste une formidable clé pour en comprendre la croissance.
Ses propriétés morphologiques vont m’aider à éclairer un lien fondamental entre deux notions que j’ai abordées séparément jusqu’ici :
- les lois de puissance et les phénomènes urbains non linéaire
Certains phénomènes sont gouvernés par la moyenne. D’autres par les extrêmes.
,
- la récursivité
La ville n’est jamais produite d’un seul geste
des processus de fabrication des villes,
Croissances non linéaires
Je vous avais présenté dans un précédent article, les lois d’échelle
Que se passe-t-il quand on double le nombre d’habitants d’une ville ?
mises en évidence par Geoffrey West. Par rapport à une ville de 10’000 habitants, une ville de 1 million d’habitants (100× plus grande) aura en moyenne :
- 100× plus de déchets ménagers à collecter (croissance linéaire),
- 40× plus de routes à entretenir (croissance sous linéaire),
- 140× plus de bars et de restaurants (croissance super linéaire).
Récursivité
Dans un précédent article, je vous parlais de la générosité et de l’hospitalité récursives dans la fabrique urbaine organique.
J’y évoquais le balcon d’angle du Palazzo Priuli à Venise
Urbanisme organique : la générosité et l’hospitalité récursives
comme une
dépense
ajoutée à un bâtiment existant, à la manière d’une itération de plus dans un processus incrémental. L’analogie avec le flocon de Koch
Hyper espaces : pour maximiser l’usage — et le plaisir — ce n’est pas la taille qui compte
s’impose : à chaque étape, on enrichit la figure initiale, en générant une complexité croissante.
C’est cela, une croissance récursive.
Et c’est la figure de l’arbre qui va nous montrer comment une croissance récursive est une croissance non linéaire.
L’arbre et la ville
Un arbre croît récursivement.
Chaque branche produit des branches plus petites.
Et ainsi de suite.
Ce processus génère une forme fractale.
Où le même motif se répète à différentes échelles.
Comparons deux dynamiques différentes au sein de la croissance de l’arbre.
La longueur totale des branches :
- À chaque itération, leur nombre augmente.
- Mais leur taille diminue.
- La longueur totale converge vers une limite.
- Cela permet à l’arbre de croître sans exploser en masse, en optimisant la structure (croissance sous linéaire).
La surface totale des feuilles :
- Chaque nouvelle branche porte des feuilles.
- Leur nombre croît avec les niveaux de ramification.
- Et leur surface totale augmente plus vite que la taille de l’arbre.
- C’est une croissance super-linéaire, source de productivité.
- Plus de ramifications → plus de surface d’échange avec l’environnement2.
Etonnamment, on retrouve cette logique en ville :
- le linéaire de voirie, comme la longueur des branches, croît de manière sous-linéaire ;
- le nombre de bars et de restaurants croît super-linéairement, comme la surface des feuilles de l’arbre !
Une ville n’est pas un arbre
, nous dit Alexander.
Mais une ville vivante, comme un arbre, grandit par itérations, optimise ses ressources et amplifie ses échanges.
Notes :
- Dans son article A City is Not a Tree (1965), Christopher Alexander critique la tendance des urbanistes modernes à concevoir les villes selon des structures hiérarchiques rigides, comparables à des arbres, où chaque élément appartient à un seul ensemble supérieur. Il oppose à cela la structure semi-lattice des villes vivantes, dans laquelle les éléments interagissent de manière riche, redondante et non exclusive.
https://www.patternlanguage.com/archive/cityisnotatree.html - Ces phénomènes ont été formalisés dans les travaux de West, Brown et Enquist (Nature, 1999), qui ont montré que la surface foliaire totale croît super-linéairement avec la masse de l’arbre, tandis que sa charpente reste limitée par des contraintes structurelles.
A general model for the structure and allometry of plant vascular systems